AX-Mentoring : un capital d’entraide pour de multiples usages

Dossier : Vie de l'associationMagazine N°748 Octobre 2019
Par Jacques DEFAUCHEUX (72)

L’offre de men­tor­ing lancée par AX Car­rières fin 2016 a per­mis de con­stituer plus de 300 binômes, en répon­dant à de mul­ti­ples deman­des. Nous pro­posons ici de décrire cette expéri­ence, en évo­quant suc­cincte­ment les prob­lé­ma­tiques des men­torés et les quelques retours recueillis.

Dans l’immense majorité des cas, quels que soient l’âge ou la sit­u­a­tion du men­toré, la ques­tion sous-jacente est celle de l’orientation pro­fes­sion­nelle. Elle est per­ma­nente au long d’une car­rière, même si elle appa­raît de façon plus aiguë dans cer­taines cir­con­stances. C’est une ques­tion dif­fi­cile, qui appelle une réflex­ion sur soi-même et un tra­vail de fond en prise avec la réal­ité. Le risque de s’y per­dre est grand si l’on est seul. Le men­tor­ing s’appuie sur l’esprit d’entraide bénév­ole au sein de notre com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne. La rela­tion de con­fi­ance qui se con­stru­it au fil des mois dans le binôme apporte au men­toré le pré­cieux effet miroir et le sou­tien moral pour explor­er les divers­es pistes envis­agées. À l’image d’un catal­y­seur, la con­tri­bu­tion lim­itée du men­tor pro­duit para­doxale­ment un véri­ta­ble effet posi­tif sur le mentoré.

Voyons donc les prob­lé­ma­tiques de men­tor­ing les plus fréquentes.

L’élève à Palaiseau

Ce men­tor­ing est pro­posé au début de la sec­onde année en parte­nar­i­at avec l’École (son départe­ment SOIE). Le men­tor est un aîné d’environ dix ans, qui a déjà acquis une expéri­ence pro­fes­sion­nelle, tout en gar­dant le sou­venir proche de son pas­sage à l’École. Les élèves sont nom­breux à deman­der ce men­tor­ing, avec des attentes et des niveaux de matu­rité très variés.

Ce que les men­tors appor­tent aux élèves (par ordre décrois­sant) : une ouver­ture sur la vie en entre­prise et sur le monde du tra­vail, une aide à l’orientation de car­rière, une ori­en­ta­tion dans le par­cours académique (à l’X et après), davan­tage de con­fi­ance en soi, un sou­tien moral, une rela­tion humaine, des con­tacts (notam­ment pour trou­ver un stage).

Ce que des élèves ont reçu ou appris : une ouver­ture de nou­velles pistes pour un élève au demeu­rant assez sûr de lui (il a davan­tage pris con­science des valeurs inter­venant dans ses choix), dédrama­tis­er l’impact des choix sur le démar­rage de car­rière, trans­former les doutes sur les secteurs à explor­er en actions con­crètes de décou­vertes, con­firmer le bien-fondé d’un choix déjà fait.

Le mes­sage d’un men­tor aux élèves : « Ayez de l’ambition et apprenez à vous con­naître. L’ambition d’être heureux, de vous faire plaisir au boulot, d’apprendre sans cesse et avec des per­son­nes que vous appré­ciez, de suiv­re vos cycles (inve­stir plus ou moins dans le boulot ou la vie per­so, selon le moment). Apprenez à vous con­naître, à savoir ce que vous voulez, ce qui vous per­me­t­tra de pren­dre de bonnes déci­sions, de deman­der les bonnes choses à votre RH ou de choisir les bons postes. Cela vous fera per­former dans n’importe quel type de struc­ture (con­seil, grandes entre­pris­es, start-up) et le reste suiv­ra (salaire, respon­s­abil­ité, tra­jec­toire car­rière, CV). »

Des retours d’élèves : « L’un des aspects les plus utiles du men­tor­ing, c’est de me forcer à me pos­er des ques­tions que je ne me serais jamais posées. » « Mon men­tor m’a per­mis de me fix­er quelques idées pen­dant des moments où je doutais beau­coup sur la suite de ce qui allait se pass­er pour moi. Nous avons eu des échanges de bonne qual­ité qui ont joué un rôle dans ma réflex­ion personnelle. »

L’élève en fin d’études qui recherche son premier emploi

Par­fois il ren­tre de l’étranger, il hésite car son pro­jet pro­fes­sion­nel est incer­tain et il con­naît mal le monde des entre­pris­es. Le men­tor partage son expéri­ence pro­fes­sion­nelle et il aide l’élève à cibler sa recherche, qui par­fois s’écarte du cur­sus académique. L’écoute active et sans juge­ment du men­tor per­met à l’élève de pren­dre con­science de ses atouts en acquérant plus de con­fi­ance, ce qui est cap­i­tal dans les entre­tiens de recrutement.

Un élève : « J’ai trou­vé un men­tor à l’écoute qui a su accueil­lir et com­pren­dre mes doutes. Cela m’a for­cé à for­muler claire­ment mes attentes. J’étais mieux pré­paré aux entre­tiens et j’ai pu iden­ti­fi­er les critères impor­tants pour mon choix final. » Il a trou­vé rapi­de­ment un job dans une PME en phase avec ses valeurs.

Une élève étrangère : « Mon men­tor m’a don­né une vision d’ensemble de son secteur avec la per­spec­tive de quelqu’un qui l’a vécu pen­dant quar­ante ans. Ses con­seils m’ont per­mis de réfléchir à ce que je voulais vrai­ment. En plus, j’ai eu l’occasion de ren­con­tr­er une per­son­ne junior de son entre­prise qui m’a mon­tré à quoi ressem­blait son tra­vail de tous les jours, ce qui m’a per­mis de mieux me pro­jeter à court terme. » Ini­tiale­ment ori­en­tée vers un méti­er d’ingénieur tech­nique, elle a choisi finale­ment un grand cab­i­net de conseil.

Le camarade doctorant en fin de thèse qui souhaite quitter la recherche

Il veut s’orienter vers l’entreprise, mais ne sait pas com­ment abor­der ce nou­veau monde qu’il ne con­naît pas. La tran­si­tion est dif­fi­cile, telle­ment ces deux mon­des sont dis­joints. Le cas est fréquent, heureuse­ment les réus­sites sont nom­breuses, en par­ti­c­uli­er si l’on choisit un men­tor qui a vécu lui-même cette transition.

Un men­toré : « J’ai pu avancer par ses ques­tions sur mes choix, qui m’ont ouvert l’esprit sur ma façon d’agir. » Le men­tor s’est appuyé sur l’énergie déployée par son men­toré pour aller au con­tact et trou­ver rapi­de­ment un job, en adap­tant ses aspi­ra­tions. Tous deux ont regret­té la mau­vaise image de la recherche sci­en­tifique en France, con­traire­ment aux autres pays.

Le camarade de 30–35 ans, avec une première expérience professionnelle

Il est en poste, il a acquis des com­pé­tences et une cer­taine com­préhen­sion de la vie en entre­prise, mais l’enthousiasme du début s’est atténué, aujourd’hui il s’interroge sur la car­rière qui cor­re­spondrait à ses aspi­ra­tions. Com­ment la pré­par­er et vers quel type de tra­vail se diriger ? Pren­dre le temps de con­sul­ter des cama­rades expéri­men­tés, c’est une péri­ode charnière et le choix est struc­turant pour la suite.

Un jeune cama­rade a vécu inten­sé­ment sa pre­mière expéri­ence indus­trielle, mais il en a fait le tour. Il est aujourd’hui per­du face à une mul­ti­tude de pos­si­bil­ités, il écoute ses amis avec des con­seils plus ou moins adap­tés à sa per­son­nal­ité et part sur de mau­vais­es pistes. Le men­tor­ing lui per­met de réfléchir à ses aspi­ra­tions pro­fondes. Après une explo­ration méthodique et une activ­ité intense de prise de con­tact (sou­vent plusieurs la même semaine) en par­al­lèle avec le poste qu’il occupe, il choisit une respon­s­abil­ité tech­nique dans un nou­veau secteur indus­triel pour lui (et il sem­ble qu’il s’y plaise beaucoup).

Un autre cama­rade quitte une entre­prise de ser­vices high tech et se recon­ver­tit dans le con­seil dig­i­tal en restant dans son secteur d’origine.

Plusieurs cama­rades ont choisi comme pre­mière expéri­ence pro­fes­sion­nelle des activ­ités tech­niques extrême­ment spé­cial­isées dans des grands groupes (exem­ples : R&D indus­trielle, instru­ments financiers). Cette grande spé­cial­i­sa­tion tech­nique ne cor­re­spond pas à leur vision de car­rière, ils souhait­ent s’intégrer davan­tage au busi­ness de l’entreprise mais ils man­quent de vis­i­bil­ité sur les oppor­tu­nités. Ils hési­tent entre rester dans le même groupe ou ris­quer un change­ment plus rad­i­cal vers une activ­ité qui cor­re­spondrait mieux à leurs valeurs. Deux de nos cama­rades (entre autres) ont pu élargir le champ des pos­si­bles et met­tre à plat leurs réflex­ions grâce au men­tor­ing. Ils explorent leur réseau et les pistes en interne, ils déci­dent de rester dans le même groupe en prenant un poste plus opérationnel.

Le camarade en milieu de carrière

Sans besoin par­ti­c­uli­er, il souhaite échang­er des idées et trou­ver des inter­locu­teurs pour dynamiser sa car­rière, en interne ou en externe.

C’est un cas atyp­ique, le deman­deur a appré­cié l’aide d’un men­tor plus jeune que lui, qui a pu l’ouvrir à de nou­velles pra­tiques de tra­vail. Le choix d’une ori­en­ta­tion ne s’imposait pas, aus­si le men­tor­ing a per­mis d’explorer méthodique­ment les idées mul­ti­ples du men­toré de façon active.

Le camarade se sentant menacé dans son entreprise, désireux d’anticiper un éventuel départ subi

Le men­tor­ing per­met de pren­dre du recul sur les événe­ments passés et la men­ace pressen­tie aujourd’hui. Ensem­ble, on peut analyser froide­ment les sit­u­a­tions en prê­tant atten­tion aux sig­naux faibles. Selon la grav­ité de la men­ace, il faut anticiper une sépa­ra­tion ou faire le dos rond en atten­dant des mou­ve­ments favor­ables dans l’entreprise.

Le camarade senior s’interrogeant sur un changement de statut

Par exem­ple pour pass­er de salarié à con­sul­tant indépen­dant. C’est un change­ment pro­fond qui cache beau­coup de pièges. Il con­vient de s’y pré­par­er en suiv­ant les for­ma­tions ou en con­sul­tant les groupes appro­priés. La rela­tion per­son­nelle et con­tin­ue avec un men­tor qui a réus­si cette tran­si­tion a tout son intérêt. Le rôle du men­tor­ing est com­plexe : aider à for­muler une offre de ser­vices, valid­er l’adaptabilité à ce change­ment, coach­er une évo­lu­tion psychologique.

Le camarade en recherche d’emploi

Les caus­es de cette sit­u­a­tion sont divers­es : con­flit de per­son­nes ou de valeurs, perte de sens, break, démé­nage­ment du con­joint. Le départ est volon­taire ou pas. Dans tous les cas, c’est une épreuve avec de mul­ti­ples risques (perte des repères, isole­ment, doute, déséquili­bre). Il ne faut pas rester seul, mais se faire aider de préférence par des pro­fes­sion­nels (out­place­ment) ou à défaut par de bonnes asso­ci­a­tions. Quel que soit l’accompagnant, la démarche doit être méthodique sans brûler les étapes, en com­mençant par une phase de retour sur le passé et de réflex­ion sur soi-même.

Nous avons pu accom­pa­g­n­er plusieurs cama­rades, en cher­chant le bon fit avec le men­tor, celui qui aurait vécu des expéri­ences ou tran­si­tions sim­i­laires (pas for­cé­ment dans le même secteur). Nous propo­sions en par­al­lèle un par­cours indi­vidu­el à tra­vers le logi­ciel Job­mak­er, pour pos­er les bases de son pro­jet pro­fes­sion­nel et appren­dre à se présenter.

Le retour des men­torés : « Repren­dre con­fi­ance en soi est pri­mor­dial, c’est ce que per­met la rela­tion avec un men­tor avec qui on peut partager ses doutes sans être jugé. On pro­gresse dans un cadre méthodique qui sert de fil con­duc­teur. Il faut d’abord écrire, réécrire sa biogra­phie, la pos­i­tiv­er, se pré­par­er à racon­ter ses réal­i­sa­tions (les plus con­va­in­cantes). La réus­site repose égale­ment sur la ges­tion har­monieuse de sa vie. L’avenir s’éclaire et il faut imag­in­er un nou­veau pro­jet pro­fes­sion­nel, le con­fron­ter au regard extérieur cri­tique, le ren­dre réal­iste. On aboutit à la recherche active, d’abord par une démarche réseau avec des ren­dez-vous mul­ti­ples, où l’on engrange les réus­sites, où l’on apprend à par­ler avec les dirigeants. »

Ces accom­pa­g­nés retrou­vent un job, par­fois dans un autre lieu ou un autre secteur devenu plus proche de leurs aspirations.

Le camarade aspirant à un développement personnel

Cer­taines deman­des de men­tor­ing ne met­tent pas en cause directe­ment l’orientation pro­fes­sion­nelle mais plutôt une atti­tude dans un méti­er déter­miné, par exem­ple l’organisation per­son­nelle de son emploi du temps, la prise de con­science et l’appropriation du rôle de man­ag­er ou de la posi­tion d’expert indépen­dant. Le men­tor n’est pas un coach, mais le dia­logue avec un cama­rade perçu comme com­plice peut faire gag­n­er beau­coup de temps.

Le potentiel d’une entraide bénévole

Ce bref retour sur expéri­ence aura souligné le poten­tiel d’une entraide bénév­ole au sein de notre com­mu­nauté, pour faire face à la diver­sité des sit­u­a­tions pro­fes­sion­nelles. Si bon nom­bre de grandes organ­i­sa­tions déploient aujourd’hui des dis­posi­tifs de men­tor­ing en interne, le chem­ine­ment avec un men­tor extérieur peut se faire avec plus de fran­chise. Il est dés­in­téressé, sans arrière-pen­sée de recrute­ment. La présence d’un cama­rade poly­tech­ni­cien est un plus, par les affinités dans la tour­nure d’esprit et le vécu au long de son par­cours pro­fes­sion­nel, par l’ouverture d’un large réseau de relations.

Trouver le bon mentor

L’identification du bon men­tor avec le deman­deur est une étape cap­i­tale, qui requiert un peu de minu­tie. Il faut trou­ver le bon fit. Le men­tor n’a pas à être for­mé, il lui faut prin­ci­pale­ment de la bonne volon­té et un min­i­mum de disponi­bil­ité. Il doit ensuite s’appuyer sur la charte déon­tologique qui cadre le dis­posi­tif. On voit ain­si que l’organisation du men­tor­ing demande assez peu de moyens, tout en appor­tant des bien­faits mul­ti­ples et en ren­forçant l’entraide dans notre communauté.

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