Camille Saint-Saëns : Henry VIII

Camille Saint-Saëns : Henry VIII

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°784 Avril 2023
Par Marc DARMON (83)

Com­posé en 1882, l’opéra Hen­ry VIII de Camille Saint-Saëns s’inspire de la pièce de Shake­speare (1613). C’est un opéra majeur du réper­toire français, au moins du niveau de Sam­son et Dalila, qui est pour­tant beau­coup plus célèbre, et il est incom­préhen­si­ble que cette œuvre ne soit pas plus sou­vent jouée. 

La pre­mière représen­ta­tion scénique depuis bien longtemps en France a été réal­isée à l’occasion de l’inauguration du Théâtre impér­i­al de Com­piègne. Cette salle d’opéra superbe, œuvre de Gabriel-Auguste Ancelet, a été entre­prise sous Napoléon III puis est restée inachevée. Les travaux n’ont été ter­minés qu’en 1991. 

Cette pro­duc­tion d’Hen­ry VIII par Pierre Jour­dan est par­faite, notam­ment grâce une dis­tri­b­u­tion française et des chanteurs dont les voix et la pronon­ci­a­tion sont idéales, grâce à l’acoustique dev­enue fameuse de la salle et grâce à une direc­tion musi­cale et une direc­tion des chanteurs qui ren­dent jus­tice à la par­ti­tion. Et de très beaux décors et de très beaux cos­tumes inspirés de la Renais­sance. La pro­duc­tion et la mise en scène ont été repris­es dix ans plus tard à Barcelone pour Montser­rat Cabal­lé et Simon Estes.

L’année suiv­ante, le Théâtre impér­i­al de Com­piègne a présen­té en 1992, à l’occasion du cen­te­naire de la nais­sance du com­pos­i­teur et du cinq-cen­te­naire de la décou­verte du con­ti­nent améri­cain, Christophe Colomb de Dar­ius Mil­haud, égale­ment dans des con­di­tions opti­males. Le Théâtre impér­i­al de Com­piègne a été pen­dant quinze ans un lieu priv­ilégié pour la redé­cou­verte dans les meilleures con­di­tions d’opéras français majeurs. 

L’épisode his­torique racon­té est la répu­di­a­tion par Hen­ry VIII de Cather­ine d’Aragon, en faveur de sa dame d’honneur Anne Boleyn, et la créa­tion de l’Église d’Angleterre. L’opéra Anna Bole­na de Donizetti racon­te l’épisode juste postérieur (doutes d’Henry VIII envers Anne Boleyn et sa décap­i­ta­tion). Saint-Saëns y fait un usage habile et dis­cret des leit­mo­tive et utilise quelques effets archaïsants pour don­ner une couleur « Renais­sance ». Il utilise même des thèmes his­toriques irlandais ou anglais, ain­si que deux airs de William Byrd (de 1623, près de cent ans plus récents que les faits racon­tés par l’opéra). L’ouvrage est égale­ment poli­tique : la loi sur le divorce sera en effet votée l’année suiv­ant la créa­tion, en 1884 (et Saint-Saëns en profitera).

Le plaisir du chant français est com­plet. Philippe Rouil­lon en Hen­ry VIII est par­fait, physique­ment il ressem­ble même au roi d’Angleterre à cette époque et en a la prestance et l’autorité naturelle. La voix n’éprouve aucune dif­fi­culté à servir cette par­ti­tion, l’émission est homogène et la dic­tion impec­ca­ble. Une présence physique incroy­able, et beau­coup d’engagement et de musi­cal­ité, notam­ment dans son air « Qui donc com­mande quand il aime », un chef‑d’œuvre qui devrait être bien plus con­nu. Michèle Com­mand chante une Cather­ine d’Aragon meur­trie, poignante, et notam­ment un air « À ta bon­té sou­veraine » à faire pleur­er les stat­ues. La mez­zo Lucile Vignon joue une Anne Boleyn trou­ble, sub­tile. La scène de la répu­di­a­tion de la reine est grandiose et Lucile Vignon la joue divinement. 


Philippe ROUILLON, Michèle COMMAND, Lucile VIGNON, Alain GABRIEL 

Orchestre Lyrique Français, direc­tion Alain GUINGAL, Théâtre Impér­i­al de Com­piègne, 1991 

1 DVD Cascavelle

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