Colloque AX-HEC Alumni : Comment créer des licornes en Europe ?

Dossier : Vie de l'AssociationMagazine N°741 Janvier 2019
En organisant le 29 novembre dernier un colloque conjoint, l’AX et HEC Alumni ont marqué leur volonté de voir s’instaurer une collaboration étroite entre les deux écoles à l’heure où se met en place le projet NewUni. Le thème retenu s’y prêtait particulièrement vu l’importance accordée par ces deux établissements à l’entrepreneuriat.

Ce col­loque a attiré une assis­tance à la fois nom­breuse et par­ti­c­ulière­ment jeune dans l’hémicycle du CESE au palais d’Iéna. En ouvrant la séance, Bruno Angles (84), prési­dent de l’AX, a souligné la portée sym­bol­ique de l’événement – le rap­proche­ment X‑HEC –, puis a invité Denis Luc­quin, prési­dent de Sofinno­va Part­ners, à fix­er un cadre au débat du jour : com­ment faire pour que, par­mi les cen­taines de start-up qui voient le jour chaque année en France et en Europe, émerge un nom­bre sig­ni­fi­catif de licornes, ces sociétés récentes et non cotées en Bourse dont la valeur dépasse le mil­liard de dol­lars ? Ce dernier a beau­coup insisté sur le fait qu’au-delà du con­texte dans lequel évolu­ent les entre­pris­es, le marché, l’écosystème, l’environnement financier…, c’est l’ambition des fon­da­teurs qui est déterminante.

L’ambition de créer du nouveau

Cette ques­tion de l’ambition a été le fil directeur de la pre­mière table ronde ani­mée par le pre­mier ora­teur. Elle a rassem­blé deux créa­teurs d’entreprise et deux investis­seurs : le doc­teur Pierre-Hen­ri Ben­hamou cofon­da­teur et dirigeant de DBV Tech­nolo­gies qui développe de nou­veaux traite­ments basés sur l’immunothérapie con­tre les aller­gies ali­men­taires ; Quentin Soulet de Brugière (M 2015), cofon­da­teur de Dreem, société qui ambi­tionne de diag­nos­ti­quer et traiter les trou­bles du som­meil ; Isabelle de Cre­moux, prési­dente du direc­toire de Sev­en­ture, société d’investissement gérant 700 mil­lions d’euros et s’intéressant prin­ci­pale­ment au micro­bio­me ; et enfin, Jean-Marc Patouil­laud, man­ag­ing part­ner de Partech Ven­tures, fonds de cap­i­tal-risque. Ils ont été unanimes à soulign­er l’importance de l’ambition, non pas l’ambition per­son­nelle mais celle d’un pro­jet partagé par une équipe. Pour les investis­seurs, l’adhésion col­lec­tive au pro­jet et la valeur de l’équipe l’emportent sur la per­ti­nence de l’idée qui sous-tend le pro­jet. L’ambition est aus­si celle des investis­seurs : sont-ils prêts à apporter assez d’argent et assez longtemps pour faire émerg­er des licornes ? Et com­ment la France et l’Europe peu­vent-elles rivalis­er avec la Sil­i­con Val­ley, cet écosys­tème excep­tion­nel ? Envoy­er des start-up français­es se frot­ter au marché améri­cain et acquérir ain­si un label plané­taire est une piste envis­age­able, pour autant qu’elles ne per­dent pas leurs racines.

Le rôle de grands groupes

La deux­ième table ronde ani­mée par Lyes Ghamis­sou, prési­dent de Mcii et accom­pa­g­na­teur de start-up, s’est intéressée à l’apport des grands groupes au développe­ment des jeunes entre­pris­es. Stéphane Guinet, fon­da­teur et directeur général de Kamet, un incu­ba­teur du monde de l’assurtech créé par AXA, Marie-Hélène Gra­matikoff, qui a créé et dirige Lac­tips, une start-up qui conçoit des plas­tiques biodégrad­ables et hydrosol­ubles, Georges Pas­set, ex-prési­dent de Bouygues Tele­com Ini­tia­tives et Pierre-Éti­enne Roinat, cofon­da­teur et prési­dent de Recom­merce, société spé­cial­isée dans le recon­di­tion­nement des smart­phones ont débat­tu des avan­tages d’une coopéra­tion entre grands groupes et start-up. Pour ces dernières, c’est sou­vent vital car, à moins de procéder à des lev­ées de fonds énormes, elles peu­vent dif­fi­cile­ment espér­er pren­dre une posi­tion forte dans le marché du B2C. Leurs débouchés naturels sont donc beau­coup dans le B2B : le parte­naire indus­triel apporte des com­pé­tences et des effets de taille. Par exem­ple, Recom­merce a eu accès à un marché impor­tant de recon­di­tion­nement grâce à son parte­nar­i­at avec Bouygues Tele­com qui lui a amené une grosse clien­tèle. Et les grandes sociétés trou­vent dans ces coopéra­tions plus d’agilité et de créa­tiv­ité car ces parte­nar­i­ats leur per­me­t­tent de s’affranchir des rigid­ités et con­traintes internes.

Cela soulève la ques­tion de la forme du parte­nar­i­at ain­si noué et en par­ti­c­uli­er d’une prise de par­tic­i­pa­tion des groupes dans les start-up. Les débat­teurs se sont accordés à con­sid­ér­er que la rela­tion de parte­nar­i­at doit être essen­tielle­ment com­mer­ciale et que, si prise de par­tic­i­pa­tion il y a, il faut la lim­iter à 10 ou 20 %. À la ques­tion « pourquoi si peu de licornes en France ? », ils ont apporté un pre­mier élé­ment de réponse : les start-up doivent courir très vite pour garder leur avance et donc pou­voir trou­ver des relais financiers rapi­de­ment mis en place, alors que les proces­sus de déci­sion sont encore trop lents. 

Créer et retenir des licornes

Emmanuel Chain a été le mod­éra­teur de la troisième table ronde qui a per­mis d’entendre Stéphane Bou­j­nah, prési­dent du direc­toire d’Euronext, Nico­las Dufour­cq, directeur général de Bpifrance, Frédéric Jous­set, cofon­da­teur de Web­help et prési­dent d’HEC Alum­ni et André Muller CFO d’Actelion, une biotech suisse achetée pour 30 mil­liards de dol­lars par John­son & John­son en 2017. Des débats cen­trés sur la ques­tion : pourquoi et com­ment créer des licornes en Europe ? Sur la ques­tion du pourquoi, le pre­mier argu­ment avancé est celui de notre indépen­dance et du risque d’être vic­time du colo­nial­isme numérique. À cela s’ajoute l’intérêt pour l’emploi, pour les investis­seurs et pour les béné­fi­ci­aires des ser­vices – en par­ti­c­uli­er les patients dans le domaine médi­cal. Se con­tenter d’acheter à l’étranger, c’est entr­er dans une logique d’esclavage ; pro­duire, c’est entr­er dans une logique de lib­erté. La ques­tion du com­ment est plus dif­fi­cile, car force est de con­stater que l’Europe des start-up et du numérique reste à créer : les écosys­tèmes sont frac­tion­nés, il n’existe pas un gros pôle de liq­uid­ités et le marché, c’est vingt langues et encore plus de sys­tèmes fis­caux ou juridiques. Autre hand­i­cap, le faible nom­bre de com­pag­nies dont l’histoire nour­rit des légen­des : trois cents licornes aux USA et une trentaine en Europe (SAP, Das­sault Sys­tèmes…). Il y a toute­fois des raisons d’espérer. Les jeunes sociétés ne lim­i­tent plus leur ambi­tion à un marché mais ont une vision mon­di­ale de leur avenir. Les acteurs des écosys­tèmes appren­nent vite et pro­gressent. Et des voies de pro­grès sont claire­ment iden­ti­fi­ables : dévelop­per l’usage de l’anglais – qui doit être con­sid­éré comme une com­pé­tence et non une langue –, amélior­er les con­di­tions d’exploitation des mass­es de don­nées (on peut s’interroger sur les effets de la RGPD), ori­en­ter l’épargne de façon très ambitieuse vers l’appareil pro­duc­tif (pourquoi pas via des fonds de retraite ?), décloi­son­ner l’Europe.

Lever les tabous français

En con­clu­sion de ces débats, Frédéric Jous­set a souligné l’importance d’une ambi­tion forte, qui soit non pas de l’arrogance mais une arme con­tre tous les obsta­cles à sur­mon­ter, une ambi­tion qui nous aide aus­si à lever tous les tabous qui paral­y­sent ou freinent notre action. Il s’est égale­ment félic­ité de la qual­ité de ce col­loque qui rap­proche deux écoles ayant en com­mun une longue his­toire et une cul­ture de l’excellence, écoles qui doivent se réin­ven­ter face à la com­péti­tion mondiale.


Bruno Angles et frédéric Jous­set avec les lau­réats du con­cours de pitchs, Nico­las Cru­aud (X 2016), pour la société Néolithe et Marc Prem­pain (HEC) pour ViiBE.

Néolithe et Viibe à l’honneur

Les paus­es qui ont mar­qué l’après-midi ont per­mis un con­cours de pitch­es. Dix jeunes entre­pris­es, cinq fondées par des HEC et cinq par des X, ont eu quelques min­utes pour présen­ter leurs pro­jets et un jury a désigné le lau­réat dans cha­cun de ces groupes. Bruno Angles a annon­cé les résul­tats en clô­ture de la journée.
Le lau­réat X est Nico­las Cru­aud (2016), avec la société Néolithe qui développe des gran­u­lats écologiques pour la con­struc­tion ; et côté HEC, c’est Marc Prem­pain avec ViiBE, un ser­vice de téléas­sis­tance augmentée.

Poster un commentaire