Caroline Aigle

Caroline Aigle (94), les ailes brisées

Dossier : Le quarantième anniversaire des polytechniciennesMagazine N°677 Septembre 2012Par : Solveig GODELUCK

Le 21 août 2007, Caro­line Aigle s’est éteinte, fou­droyée en deux mois par un can­cer de la peau. Elle n’avait que 33 ans. Juste avant de mou­rir, elle a don­né nais­sance à son deuxième enfant, Gabriel, qu’elle aura por­té aus­si long­temps que la mala­die le lui a per­mis. Un choix qu’elle a payé de sa souf­france et de sa san­té. Per­sonne n’a jamais réus­si à faire flé­chir la volon­té de ce petit brin de femme, si déter­mi­née, si endurante.

« Ce matin, Caro­line s’est envo­lée pour l’éternité », a annon­cé son mari Chris­tophe Deke­te­laere, pilote de chasse comme elle. Belle épi­taphe pour la pre­mière femme de France à avoir accé­dé à ce métier demeu­ré un bas­tion mas­cu­lin jusqu’en 1995.

Sacrifices et obstination

Caro­line Aigle est par­ve­nue au grade de com­man­dant, avec à son actif 1 542 heures de vol. Mais que de sacri­fices et d’obstination pour en arri­ver là. Dans sa bio­gra­phie, le jour­na­liste Jean-Domi­nique Mer­chet raconte le pre­mier coup de gueule mémo­rable de la jeune fille.

Sitôt après son entrée à l’X en 1994, elle doit choi­sir son affec­ta­tion pour le ser­vice mili­taire : « Caro­line se lève dans l’amphi et demande car­ré­ment l’infanterie, la reine des batailles. Stu­peur dans l’encadrement de l’École. On n’a jamais vu cela. » On lui ordonne de dis­po­ser. Qu’à cela ne tienne, elle se rend chez le géné­ral qui com­mande l’École et demande à voir le règle­ment qui inter­dit l’infanterie aux femmes. Il n’existe pas. Elle obtient fina­le­ment le droit d’aller cou­rir, mon­ter des embus­cades, dor­mir à la belle étoile et tirer à la mitrailleuse, avec les hommes. Lorsque la car­rière de pilote de chasse est ouverte aux femmes, elle s’y engouffre, en com­men­çant par pas­ser son bre­vet de pilote à Saint-Cyr, dans le pri­vé. Elle sait qu’elle s’engage dans un par­cours du com­bat­tant. Tou­te­fois, un rêve secret lui donne des ailes : elle veut aller dans l’espace.

La voie des chevaliers du ciel

En deve­nant astro­naute, cette tri­ath­lète inépui­sable, assoif­fée de savoirs, pour­ra repous­ser encore les limites.

Après l’X, la voi­là à l’École de l’air de Salon-de- Pro­vence, puis à l’École de l’aviation de chasse à Tours où elle apprend la vol­tige, le vol en for­ma­tion ser­rée, le vol de nuit et même le vol avec une bâche opaque sur la ver­rière de l’avion. C’est là qu’elle ren­contre son futur mari, qui est son moni­teur. En mai 1999, Caro­line Aigle reçoit enfin son brevet.

Comme Guy­ne­mer, elle choi­sit la voie des che­va­liers du ciel, le com­bat en vol contre d’autres pilotes, plu­tôt que le lar­gage de bombes. Puis elle pose ses valises à la base aérienne de Dijon.

Une nouvelle course d’obstacles

Mais seules les valises demeurent à terre. La jeune femme, désor­mais aux manettes d’un Mirage, a fort à faire depuis les atten­tats du 11 sep­tembre 2001, qui pro­voquent une mul­ti­pli­ca­tion des opé­ra­tions de sur­veillance aérienne du ter­ri­toire. Elle com­mence éga­le­ment à pré­pa­rer le vol spa­tial auquel elle n’a jamais ces­sé de son­ger. Cours de russe, cours d’astrophysique, son modèle est Clau­die Hai­gne­ré, bac +19.

Elle prend contact avec la ministre, qui l’assure de son sou­tien. « Caro­line mesure par­fai­te­ment dans quelle nou­velle course d’obstacles elle s’engage. Six à huit mois de sélec­tion. Des tests médi­caux à n’en plus finir, des épreuves phy­siques qui res­semblent par­fois à de la tor­ture […], des entre­tiens psy­cho­lo­giques, etc. Repar­tir de zéro, comme le jour où elle a déci­dé de deve­nir pilote de chasse », écrit J.-D. Merchet.

C’est à ce moment que la tra­jec­toire super­so­nique de Caro­line Aigle se brise, fau­chée en plein vol par un can­cer. « Tout va si vite, à peine le temps d’en pro­fi­ter », a écrit un jour l’aventurière à pro­pos de l’une de ses virées aériennes. De même, son pas­sage sur Terre n’aura duré qu’un bref émerveillement.

Commentaire

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Chau­montrépondre
6 avril 2021 à 17 h 33 min

Magni­fique, tout-à-fait excep­tion­nelle, je vous salue, Madame.

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