Ayotl, société qui développe des films uniques, mettant en scène des situations de management de manière ludique et éducative, par le storytelling.

Ayotl, le management par le storytelling

Dossier : TrajectoiresMagazine N°771 Janvier 2022
Par Hervé KABLA (84)

En 2013 Thiébaut Viel (92) a fondé Ayotl, société qui développe des films uniques, met­tant en scène des sit­u­a­tions de man­age­ment de manière ludique et éduca­tive, par le sto­ry­telling. Ayotl veut dire tortue marine en nahu­atl, l’ancienne langue mex­i­caine : mal­ha­bile sur terre, gra­cieuse dans l’eau… Le man­ag­er doit créer le milieu où le col­lab­o­ra­teur sera comme une tortue dans l’eau.

Quelle est l’activité de Ayotl ? 

Ayotl est une société d’édition et de pro­duc­tion, dou­blée d’une plate­forme de dif­fu­sion, pour pro­pos­er des livres et films dédiés aux man­agers qui veu­lent mon­ter en com­pé­tence ou faire mon­ter en com­pé­tence leur équipe. Elle pro­pose de véri­ta­bles séries et des livres, ludiques, édu­cat­ifs et util­is­ables dans des dis­posi­tifs de com­mu­ni­ca­tion et de formation.

Thiébaut Viel (94) fondateur d'Ayotl
Thiébaut Viel

Quel est le parcours des fondateurs ? 

J’ai mené une pre­mière car­rière dans des grandes entre­pris­es comme « man­ag­er » à dif­férents postes. J’ai ensuite pris un pre­mier virage : j’ai créé ma pre­mière société, un cab­i­net de con­seil en man­age­ment. Puis, ani­mé par l’envie de retrou­ver un con­tact plus direct avec ma pas­sion, est venu le deux­ième virage : j’ai com­mencé une deux­ième car­rière dans le ciné­ma et l’audiovisuel. J’ai donc des expéri­ences mul­ti­ples et je suis con­va­in­cu d’avoir trou­vé mon iki­gaï, ma place entre ce que j’aime faire, sait faire, et ce dont le monde a besoin : créer et partager pour les man­agers les meilleures approches pour un man­age­ment humain, respectueux et respon­s­able. Ayotl est ma réponse à cette équation.

Comment t’est venue l’idée ?

L’idée m’est venue à la lec­ture du livre Le But. Un proces­sus de pro­grès per­ma­nent d’Eliyahu M. Gol­dratt. Cet ouvrage traite du lean man­age­ment, un sujet a pri­ori ardu, sous la forme d’un roman. Il s’agit de quelqu’un qui doit redress­er une usine et qui met en œuvre ces pré­ceptes. C’est racon­té de manière com­préhen­si­ble par tous. J’ai alors fait le lien avec d’autres dis­ci­plines du man­age­ment : le con­tenu disponible est en général pro­posé par des spé­cial­istes à des­ti­na­tion de spé­cial­istes. Une per­son­ne qui ne con­naît pas la prob­lé­ma­tique peut ne pas faire le lien avec son besoin. Je me suis dit que la bonne approche pour sen­si­bilis­er l’ensemble d’une équipe, c’est de racon­ter une his­toire, une approche qu’on car­ac­térise aujourd’hui par un terme générique, le sto­ry­telling.

Qui sont les concurrents ?

Nous avons comme con­cur­rents toutes les plate­formes de con­tenus de for­ma­tion numérique, qui pro­posent des mod­ules d’e‑learning ou des MOOCs (Mas­sive Open Online Cours­es). Mais, en réal­ité, ce sont aus­si des parte­naires poten­tiels, car nous pro­posons un con­tenu dif­férent, dont je n’ai pas trou­vé l’équivalent jusqu’à présent.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ? 

Tout d’abord, il y a eu une preuve de con­cept, avec la pre­mière pro­duc­tion. Cette web­série, inti­t­ulée Le Project (https://vimeo.com/
423180240), a été primée aux Trophées de l’innovation du Con­tract Man­age­ment en 2019 et a obtenu la Caméra d’argent du film d’économie et du droit. Elle a surtout sus­cité l’intérêt de grands groupes, tels qu’EDF, Naval Group, SNCF… ce qui a con­fir­mé la per­ti­nence du con­cept. Puis il y a eu l’adaptation du mod­èle pour ren­dre les con­tenus acces­si­bles plus large­ment aux PME, ETI, petites organ­i­sa­tions, et le développe­ment de la plate­forme de dif­fu­sion, lancée début 2021.

Qu’est-ce qui fait défaut à la culture des managers français ? 

J’ai l’impression que la cul­ture du man­age­ment à la française se résume à : « C’est moi le man­ag­er, donc c’est moi qui décide. » Une vision assez ver­ti­cale des choses, et même un peu pater­nal­iste, qui peut aller dans cer­tains cas vers de l’autoritarisme. Il en résulte que le man­ag­er peut être perçu comme un don­neur de leçons ou un yakafaukon. On par­le beau­coup en ce moment de man­age­ment 3.0, qui serait selon moi une vision plus respectueuse et respon­s­able du man­age­ment, qui implique plus les col­lab­o­ra­teurs dans les proces­sus de déci­sion. Il ne s’agit pas de leur don­ner les rênes, mais de dévelop­per une écoute, répon­dre aux ques­tions et traiter les objec­tions, avant de pren­dre des déci­sions qui seront mieux accep­tées si elles ne sont pas perçues comme péremp­toires ou sor­ties du chapeau.

Et comment Ayotl y remédie-t-elle ? 

Ayotl pro­pose des con­tenus ludiques, qui font la pro­mo­tion et for­ment à ces pos­tures de man­age­ment plus respectueuses et res­ponsables. Au-delà des aspects pure­ment méti­er de pro­jet ou de con­trat, il y a par exem­ple ce très bon doc­u­men­taire de Jérôme Adam, Tan­dem, qui mon­tre com­ment con­stituer une équipe autour d’un pro­jet fort, ou une for­ma­tion spé­ci­fique sur la pos­ture du man­ag­er. Il y aus­si les propo­si­tions que nous faisons sur les modes de dif­fu­sion des con­tenus péd­a­gogiques, en util­isant les leviers du sto­ry­telling, qui per­me­t­tent une meilleure iden­ti­fi­ca­tion des col­lab­o­ra­teurs aux enjeux et la créa­tion d’échanges dans les équipes et avec les man­agers. Ce n’est plus une parole ver­ti­cale d’un sachant.

Apprendre peut-il rester fun, alors que nous avons traversé vingt mois de crise sanitaire ? 

Non seule­ment c’est pos­si­ble, mais je pense qu’il le faut ! Les films les plus regardés sur les plate­formes de stream­ing restent des comédies. Les col­lab­o­ra­teurs ont besoin de partager de bons moments ensem­ble, de se retrou­ver, que ce soit online ou en présen­tiel, dans des ambiances déten­dues, fun. C’est à nous, man­agers, de pos­er ce cadre pour aider à sor­tir de l’isolement provo­qué par le télé­tra­vail. Il s’agit d’adapter nos modes de man­age­ment à ce monde d’après, de faire en sorte que l’on ne se retrou­ve pas dans son bureau à faire ce que l’on fai­sait seul chez soi. Pour recréer une cohé­sion d’équipe on peut donc s’appuyer sur des dis­posi­tifs d’animation tels que ceux que nous pro­posons autour de nos con­tenus et avec nos partenaires.

Ayotl fait appel à de vrais acteurs dans des saynètes éducatives. Qu’est-ce que le jeu humain apporte par rapport à d’autres approches comme la 3D ou les MOOCs ? 

Le jeu humain apporte une com­posante essen­tielle, l’émotion, là où la 3D ou les MOOCs par­lent plus à notre intel­lect. Cela nous aide à com­pren­dre évidem­ment. Mais le point impor­tant selon moi, c’est que le véri­ta­ble pas­sage à l’action est soutenu par des forces émo­tion­nelles, et non par l’intellect pur. Ce sont elles, ces forces émo­tion­nelles, qui sont les véri­ta­bles moteurs de nos activ­ités, y com­pris dans la sphère pro­fes­sion­nelle, et en par­ti­c­uli­er lorsqu’il s’agit de man­age­ment et donc de rela­tions inter­per­son­nelles. Savoir ne suf­fit pas pour agir, sinon les prob­lèmes d’organisation ou de prise en compte des enjeux envi­ron­nemen­taux par les entre­pris­es seraient déjà réso­lus. La mise en action s’appuie sur le besoin ressen­ti émo­tion­nelle­ment de faire. C’est ce que l’on appelle l’engagement.

Entre jouer, tourner ou innover, laquelle de ces trois activités t’apporte le plus de plaisir ? 

Il y a un temps pour chaque chose. L’innovation, dans l’écriture et les pro­jets, précède le tour­nage, qui per­met ensuite aux acteurs de jouer. Je prends les choses comme un cycle de créa­tion com­plet. La récom­pense finale, c’est lorsque tout est prêt et que je peux me con­sacr­er unique­ment au jeu d’acteur, sans me souci­er des autres aspects (financiers, logis­tiques, admin­is­trat­ifs…). Il faut pou­voir lâch­er prise pour être véri­ta­ble­ment dans le jeu. C’est la cerise sur le gâteau, la récompense.

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