Bulletin de la SABIX n° 21 (juillet 1999)

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°548 Octobre 1999Rédacteur : M. D. INDJOUDJIAN (41)

Comme la précé­dente livrai­son, celle-ci con­tient prin­ci­pale­ment un arti­cle d’Emmanuel Gri­son et un autre de Paul Bar­bi­er. Tan­dis que le pre­mier, inti­t­ulé “ L’École de Mon­ge et les Arts et Métiers ”, mon­tre com­ment, pen­dant les vingt ou vingt-cinq pre­mières années de l’École poly­tech­nique, ont évolué ses ori­en­ta­tions, le sec­ond, “ Heurs et mal­heurs d’un poly­tech­ni­cien de l’an V – Pierre Arnol­let (1776–1857), ingénieur des Ponts et Chaussées ”, décrit jusqu’au delà de sa retraite la vie assez éton­nante de ce poly­tech­ni­cien* qui a fait par­tie de la pre­mière pro­mo­tion (fin 1794), mais l’a quit­tée, a repassé le con­cours (fin 1796) et est alors ren­tré à l’École dont il est sor­ti pour recevoir une mis­sion secrète… la par­tic­i­pa­tion à l’expédition d’Égypte.

L’article d’E. Gri­son définit et explique les change­ments d’orientation pen­dant ce pre­mier quart de siè­cle. Les aspects pra­tiques et util­i­taires ont d’abord été déter­mi­nants : il s’agissait essen­tielle­ment de tech­nolo­gie – en don­nant à ce mot, non pas le sens qu’il a pris en anglais et qui est sou­vent employé, à tort, en français, mais son sens véri­ta­ble d’enseignement des tech­niques reposant sur des bases scientifiques.

Il est très intéres­sant, à la lec­ture de l’article, de dis­tinguer dans cette con­cep­tion ini­tiale le rôle des hommes – et notam­ment du fougueux Has­sen­fratz –, celui des besoins, liés aux cir­con­stances de l’époque et, bien sûr, des con­sid­éra­tions politiques.

Dès le début du XIXe siè­cle, ce car­ac­tère pra­tique s’estompe pour faire une place gran­dis­sante à un enseigne­ment de car­ac­tère plus pure­ment sci­en­tifique. Ici encore les raisons de ces change­ments sont instruc­tives et divers­es : le développe­ment même, en France et notam­ment par­mi les mem­bres du corps enseignant de l’École, des con­nais­sances théoriques (en math­é­ma­tiques, en physique, en chimie…), mais aus­si la nais­sance du “ Con­ser­va­toire des Arts et Métiers ”, claire­ment chargé par un arbi­trage min­istériel de 1816 de cet enseigne­ment pra­tique et pro­fes­sion­nel. Quant à la rai­son de ce choix, elle est très liée aux événe­ments poli­tiques de la Restau­ra­tion et au licen­ciement (qui devait être pro­vi­soire) de l’École poly­tech­nique le 13 avril 1816 à la suite d’une rébel­lion des élèves.

Je cite la con­clu­sion de l’article : “ La dif­fi­cile con­jonc­tion des sci­ences et des arts, voulue par Mon­ge dans son pro­jet révo­lu­tion­naire, n’aura pas abouti : Poly­tech­nique servi­ra les sci­ences et le Con­ser­va­toire propagera les arts. ”

Le sec­ond arti­cle, con­sacré à Pierre Arnol­let, est une biogra­phie très riche qui fait revivre de façon sai­sis­sante une per­son­nal­ité forte et con­trastée ; biogra­phie conçue pour éclair­er d’une lumière vive bien des faits his­toriques et bien des évo­lu­tions de la France pen­dant plus d’un demi-siè­cle : dans le domaine économique, certes, mais aus­si, plus impor­tant peut-être, dans celui des men­tal­ités. Quel par­cours ! Logé chez les “ pères sen­si­bles ” pen­dant son séjour à l’École – qui n’était pas encore l’excellent inter­nat de jeunes gens qu’elle est dev­enue ! – Arnol­let a fail­li mourir plus d’une fois en Égypte, notam­ment lors de l’invraisemblable expédi­tion de Cos­seir (ou Qoseir) sur la mer Rouge, tirant de cette aven­ture l’idée (dès 1839) d’une ligne de chemin de fer Le Havre-Mar­seille pas­sant par Paris, Dijon et Lyon dans le des­sein pré­moni­toire de drain­er un traf­ic intérieur de marchan­dis­es, mais aus­si une par­tie du com­merce entre l’Angleterre et l’Inde… avec perce­ment d’un canal dans l’isthme de Suez !

Pen­dant sa car­rière mou­ve­men­tée d’ingénieur des Ponts et Chaussées, en Ital­ie (dans le départe­ment français des Apen­nins) et de nou­veau en Côte‑d’Or, Arnol­let n’a pas eu seule­ment d’instructifs démêlés avec ses supérieurs et des élus poli­tiques ; il a aus­si innové dans le domaine tech­nique : méth­odes économiques de con­struc­tion d’ouvrages, inven­tion d’une pompe hydraulique, etc.

Mis à la retraite d’office à l’âge de 54 ans, Arnol­let se tourne vers les chemins de fer dont il a été à cer­tains égards un pio­nnier, guidé par la con­vic­tion d’en faire un moyen économique per­me­t­tant non seule­ment le trans­port des voyageurs (le seul auquel on croy­ait à l’époque) mais aus­si celui des marchan­dis­es. Il affir­mait qu’il était pos­si­ble de divis­er par trois le coût de la tonne x kilo­mètre et donc de con­cur­rencer les voies nav­i­ga­bles dans l’intérêt général.

Sur­prenante aus­si est la descrip­tion par P. Bar­bi­er du “ chemin de fer atmo­sphérique ” de Saint-Ger­main et des pro­jets cor­re­spon­dants de Pierre Arnollet.

À la fin de sa vie, les brochures et dis­cours d’Arnollet, même s’ils prê­tent par­fois à sourire, mon­trent l’originalité et l’ampleur de ses vues qui embras­saient tech­niques et économie avec par­fois un siè­cle d’avance sur ses conci­toyens et ses pairs.

*
* *

La qual­ité des efforts de la SABIX et de son bul­letin mérite d’être mieux con­nue et appré­ciée de la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne (dont les remar­ques et sug­ges­tions à l’adresse du rédac­teur en chef, Jean-Paul Dev­il­liers (57), ou du prési­dent, Chris­t­ian Mar­bach (56) seront, j’en suis con­va­in­cu, les bienvenues).

Adhérez à la SABIX et vous vous en con­va­in­crez. À cette fin prenez con­tact sans tarder avec le secré­tari­at de l’Association : Bib­lio­thèque de l’École poly­tech­nique, 91128 Palaiseau cedex (télé­phone : 01.69.33.40.40, télé­copie : 01.69.33.30.01).

________________________________
* Toute­fois l’École ne s’appelait pas encore École poly­tech­nique, mais École cen­trale des Travaux publics.

Poster un commentaire