Lionel STOLERU (56)

Colloque de l’AX 2016 Table ronde : Insertion sociale , un peu d’audace

Dossier : Publications des lecteursMagazine N°Colloque de l'AX 2016 Table ronde : Insertion sociale , un peu d'audace

Les articles de la brochure concernant l’insertion sociale

Revenu de base : un consensus social est possible

Lionel STOLERU (56)
Ancien ministre et économiste

Le Sénat a récem­ment ren­du un rap­port favo­rable au reve­nu de base. Pour l’ancien ministre Lio­nel Sto­lé­ru, ce méca­nisme révo­lu­tion­naire serait effi­cace, mais aus­si beau­coup plus simple tant pour l’administration que pour les citoyens.

À une époque où un can­di­dat à l’élection pré­si­den­tielle a droit à une minute dans le débat télé­vi­sé pour dire com­ment réfor­mer la France, il est dou­teux que les 400 pages du récent rap­port du Sénat sur le reve­nu de base soient lues et com­men­tées. C’est bien dom­mage car la vraie révo­lu­tion sociale de notre pays est dans ces pages qui, en pleine cam­pagne poli­tique, ont en outre le mérite d’être cosi­gnées par des séna­teurs de droite, du centre et de gauche. Cela me rap­pelle le temps où M. Rocard et moi-même avions pu faire voter le RMI à l’unanimité.

La marche de l’Histoire, dans la lutte contre la misère, est claire

La marche de l’Histoire, dans la lutte contre la misère, est claire. Le RMI don­nait de quoi man­ger à tous, mais sous forme sta­tique : 100 euros de gagnés par un tra­vail le fai­saient dimi­nuer de 100 euros. Pour don­ner une inci­ta­tion finan­cière au tra­vail, le RSA lui suc­cé­da, en ne dimi­nuant que de 32 euros pour 100 euros de gagnés. La prime d’activité qui vient de lui suc­cé­der uni­fie un peu plus le dis­po­si­tif social en inté­grant l’ancienne prime pour l’emploi. Et le rap­port Sirugue de février der­nier pro­pose de ras­sem­bler tous les mini­ma sociaux. La voie est donc ouverte à une pres­ta­tion unique.

Laquelle ?

Le Sénat, au terme de nom­breuses audi­tions aux­quelles j’ai par­ti­ci­pé et de mis­sions à l’étranger pour s’informer des solu­tions à l’étude, s’est ral­lié au pro­jet d’un « reve­nu de base » qui conforte le dis­po­si­tif actuel en y ajou­tant deux inno­va­tions « révolutionnaires ».

La pre­mière, celle qui retien­dra le plus l’attention et fera le plus débat, consiste à don­ner, de l’âge adulte à la mort, une même somme men­suelle à tout citoyen quel que soit son revenu.

Je pense que, en bas de l’échelle, depuis la créa­tion du RMI, on a exor­ci­sé le démon de la « prime aux fai­néants » en consta­tant que le niveau modeste du RMI ou du RSA per­met de sur­vivre mais n’enlève pas la moti­va­tion de trou­ver un tra­vail. Par contre, en haut de l’échelle, l’idée de ver­ser une prime men­suelle à Mme Bet­ten­court ou à Car­los Ghosn va inexo­ra­ble­ment sus­ci­ter une stu­pé­fac­tion et une indi­gna­tion jusqu’à ce qu’on arrive à expli­quer que cette prime sera reprise par l’impôt. Vient alors la ques­tion : « pour­quoi don­ner si c’est pour reprendre ? ». Et la réponse : pour ne plus avoir à avoir des mil­liers de fonc­tion­naires deman­dant aux can­di­dats de rem­plir des dos­siers de 15 pages et de jus­ti­fier leur situa­tion financière.

Pour que les béné­fi­ciaires n’aient plus honte à le deman­der et à être consi­dé­rés comme des men­diants de la cha­ri­té publique, de l’assistanat et autres stig­ma­ti­sa­tions. Tout citoyen, pauvre ou riche, béné­fi­cie de la Sécu­ri­té Sociale : il en sera de même pour le reve­nu de base.

Tout citoyen, pauvre ou riche, bénéficie de la Sécurité Sociale : il en sera de même pour le revenu de base.

La seconde révo­lu­tion, au moins aus­si impor­tante que la pre­mière, est de sor­tir cette aide du sys­tème social pour l’intégrer au sys­tème fis­cal. Finis les dos­siers aux caisses sociales, aux aides dépar­te­men­tales, et autres acteurs sociaux syn­di­caux ou admi­nis­tra­tifs. C’est l’impôt qui gère le dispositif.

Pour pour­suivre la com­pa­rai­son pré­cé­dente, chaque citoyen aura un compte fis­cal de la même manière qu’il a son compte médi­cal « AMELI » à l’Assurance Mala­die. Ce compte fis­cal existe déjà par la mise en ligne de nom­breux contribuables.

Chaque mois, tout citoyen, riche ou pauvre, ver­ra appa­raître sur son compte fis­cal le ver­se­ment du reve­nu de base. S’il n’a aucun reve­nu, le Tré­sor Public lui enver­ra le chèque cor­res­pon­dant ou le vire­ra sur son compte en banque. Au fur et à mesure qu’il acquiert des reve­nus, ce ver­se­ment dimi­nue­ra, s’annulera à un cer­tain seuil au-delà duquel ce sera au citoyen de payer son impôt. La tranche supé­rieure des reve­nus com­por­te­ra, dans l’impôt glo­bal, le rever­se­ment inté­gral du reve­nu de base.

Alors, reste évidemment la question essentielle : combien ?

Première réponse : le revenu de base doit être au moins égal au SMIC.

Pre­mière réponse, « liber­ta­ro-uto­piste » : le reve­nu de base doit être au moins égal au SMIC (1 000 euros par mois envi­ron) pour que tout homme ou toute femme puisse conduire sa vie sans réfé­rence obli­ga­toire au « tra­vail ». Dans cette concep­tion, tout être humain a par nature une acti­vi­té propre qui lui per­met de s’épanouir, et, ce fai­sant d’apporter une contri­bu­tion à la socié­té : le tra­vail, certes, mais aus­si la vie asso­cia­tive, la vie fami­liale, la pein­ture, l’ornithologie… Pour­quoi une socié­té riche ne lui en don­ne­rait-elle pas les moyens ?

Deuxième réponse : le revenu de base doit être toujours nettement inférieur à la rémunération de tout travail à temps plein.

Deuxième réponse (la mienne, acces­soi­re­ment) : le reve­nu de base est une « sécu­ri­té sociale » de base, un filet de sécu­ri­té qui per­met d’écarter l’angoisse de la faim, de la pau­vre­té, de l’exclusion, qui per­met, dans une passe tra­gique de la vie, de sur­vivre et de pré­pa­rer son retour dans la socié­té. Il doit donc être tou­jours net­te­ment infé­rieur à la rému­né­ra­tion de tout tra­vail à temps plein. Le niveau actuel du RSA (500 euros par mois envi­ron) semble répondre à la ques­tion, ce qui prouve, soit dit en pas­sant que le reve­nu de base ne coû­te­ra pas plus cher que le dis­po­si­tif actuel, et même sans doute moins grâce à la sup­pres­sion de mil­liers de fonc­tion­naires du sys­tème social actuel.

Un rapport national transpartisan

La Suisse vient de voter sur ce sujet, avec 70 % de votes contre et 30 % de votes pour. Un jour ou l’autre, ces 30 %, score non négli­geable, devien­dront 50 %. La Fin­lande lance au 1er jan­vier pro­chain une expé­ri­men­ta­tion ambi­tieuse de ce dis­po­si­tif. Le rap­port du Sénat, qui a com­pris le sens de l’Histoire pro­pose des expé­ri­men­ta­tions régio­nales. Plu­sieurs can­di­dats de gauche à l’élection pré­si­den­tielle com­mencent à en parler.

Qu’attendent les can­di­dats de droite pour en faire autant ? Que Mme Le Pen le pro­pose ? Ne voient-ils pas qu’il y a là un pro­jet natio­nal trans­par­ti­san ? Entre la paru­tion de mon livre sur le reve­nu mini­mum et la créa­tion du RMI, il a fal­lu 15 ans. Entre le RMI et le RSA, il a fal­lu 20 ans. Entre le RSA et le reve­nu de base, il fau­dra sans doute à nou­veau 20 ans.

Qu’importe, pour­vu que nous avan­cions ! « Pre­nons garde, nous disait déjà Paul Valé­ry, de ne pas entrer dans l’avenir à reculons. »

Jean SAAVEDRAL’apprentissage, une expérience unique

Jean SAAVEDRA
Conseil stratégique en projet d’éducation

Les écoles, puis les admi­nis­tra­tions reculent volon­tiers devant les exi­gences humaines de l’apprentissage. Mais celles-ci pour­raient bien être le prix à payer pour arra­cher les jeunes de tous niveaux au sort qui leur est fait aujourd’hui.

Dans les années 1990, la région Île-de-France entre­voit l’impact déci­sif que pour­rait avoir l’apprentissage sur les rela­tions entre éta­blis­se­ments d’enseignement et entre­prises. Elle en fait le fer de lance de sa poli­tique ter­ri­to­riale. Il lui faut pour cela réani­mer le bloc de l’apprentissage natio­nal, figé dans l’affrontement sans mer­ci entre Édu­ca­tion natio­nale et orga­ni­sa­tions patro­nales. L’une tient les diplômes ; les autres détiennent les fonds des entreprises.

L’idée de génie est de désta­bi­li­ser ce bloc en ouvrant l’apprentissage au-des­sus et au-des­sous des niveaux aux­quels il sévit, à charge pour l’enseignement supé­rieur d’être la loco­mo­tive de l’ensemble.

Il y a vingt-cinq ans, il n’y avait rien mais, en un sens, il y avait déjà tout

C’est ain­si que je peux contri­buer au déve­lop­pe­ment de l’apprentissage à l’Essec, auprès du pro­fes­seur Alain Ber­nard, son archi­tecte et son âme même, et à notre action com­mune de pro­mo­tion de l’apprentissage dans l’enseignement supé­rieur. Aupa­ra­vant, j’avais par­ti­ci­pé à la créa­tion à Pois­sy, au tout début des années 1990, d’un Centre de for­ma­tion d’apprentis pré­pa­rant aux CAP, BEP et BAC pro­fes­sion­nel com­merce des jeunes de zones sensibles.

Revenir à Poissy

Il fal­lait reve­nir à Pois­sy pour rendre vivante une époque habi­tée par des pionniers.

Je suis donc redes­cen­du à la gare de Pois­sy, j’ai lon­gé la Col­lé­giale et me suis enfon­cé dans un mer­veilleux che­min pavé, assez large, qui ser­pente entre les murs des pro­prié­tés implan­tées sur ce qui fut le prieu­ré royal et le monas­tère des Domi­ni­caines. Tout au bout de cet enclos de l’abbaye, je suis repas­sé sous le porche pour admi­rer cette cathé­drale laïque toute de pierre, de bois et de verre, dont la construc­tion, qui jouxte la grange de Pois­sy, fut orches­trée par les Bâti­ments de France et finan­cée par le Conseil régio­nal d’Île-de-France, sur le vaste ter­rain en pente situé à l’arrière du col­lège Notre-Dame de Poissy.

De tous les beaux CFA éri­gés par la Région, celui-ci est sans doute l’un des plus élé­gants, l’un des plus ico­niques aus­si, aux confins ima­gi­naires du royaume de Saint Louis et des zones sensibles.

Raconter l’histoire de l’apprentissage, c’était ressentir à nouveau le souffle puissant qui, dans les années 1990, s’est emparé des établissements d’enseignement de niveaux très différents qui se dotèrent de Centres de formation d’apprentis (CFA) afin de travailler comme jamais avec les entreprises au quotidien et de façon concrète. Mais impossible d’oublier que cette innovation essentielle pour la France – être révolutionnaire avec les entreprises et non pas contre elles – a déclenché une réaction d’intolérance relayée par la folie administrative de la collecte de la taxe, des réglementations mouvantes et des lobbyistes furieux. Il fallait donc retrouver le souffle avant de traiter de la folie.

L’invention d’un CFA

Quand j’y suis arri­vé, il y a vingt-cinq ans, on entrait par le col­lège et der­rière, jusqu’à l’enclos, il n’y avait rien. Mais, en un sens, il y avait déjà tout car il y avait le pro­jet qui réunis­sait Pierre Gan­dos­si, le direc­teur de la mis­sion locale qui sou­hai­tait offrir l’apprentissage aux jeunes qu’il accom­pa­gnait, et Monique Fran­çois, la direc­trice du col­lège, qui vou­lait déployer un dis­po­si­tif d’enseignement allant jusqu’au bac et qui cher­chait déjà des pistes pour des élèves de troi­sième en souffrance.

Ils avaient convain­cu les pou­voirs publics d’ouvrir un CFA et allaient confier à un novice la direc­tion des opé­ra­tions. Pen­dant que le bâti­ment s’élevait, je m’appuyais simul­ta­né­ment sur la tra­di­tion péda­go­gique de l’enseignement catho­lique et sur l’expérience de l’accompagnement de la mis­sion locale.

Trouver des solutions

J’ai construit un binôme for­mé de Marie-Odile Morice, issue du col­lège, et Daniel Blé­riot, un ancien édu­ca­teur qui avait oeu­vré dans le com­merce de chaus­sures. Pen­dant des années, ils rece­vraient ensemble tout jeune en déli­ca­tesse avec l’école pour trou­ver une solu­tion. Lui arpen­tait la val­lée de la Seine et expli­quait l’apprentissage à tous les types de com­merces. Elle rece­vait les jeunes en dehors des cours et de l’entreprise, pour régler les mille pro­blèmes que l’on a à cet âge-là.

Tel jeune, telle his­toire, telle envie, telle entre­prise. Pré­pa­rer le jeune, y mettre le temps qu’il faut grâce à des pas­se­relles spé­ci­fiques, trou­ver un contrat, faire tenir le contrat, retrou­ver un contrat en cas de rup­ture, évi­ter que ni l’entreprise ni l’apprenti ne se décou­ragent. Les for­ma­teurs effec­tuaient des visites régu­lières en entreprise.

Suivre cha­cun, un par un, pen­dant des années. Michèle Pons, elle aus­si issue du col­lège, ani­mait l’équipe péda­go­gique et résol­vait les ques­tions d’examens. Les résul­tats étaient au ren­dez-vous et ils le sont res­tés : entre 90 % et 100 % aux der­nières sessions.

Le métier de l’apprentissage

Bru­no Mariette, l’actuel direc­teur, qui accueille 450 appren­tis, m’a dit avoir per­çu, dès sa prise de fonc­tions, cet ADN de l’accompagnement qui consti­tue la signa­ture de ce CFA. C’est cet ADN qui nous avait appor­té nos heures de gloire, quand le rec­teur Fré­mont de l’académie de Ver­sailles, que j’invitai dans le bâti­ment flam­bant neuf, avait tenu à y ras­sem­bler les chefs d’établissement du public des envi­rons pour leur enjoindre d’orienter cer­tains de leurs élèves vers notre CFA : inou­bliable pragmatisme.

UN JOUR DE GLOIRE

Il y a eu aussi ce jour où Daniel et moi avons scellé avec le groupe Casino notre premier grand partenariat, qui dure toujours. Depuis, il y en a eu tant d’autres : toute la grande distribution alimentaire, l’univers de la maison, Bricolex, Castorama, et aussi Norauto, Marks & Spencer, Emling, Allianz, La Poste, LCL, sans parler des boutiques toujours fidèles.

Le CFA s’est adap­té à l’émergence d’un bac pro en trois ans et aux licences pro­fes­sion­nelles, tout en demeu­rant expert en ingé­nie­rie pour accro­cher les décro­cheurs, en main­te­nant des par­cours aux­quels d’autres renoncent, en se mon­trant vigi­lant lors des tran­si­tions qui sont autant de moments cri­tiques. Mais toutes ces exten­sions n’ont été pos­sibles que parce que la struc­ture de direc­tion a su se situer entre le corps pro­fes­so­ral et l’entreprise.

Trop de col­lu­sion avec le corps pro­fes­so­ral, et on entre au lycée pro­fes­sion­nel ; trop d’influence des entre­prises, et l’on perd de vue l’ouverture diplô­mante. Du point de vue macroé­co­no­mique, le monde de l’enseignement et celui de l’entreprise sont hos­tiles l’un à l’autre. Il faut retour­ner cette hos­ti­li­té, matière pre­mière avec laquelle nous tra­vaillons. Il faut créer du lien entre le for­ma­teur, l’apprenti et le maître d’apprentissage. Faire des réunions à trois, où le for­ma­teur expose la pro­gres­sion orga­ni­sée par l’alchimie des cours, le maître d’apprentissage les pro­jets de son entre­prise et l’apprenti ses réa­li­sa­tions. L’apprentissage est une vic­toire sur le malaise qui domine les rela­tions entre le monde de l’éducation et celui de l’entreprise.

Une scolarité heureuse

Avec l’expérience de Pois­sy, j’ai appris à déchif­frer le dis­po­si­tif tel­le­ment inven­tif qui s’installait à l’Essec. L’apprentissage par­ache­vait des années d’évolution des écoles de mana­ge­ment, il assu­rait la fusion du recours aux stages et de la pro­fes­sion­na­li­sa­tion du corps pro­fes­so­ral. Un intense tra­vail de para­mé­trage de la for­mule de l’apprentissage Essec était mené à coups d’enquêtes très sophis­ti­quées dans les­quelles s’impliquaient les appren­tis, cer­tains pro­fes­seurs et les res­pon­sables RH d’entreprises comme Shell ou IBM.

Le CFA était la direc­tion du déve­lop­pe­ment du groupe et, à tra­vers son prisme, se déci­daient les options qui ont fait l’Essec d’aujourd’hui. Les allées et venues dans les entre­prises de ces appren­tis à la sco­la­ri­té heu­reuse révo­lu­tion­naient l’école et tout l’enseignement supé­rieur fran­çais qui décou­vrait que l’apprentissage, qui allait comme un gant à l’Essec, était tout sim­ple­ment le modèle ache­vé des grandes écoles fran­çaises. L’Essec était de plain-pied avec la réa­li­té et entrait sans heurts dans la glo­ba­li­sa­tion. Mais l’alerte aurait dû venir de ces pro­fes­seurs pour qui il était impos­sible d’assurer les rela­tions à trois en entreprise.

Un dispositif trop exigeant

La véri­té est toute simple, le dis­po­si­tif était trop exi­geant. L’éducation à la réa­li­té qu’offre le tuto­rat ou l’accompagnement de l’apprenti, tout le monde n’est pas à même de la dis­pen­ser. On peut être un très bon pro­fes­seur sans avoir envie de pui­ser en soi les res­sources néces­saires à l’accomplissement d’une telle tâche.

L’apprentissage est une victoire sur le malaise qui domine les relations entre éducation et entreprise

Le temps s’est sus­pen­du dans l’enseignement supé­rieur : l’Essec deman­dait trop. Et c’est HEC, en créant la vogue de l’année de césure, qui a sou­la­gé toute une pro­fes­sion en vidant de son exi­gence le modèle mis à jour par l’Essec et son effort inédit de coopé­ra­tion des mondes de l’éducation et de l’entreprise. Dans les affron­te­ments qui s’en sont sui­vis, l’Essec a lais­sé trop de forces pour pou­voir deve­nir la loco­mo­tive de tout l’apprentissage et, par exemple, ame­ner le CFA de Pois­sy dans une entre­prise proche de l’Essec pour un par­te­na­riat tri­par­tite fon­dé sur une expé­rience com­mune, unique. Le souffle était trop court.

La folie administrative

Tous les affron­te­ments, à peine évo­qués ici, se cris­tal­li­sèrent sur la taxe d’apprentissage qui devint un enjeu déme­su­ré pour tout l’enseignement supé­rieur. À tel point que les régions crai­gnirent que ce der­nier ne finisse par confis­quer l’argent des autres niveaux de l’apprentissage. Alors, par un retour de balan­cier, à l’heure où l’on est cen­sé aimer les entre­prises, on rédui­sit consi­dé­ra­ble­ment leur ancienne capa­ci­té d’affecter leur taxe à l’établissement d’enseignement de leur choix. 51 % de cette taxe seront désor­mais affec­tés par les régions et plu­tôt aux bas niveaux de qualification.

Ce genre d’argument admi­nis­tra­tif est impa­rable. L’orientation annon­cée de l’argent vers les bas niveaux de qua­li­fi­ca­tion vaut bien la sup­pres­sion d’une liber­té. Mais, subrep­ti­ce­ment, cette dif­fé­ren­cia­tion en hauts et bas niveaux ne serait-elle pas un renon­ce­ment de plus, car, si l’éducation est une prio­ri­té, ne fau­drait-il pas abon­der l’ensemble du sys­tème de l’apprentissage ? Le divi­ser n’est-ce pas déjà une façon de l’affaiblir en tant que tel ?

Une autre injonc­tion admi­nis­tra­tive du même type nous apprend, dans un rap­port récent du Conseil d’analyse éco­no­mique (CAE), que l’apprentissage « devrait concer­ner en prio­ri­té les jeunes sans diplôme ». Mais au CFA de Pois­sy, il devient de plus en plus dif­fi­cile d’attirer ces jeunes, or une cen­taine d’entre eux pour­raient y être accep­tés sur-le-champ. Où sont-ils ? Sont-ils injoi­gnables du fait de leur situa­tion dégra­dée ? Mais sur­tout n’est-ce pas une vieille tac­tique de nous dire ce que nous devons faire pour nous détour­ner de ce que nous faisons ?

Bertrand CHÉDÉNQT, le réseau des entreprises pour l’égalité des chances

Bertrand CHÉDÉ
Responsable national partenariats et bénéficiaires de l’association NQT

Née d’une expé­ri­men­ta­tion auprès de 200 jeunes diplô­més en 2005, l’association NQT a per­mis à 30 000 jeunes diplô­més issus de milieux sociaux modestes, dont cer­tains résident en quar­tiers prio­ri­taires, de trou­ver emploi pérenne et qua­li­fié, en ins­cri­vant son action dans les enga­ge­ments socié­taux des entre­prises qui la soutiennent.

En 2005, Yazid Chir et Ray­nald Rim­bault, alors pré­sident et délé­gué géné­ral du Medef 93 Ouest, hommes d’entreprises qui connaissent bien les spé­ci­fi­ci­tés du ter­ri­toire de la Seine-Saint-Denis, s’inquiètent de la situa­tion des jeunes diplô­més. Leur chô­mage est par­ti­cu­liè­re­ment impor­tant, et sur­tout celui des jeunes diplô­més issus de quar­tiers prio­ri­taires ou de milieux sociaux modestes. Ces jeunes diplô­més manquent de confiance et de métho­do­lo­gie, leurs connais­sances du mar­ché du tra­vail, du monde de l’entreprise et de ses codes sont insuf­fi­santes pour répondre aux exi­gences des employeurs, et le réseau pro­fes­sion­nel leur fait défaut.

C’est en réponse qu’est mise en place l’opération « Nos Quar­tiers ont des Talents », qui donne nais­sance à un accom­pa­gne­ment indi­vi­dua­li­sé des jeunes diplô­més vers l’emploi grâce au sou­tien d’un réseau d’entreprises enga­gées et de leurs col­la­bo­ra­teurs. Les jeunes accom­pa­gnés sont tous diplô­més d’un bac + 3 mini­mum, Île-de-France excep­tée où le mas­ter 1 est requis, au minimum.

LES CHIFFRES CLÉS

32 000 jeunes diplômés accompagnés depuis 2005
8 140 parrains marraines impliqués
800 partenaires-mécènes
69 % des jeunes diplômés trouvent un emploi en 6 mois en moyenne

Parrainage collégial

Dans le cadre du par­rai­nage col­lé­gial, l’entreprise pro­pose à ses col­la­bo­ra­teurs cadres ou assi­mi­lés d’accompagner béné­vo­le­ment un jeune diplô­mé. Le par­rai­nage NQT n’est pos­sible que si l’entreprise sou­tient l’association. Les par­rains et mar­raines font béné­fi­cier de leur expé­rience les « filleuls » qu’ils accom­pagnent dans leur recherche, coachent et aident à la consti­tu­tion de leur réseau. NQT veille à faire cor­res­pondre le domaine de for­ma­tion des filleuls et le domaine d’expertise des par­rains ou des marraines.

Animations RH

Ces actions per­mettent aux entre­prises mécènes de sen­si­bi­li­ser les jeunes diplô­més aux métiers et réa­li­tés des entre­prises et des sec­teurs d’activité, tout en ins­cri­vant leur action dans une démarche glo­bale de trans­mis­sion des savoirs et de valo­ri­sa­tion des savoir-être et des savoir-faire.

De dif­fé­rents for­mats, elles sont ani­mées par des col­la­bo­ra­teurs RH ou métiers : ate­liers coa­ching, décou­vertes des métiers ou d’un sec­teur d’activité, visites de site ou de ser­vices, actions en faveur de la trans­fé­ra­bi­li­té de com­pé­tences, ou encore afterworks.

Un regard de chercheurs

« Nous vous pro­po­sons de contri­buer au livre blanc que va édi­ter l’association NQT à l’occasion des dix ans de son expé­ri­men­ta­tion fon­da­trice, et qui sera pré­sen­té au pré­sident de la Répu­blique. » Telle était l’offre faite au Centre de recherche en ges­tion de l’X (CRG), et qui a ras­sem­blé quatre cher­cheurs de l’École et un de Neo­ma Busi­ness School. Dès les pre­miers contacts, NQT a frap­pé par l’énergie qu’elle véhi­cu­lait, un atout pré­cieux pour des jeunes diplô­més, sou­vent décou­ra­gés, qui arri­vaient dans le giron de l’association après de nom­breux échecs.

Ensuite, c’est l’originalité du dis­po­si­tif qui sur­prend, par l’articulation qu’il réa­lise entre deux mondes aus­si éloi­gnés que celui de l’entreprise, repré­sen­tée par des cadres diri­geants de haut niveau, et celui de jeunes diplô­més qui viennent soit de quar­tiers prio­ri­taires, soit de caté­go­ries sociales défa­vo­ri­sées. Enfin, NQT se dis­tingue aus­si par sa réussite.

Une relation singulière mais reproductible

Sin­gu­lière, la rela­tion de par­rai­nage véhi­cule des attentes par­ti­cu­lières, l’un des enjeux étant de réus­sir à créer ce noeud entre les dif­fé­rentes par­ties pre­nantes. Pour le par­rain, il s’agit de déga­ger quelques heures pour ren­con­trer le jeune diplô­mé. Moti­vés par l’envie d’aider la jeune géné­ra­tion, de refu­ser l’injustice et l’exclusion, ou encore de rendre le coup de pouce qu’ils ont reçu, les par­rains revi­sitent un CV, aident à pré­pa­rer un entre­tien, ouvrent un réseau, tra­vaillent sur la confiance en soi du jeune diplô­mé. Pour le jeune diplô­mé, le simple accès à l’entreprise et à un cadre de haut niveau est déjà un pre­mier pas vers cette confiance.

Créer la bonne rencontre

Il se peut que, d’un côté comme de l’autre, cela ne fonc­tionne pas. Le tra­vail de NQT est alors de réai­guiller, de réajus­ter, de créer la « bonne » ren­contre entre par­rain et jeune. De rela­ti­vi­ser aus­si cer­taines attentes : ain­si, les jeunes ne doivent pas voir dans la rela­tion de par­rai­nage l’occasion de trou­ver un emploi dans l’entreprise du par­rain. On le voit, le res­pect de la sin­gu­la­ri­té et de la rela­tion per­son­nelle est une pré­oc­cu­pa­tion constante de NQT. Mais com­ment faire pour conci­lier cette exi­gence avec le fonc­tion­ne­ment à grande échelle de l’association ?

Singulière, la relation de parrainage véhicule des attentes particulières

Côté par­rains, c’est un sui­vi détaillé du par­cours du par­rain qui est réa­li­sé, grâce à des ren­contres et appels régu­liers. Mais c’est aus­si grâce au lien avec les entre­prises que se fait ce tra­vail à plus grande échelle. Des « bilans de par­rai­nage » sont régu­liè­re­ment orga­ni­sés dans les entre­prises. De manière plus quo­ti­dienne, les per­sonnes réfé­rentes dans les entre­prises sont un relais pour trou­ver de nou­veaux par­rains et sou­te­nir les par­rains existants.

Côté jeunes, l’un des défis est celui du sour­cing des jeunes, qui ren­voie à la néces­si­té de mieux faire connaître le dis­po­si­tif. Com­ment faire savoir et dif­fu­ser au plus grand nombre le ser­vice offert tout en essayant de nouer un contact direct et per­son­na­li­sé avec le jeune diplô­mé ? La prise en charge indi­vi­dua­li­sée repose ensuite lar­ge­ment sur le par­rain et sur des contacts régu­liers avec NQT, ain­si que sur la par­ti­ci­pa­tion à des acti­vi­tés pro­po­sées par l’association.

Un espace des possibles

Au-delà du prin­cipe simple et effi­cace du par­rai­nage, l’association en est venue à déve­lop­per avec ses par­te­naires-mécènes un ensemble d’autres « outils » et dis­po­si­tifs. Il y a par exemple les ses­sions d’accompagnement col­lec­tif, où se ren­contrent un groupe de jeunes et un groupe de sala­riés de la même entre­prise (sou­vent une équipe), pour un ate­lier sur les CV, une pré­sen­ta­tion de l’entreprise.

Il y a aus­si, avec les par­te­naires publics comme les col­lec­ti­vi­tés ou les uni­ver­si­tés, l’organisation de ren­contres ras­sem­blant les jeunes d’un ter­ri­toire don­né, pour dyna­mi­ser les actions d’insertion locale vers l’emploi. Du seul dis­po­si­tif du par­rai­nage, qui tire en par­tie son évi­dence de sa sim­pli­ci­té, on est pas­sé à un ensemble de dis­po­si­tifs ras­sem­blés dans le cadre d’un partenariat.

Un laboratoire permanent

Qu’est-ce qui carac­té­rise ces par­te­na­riats ? Ils per­mettent un fonc­tion­ne­ment à deux niveaux, puisqu’ils favo­risent la par­ti­ci­pa­tion des indi­vi­dus tout en garan­tis­sant une place à l’institution. C’est une des clés de l’image de labo­ra­toire per­ma­nent ren­voyée par NQT : en fonc­tion­nant comme un meuble à mul­tiples tiroirs, lais­sant chaque acteur, pri­vé ou public, indi­vi­duel ou ins­ti­tu­tion­nel, trou­ver une place dans l’action asso­cia­tive, elle favo­rise les ren­contres, les inter­ac­tions, les sur­prises, les idées. Les par­te­na­riats offrent un espace rela­tion­nel sta­bi­li­sé à l’intérieur duquel une diver­si­té d’actions est possible.

Transmettre des énergies

Toutes les actions évo­quées pré­cé­dem­ment ne seraient pas aus­si effi­caces sans la for­mi­dable éner­gie qui cir­cule dans le réseau NQT. Tel un cou­rant élec­trique, celle-ci vient ali­men­ter, nour­rir et démul­ti­plier les ini­tia­tives et les actions enga­gées. Cette éner­gie, qui sus­cite l’engagement des acteurs, passe géné­ra­le­ment par des ren­contres par­ti­cu­lières – entre tel diri­geant d’entreprise sou­cieux et l’un des membres de l’association, entre tel par­rain et tel jeune sur un ensemble d’actions à mener conjoin­te­ment –, mais aus­si (et sur­tout) par des évé­ne­ments col­lec­tifs créés par NQT.

Créer des liens

Les lan­ce­ments et autres bilans de par­rai­nage, les évé­ne­ments fes­tifs orga­ni­sés par l’association, les séances d’information orga­ni­sées chez les par­te­naires publics en direc­tion des jeunes diplô­més, les réunions d’intégration à des­ti­na­tion des jeunes nou­vel­le­ment entrés dans le dis­po­si­tif, les remises de tro­phées NQT consti­tuent autant d’événements fédé­ra­teurs et mobi­li­sa­teurs qui per­mettent de créer des liens, de sen­si­bi­li­ser les acteurs, de sus­ci­ter des voca­tions (de par­rains ou mar­raines), de déve­lop­per le sen­ti­ment d’appartenance à la com­mu­nau­té NQT et de don­ner du sens à l’action collective.

Ces évé­ne­ments per­mettent aus­si de faire naître chez les par­ti­ci­pants un cer­tain nombre d’émotions et de sen­ti­ments posi­tifs qui sont des leviers puis­sants sur le plan de l’engagement et de la moti­va­tion. Cette force, cette éner­gie impal­pable et dif­fi­cile à objec­ti­ver consti­tue un actif imma­té­riel, une sorte de « capi­tal social » qui est l’une des sources de la per­for­mance de NQT.

DES ENTREPRISES ENGAGÉES POUR L’ÉGALITÉ DES CHANCES

Les entreprises sont au coeur de l’association. Outre les grands groupes, des ETI, PME et TPE sont toujours plus nombreuses à rejoindre les rangs des partenaires-mécènes de NQT.
De même, la mobilisation des collaborateurs est un enjeu décisif. Il est essentiel que le nombre de parrains et marraines croisse dans une proportion similaire à celui des jeunes diplômés. En 2015, plus de 220 entreprises adhérentes sont des PME, près de 120 sont des ETI et plus de 20 sont des grands groupes, dont 13 ont plus de 20 000 salariés.
En 2015, NQT s’est lancé un grand défi : accompagner 100 000 jeunes d’ici à 2025.

Franck CHAIGNEAUUne utopie qui dure

Franck CHAIGNEAU
Fondateur des tables de CANA

Depuis 30 ans, du point de vue de l’emploi, la situa­tion s’est gra­ve­ment dété­rio­rée, relé­guant les plus fra­giles au rang de lais­sés-pour-compte d’un modèle éco­no­mique de plus en plus contrai­gnant. Face aux contraintes de pro­duc­ti­vi­té et au coût du tra­vail, les besoins en qua­li­fi­ca­tions gran­dis­sant sans cesse, la liste des « inadap­tables » s’allonge. L’automatisation, plé­bis­ci­tée au nom du pro­grès, rem­place pro­gres­si­ve­ment le tra­vail humain peu qua­li­fié. L’industrialisation rem­place l’artisanat. La mon­dia­li­sa­tion et la finan­cia­ri­sa­tion excluent beau­coup plus qu’elles n’incluent.

C’est en 1985, dans un envi­ron­ne­ment éco­no­mique domi­né par le début de la crise du chô­mage – avec 300 000 ins­crits – et le début de la mar­gi­na­li­sa­tion des plus dému­nis, qu’est créée La Table de Cana. Depuis, l’association assume une mis­sion d’insertion par l’activité éco­no­mique (IAE) dans le sec­teur du trai­teur et de la restauration.

Après avoir accom­pa­gné des mil­liers de béné­fi­ciaires force est de consta­ter que les « freins à l’emploi » repé­rés en phase d’insertion des actifs mar­gi­na­li­sés, sont les maux clas­siques affli­geant notre société

  • dépres­sion, mar­gi­na­li­té, sur­en­det­te­ment, drogue, mau­vaise ali­men­ta­tion, vio­lence, etc.
  • mais trouvent leur caisse de réso­nance dans l’absence d’emploi et le sen­ti­ment d’injustice.

Schéma de fonctionnement des tables de Cana
Voi­ci com­ment La Table de Cana de Gen­ne­vil­liers, à l’instar des autres Table de Cana, résume son impact sociétal

Deux tiers des effec­tifs de La Table de Cana sont consti­tués de publics très éloi­gnés du mar­ché de l’emploi (85 % ont un niveau CAP ou infé­rieur et 50 % per­çoivent le RSA Socle) à qui elle pro­pose un accom­pa­gne­ment per­son­na­li­sé dans sa glo­ba­li­té. L’objectif est double : apprendre un métier avec le com­por­te­ment pro­fes­sion­nel adap­té, iden­ti­fier et agir sur les freins à l’emploi dans un péri­mètre très large.

Le but étant d’aborder le mar­ché du tra­vail avec dis­po­ni­bi­li­té et ouver­ture en vue de s’y main­te­nir dans le temps.

Vers un impact sociétal grandissant

L’entreprise d’insertion a pour mis­sion de conci­lier l’économique et le social, un équi­libre entre deux contraintes anti­no­miques par nature : la recherche du pro­fit pour péren­ni­ser l’entreprise et une action sociale réflé­chie visant des objec­tifs de pro­grès indi­vi­duels. Elle est un lieu d’échanges et d’interactions et, par beau­coup de côtés, un véri­table labo­ra­toire d’expériences.

Remplacer le droit au chômage par le droit à l’emploi

En ten­sion per­pé­tuelle entre des par­ties pre­nantes pas tou­jours en cohé­rence (clients, four­nis­seurs, pou­voirs publics, béné­fi­ciaires et réfé­rents sociaux, sala­riés per­ma­nents), elle est pré­dis­po­sée à déve­lop­per une approche holis­tique fon­dée sur la recherche de sens.

La chaîne de sens

  • Une gou­ver­nance par­ti­ci­pa­tive impli­quant tous ses per­ma­nents dans les déci­sions du quo­ti­dien et dans ses résul­tats, invi­tant les col­la­bo­ra­teurs à deve­nir des coéla­bo­ra­teurs au ser­vice des clients et de l’insertion.
  • Un choix de cui­sine « fait mai­son », plus lourd et à contre ten­dance, mais por­teur de for­ma­tion et per­met­tant la trans­mis­sion d’un pré­cieux savoir-faire.
  • Des appro­vi­sion­ne­ments don­nant la prio­ri­té aux pro­duits frais, de sai­son, issus de l’économie locale et arti­sa­nale, sou­vent aus­si bio ou équi­tables, garants de qua­li­té et de san­té, et res­pec­tueux de l’homme et de son environnement.
  • Un fort impact sur l’emploi local en tant qu’employeur direct, en posant des choix à forts besoins de maind’oeuvre (res­tau­ra­tion tra­di­tion­nelle et inser­tion), et indi­rect, en plé­bis­ci­tant des appro­vi­sion­ne­ments de la petite dis­tri­bu­tion de proximité.
  • Une démarche éco­res­pon­sable volon­ta­riste, enga­gée dans les enjeux d’une pla­nète durable et au ser­vice de l’homme.
  • Une pres­ta­tion sociale réflé­chie pour et avec des exclus du mar­ché du tra­vail grâce à un accom­pa­gne­ment per­son­na­li­sé et glo­bal visant l’épanouissement indi­vi­duel et l’emploi pérenne.
  • Une entre­prise trans­pa­rente, ouverte aux par­te­na­riats avec clients, entre­prises, ins­ti­tu­tions du monde asso­cia­tif, por­teurs de créa­tion d’emploi et de jus­tice sociale.

Si au lieu de remettre à l’emploi des sala­riés qui, à chô­mage constant, pren­dront inévi­ta­ble­ment la place d’autres, à l’image d’un vase trop plein, une évo­lu­tion volon­taire de la socié­té per­met­tait la créa­tion de nou­veaux emplois pour les plus fra­giles, on enclen­che­rait un cercle ver­tueux aux effets démultipliés.

Pour­quoi alors, ne pas oser mur­mu­rer tout haut l’utopie du rem­pla­ce­ment du droit au chô­mage par le droit à l’emploi ?

Louis BROUSSE (53)Plaidoyer pour la réinsertion des sortants de prison

Louis BROUSSE (53)
Président d’honneur de Motorola

Pour beau­coup de nos conci­toyens, la libé­ra­tion d’un déte­nu est per­çue comme un dan­ger pour la socié­té. Cette atti­tude est en par­tie la consé­quence de la média­ti­sa­tion des grandes affaires judi­ciaires. Les médias ne s’intéressent qu’aux cas les plus spec­ta­cu­laires, dans les­quels les vic­times attirent la com­pas­sion de l’opinion publique qui, en retour, condamne le pré­ve­nu sans nuances.

Le 9 jan­vier 2013, à l’occasion de l’audience solen­nelle de ren­trée de la cour d’appel de Paris, Jacques Degran­di, Pre­mier Pré­sident, décla­rait ain­si : « La mise en scène du mal­heur des­ti­née à favo­ri­ser le deuil des vic­times déna­ture la jus­tice pénale et la trans­forme en simple ins­tru­ment de ven­geance col­lec­tive et indi­vi­duelle ». L’horreur des atten­tats ter­ro­ristes a encore accru le rejet indis­cri­mi­né de ceux qui ont connu la pri­son, quelle qu’ait pu être la rai­son de leur incarcération.

Tous les détenus ne sont pas des criminels ou des délinquants dangereux

Les per­sonnes cou­pables de crimes, de délits sexuels ou pas­sibles de peines lourdes ne repré­sentent qu’une mino­ri­té de condam­nés. La popu­la­tion car­cé­rale est extrê­me­ment diverse : qu’y a‑t-il de com­mun entre un bra­queur de bijou­te­rie, un ven­deur de can­na­bis, un escroc, un voleur de voi­ture ou un jeune condam­né à deux mois de pri­son pour conduite sans per­mis ? L’opprobre, com­pré­hen­sible, envers les auteurs de délits graves aux consé­quences dou­lou­reuses, s’étend à l’ensemble des délinquants.

Trop de nos conci­toyens en viennent à consi­dé­rer que la place d’un condam­né est en pri­son, quelle que soit la faute qu’il a com­mise, et qu’il serait pré­fé­rable qu’il en sorte le plus tard pos­sible. Il n’en reste pas moins que 87 000 déte­nus sortent chaque année de pri­son. Et, sauf à déci­der que désor­mais tout délit sera puni d’emprisonnement à vie, ce nombre ne peut guère diminuer.

Rendre la prison enfin utile

Un déte­nu sor­tant de pri­son se retrouve sans emploi, sans argent et sou­vent sans abri : c’est une recette garan­tie pour la récidive.

Et c’est bien ce que l’on constate : 38 % des déte­nus sont des réci­di­vistes. La pri­son n’a pas le pou­voir de dis­sua­sion que l’opinion publique en attend. L’Institut Mon­taigne, ce groupe de réflexion de haut niveau créé par Claude Bébéar (X 55), fon­da­teur d’AXA, a publié un rap­port remar­quable inti­tu­lé Com­ment rendre la Pri­son (enfin) utile. Ce rap­port sou­ligne le rôle essen­tiel des associations.

38 % des détenus sont récidivistes

Il com­mence ain­si : « Vous ne savez pas qui je suis : j’ai fait trois mois à Bois‑d’Arcy. » C’est ce qu’a hur­lé ce jeune homme aux poli­ciers qui l’appréhendaient pour vio­lence sur la voie publique. Il a été condam­né en com­pa­ru­tion immé­diate à deux mois de pri­son ferme. Qui peut croire qu’il appren­dra pen­dant ces deux mois ce qu’il n’a pas appris pen­dant les trois mois précédents ?

Et d’ajouter : En France, comme l’indique un taux de réci­dive éle­vé, la pri­son ne rem­plit pas son rôle de réin­ser­tion. Cela est par­ti­cu­liè­re­ment vrai des jeunes gens condam­nés à de courtes peines : leur pas­sage en pri­son, loin d’être béné­fique, se révèle sou­vent catas­tro­phique. C’est à eux que le Groupe de tra­vail Pri­son de l’Institut Mon­taigne a sou­hai­té consa­crer ce rapport.

Enrayer la récidive, aider les sortants de prison à prendre un nouveau départ

Aux côtés de l’administration péni­ten­tiaire les asso­cia­tions ont pour mis­sion de faire com­prendre aux déte­nus ou sor­tants de pri­son la por­tée de leurs actes et de les pré­pa­rer à une autre vie que l’enchaînement de dérives qui conduisent à des peines de plus en plus lourdes. Leur réin­ser­tion est ren­due dif­fi­cile par leur très faible niveau d’instruction (29 % sont issus de cur­sus courts ou d’échecs du sys­tème sco­laire, 27 % échouent à un bilan de lec­ture) et par l’absence de qua­li­fi­ca­tion pro­fes­sion­nelle (80 % ne dépassent pas le niveau CAP). En pri­son les déte­nus, désoeu­vrés, vivent dans un uni­vers clos (en cel­lule 23 heures sur 24) où ils perdent tout lien social, ce qui rend encore plus aléa­toire leur réin­ser­tion dans la socié­té : 60 % des déte­nus sor­tant sans accom­pa­gne­ment retournent en pri­son dans les cinq ans.

Et en effet, après une mise en exa­men, une condam­na­tion, un séjour en pri­son, il est humai­ne­ment impos­sible, de but en blanc, de se pré­sen­ter en face de recru­teurs dans les dis­po­si­tions qu’il faut pour être reçu et accep­té. Reso­cia­li­ser les délin­quants, les remettre au niveau d’instruction mini­mum indis­pen­sable, leur don­ner une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle répon­dant aux besoins du mar­ché du tra­vail, encou­ra­ger les entre­prises à accep­ter les sor­tants de pri­son consti­tuent à l’évidence ce que le Géné­ral de Gaulle disait du Com­mis­sa­riat au Plan : une ardente nécessité.

Un exemple concret

L’association recon­nue d’utilité publique l’Îlot a créé en 2009, à Paris puis en Seine-Saint-Denis, un dis­po­si­tif inno­vant à des­ti­na­tion des plus jeunes : l’Atelier Qua­li­fi­ca­tion-Inser­tion. L’Atelier accueille essen­tiel­le­ment des hommes (97 % de la popu­la­tion car­cé­rale). Il fonc­tionne par ses­sions de onze mois, en petits groupes. Recru­tés en même temps, les jeunes sélec­tion­nés par l’Îlot en fonc­tion de leur moti­va­tion pro­fes­sion­nelle et de leur volon­té de sor­tir de la délin­quance suivent d’abord une ses­sion d’intégration de plu­sieurs semaines. Ensuite com­mence leur par­cours de for­ma­tion en alter­nance, qui s’achève par le pas­sage de l’examen pro­fes­sion­nel : l’obtention d’un diplôme recon­nu, qui est une garan­tie d’emploi pérenne, est un objec­tif essen­tiel. La for­ma­tion dis­pen­sée est donc qua­li­fiante : c’est ce que rap­pelle le nom d’Atelier Qua­li­fi­ca­tion-Inser­tion don­né au dispositif.

À aucun moment les jeunes ne sont lais­sés seuls, ni en centre de for­ma­tion, ni en entre­prise. Et la pro­mo­tion est réunie régu­liè­re­ment, tout au long des onze mois, pour des ate­liers et chan­tiers col­lec­tifs qui portent sur des thèmes aus­si variés que la com­mu­ni­ca­tion ver­bale et non ver­bale, l’intégration dans un col­lec­tif, les droits et devoirs d’un sala­rié ou la remise à niveau en fran­çais et en cal­cul. Les édu­ca­teurs spé­cia­li­sés aident en outre ces jeunes à régler leurs dif­fi­cul­tés per­son­nelles, tout par­ti­cu­liè­re­ment les addic­tions à l’alcool ou au can­na­bis qui sont mal­heu­reu­se­ment fré­quentes chez les jeunes délinquants.

La charte de la réinsertion

L’Îlot et l’Institut Mon­taigne ont rédi­gé ensemble en 2011 une charte des entre­prises pour la réin­ser­tion des sor­tants de pri­son ins­pi­rée de la charte de la diver­si­té. Afin de sen­si­bi­li­ser le public à cette thé­ma­tique et de mobi­li­ser les entre­prises une asso­cia­tion a été créée en 2013 : Sor­tir de pri­son, inté­grer l’entreprise (SPILE). Com­po­sée d’entreprises et d’associations et par­rai­née par le bar­reau de Paris et l’ANDRH (Asso­cia­tion natio­nale des direc­teurs de res­sources humaines) elle est pré­si­dée par Nico­las de Taver­nost, pré­sident du direc­toire du Groupe M6. L’association a pour objec­tif de por­ter cette charte et d’aider les entre­prises à mener des actions concrètes en faveur de la réin­ser­tion des sor­tants de prison.

Appel du groupe X‑Réinsertion

Le groupe X‑Réinsertion, agréé par l’AX, a pour voca­tion la réin­ser­tion des sor­tants de pri­son. Il s’est don­né pour mis­sion d’aider les asso­cia­tions actives dans le domaine de la réin­ser­tion par l’activité éco­no­mique, de convaincre les entre­prises de se gar­der de toute dis­cri­mi­na­tion envers les anciens déte­nus, de pro­mou­voir la charte des entre­prises, de lan­cer des actions de com­mu­ni­ca­tion péda­go­gique pour convaincre les élus, les médias, l’opinion publique des avan­tages éco­no­miques et sociaux de la réin­ser­tion par la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, seul moyen d’enrayer la réci­dive et source d’économies car la réin­ser­tion coûte moins cher que la prison.

La com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne, par la place qu’elle occupe dans tous les domaines d’activité de notre pays, a un rôle émi­nent à jouer en la matière.

Arnaud MOREL (89)Troubles psychiques et insertion par le travail

Arnaud MOREL (89)
Directeur production Ecodair

L’entreprise asso­cia­tive Eco­dair a pour voca­tion la réin­ser­tion par le tra­vail de per­sonnes en souf­france psy­chique. Notre acti­vi­té consiste en la col­lecte et le recon­di­tion­ne­ment de parcs infor­ma­tiques d’administrations et d’entreprises de toutes tailles. Les PCs les plus récents retrouvent ain­si une seconde vie auprès de nos clients par­ti­cu­liers, asso­cia­tions, écoles, entre­prises (www.ecodair.org). Eco­dair emploie à Paris et Mar­seille 90 per­sonnes, dont la majo­ri­té a une recon­nais­sance « han­di­cap psy­chique »1.

Ecodair révèle, telle une loupe, la souf­france engen­drée par notre socié­té, au sein de nos familles, de nos écoles et de notre sys­tème éco­no­mique et de mana­ge­ment, dont le sys­tème de recon­nais­sance est basé essen­tiel­le­ment sur la per­for­mance indi­vi­duelle. Les « tra­vailleurs » d’Ecodair peuvent inté­grer Eco­dair suite à des troubles psy­chiques depuis la nais­sance, l’enfance ou l’adolescence (schi­zo­phré­nie, bipo­la­ri­té, autisme, etc.), ou suite à des acci­dents de par­cours, comme un bur­nout. Le déve­lop­pe­ment des troubles psy­chiques repré­sente un phé­no­mène de socié­té de plus en plus préoccupant.

La sen­si­bi­li­té par­ti­cu­lière des tra­vailleurs agit comme une loupe sur nos bonnes pra­tiques mana­gé­riales comme sur nos dif­fi­cul­tés : Eco­dair est deve­nu un véri­table labo­ra­toire de res­sources humaines. Si une simple marque d’attention le matin peut aider un tra­vailleur à dépo­ser ses sou­cis et se concen­trer sur son tra­vail, l’absence d’un enca­drant peut géné­rer, sur un autre, de l’angoisse, des troubles du som­meil et des retards le matin, voire un arrêt maladie.

Osons dire quelques mots sur la souf­france psy­chique, et sol­li­ci­ter notre cer­veau droit pour évo­quer ce sujet ô com­bien sen­sible. Ima­gi­nez-vous dans un champ de blé vert, au mois de mai, avec un magni­fique coque­li­cot au milieu de ce champ ; qu’allez-vous regar­der ? Le coque­li­cot bien sûr. Ima­gi­nez que, dans ce même champ, en plus du coque­li­cot rouge, il y ait des cen­taines de coque­li­cots verts, de la même cou­leur que le blé ! Les ver­rez-vous ? Pas sûr !

De même, notre regard sur la souf­france psy­chique applique des filtres qui nous cachent cer­taines réa­li­tés : nous pou­vons pas­ser nos jour­nées à côté d’un col­lègue dépres­sif sans déce­ler les signes pour­tant mani­festes de son état. Des per­sonnes se retrouvent sur­prises en bur­nout, sans avoir prê­té atten­tion aux alertes ayant pré­cé­dé leur épui­se­ment. À l’inverse, cer­taines dif­fi­cul­tés peuvent être exa­gé­rées, voire mises en scène à des fins nar­cis­siques ou politiques.

Tout le monde voit le han­di­cap d’une per­sonne qui se déplace en fau­teuil rou­lant, et réagit émo­tion­nel­le­ment assez spon­ta­né­ment (empa­thie, pitié, peur, etc.) ; à l’inverse, détec­ter la souf­france psy­chique d’une per­sonne est un art beau­coup plus sub­til, qui passe par la connais­sance per­son­nelle de chacun.

Voir…

Voir, au-delà du sou­rire de Sacha2 le masque qui recouvre un puits de solitude.

Voir, der­rière le sens du ser­vice de Jacques, un être écra­sé par la dyna­mique du « faire plai­sir », au point d’avoir vou­lu « en finir ». Voir les lèvres ser­rées d’Yvon, aux prises avec un sen­ti­ment d’angoisse.

Voir les « invi­sibles », ceux qui sont absents, ceux qui sont dis­crets. Voir « avec les mains » Auguste qui tend une main plus ferme et, tout à coup, l’entendre rire pour la pre­mière fois depuis des années, un rire de libé­ra­tion, quelle joie !

Accompagner…

Accom­pa­gner Pierre à qui une nou­velle tâche est confiée, et lever ensemble les obs­tacles maté­riels ou psy­cho­lo­giques qui posent difficulté.

Accom­pa­gner Jor­dan et Anselme, dans leur rela­tion tan­tôt fusion­nelle, tan­tôt conflictuelle.

Afin de se décil­ler, nous nous réunis­sons toutes les semaines pour ladite « réunion sociale », réunion plu­ri­dis­ci­pli­naire qui per­met de croi­ser nos regards sur la situa­tion des tra­vailleurs : les moni­teurs d’atelier, dont le coeur de métier est l’accompagnement de per­sonnes han­di­ca­pées ; la psy­cho­logue et l’assistante sociale ; le direc­teur de pro­duc­tion, for­mé à l’Approche cen­trée sur la per­sonne (ACP)3, et le directeur.

Je suis frap­pé par la patience des moni­teurs qui prennent le temps pour accueillir un sta­giaire, pour expli­quer une tâche, pour écou­ter un tra­vailleur qui exprime une dif­fi­cul­té. Ce temps pris, et qui semble « per­du » pour la pro­duc­tion, est néces­saire pour déve­lop­per ce regard empa­thique, cette approche res­pec­tueuse de ce que vit l’autre, de l’intérieur, et pour accom­pa­gner chaque tra­vailleur dans les tâches qui leur sont confiées.

C’est aus­si ce temps consa­cré à chaque tra­vailleur, de façon réel­le­ment dés­in­té­res­sée, qui entraîne leur moti­va­tion. Ce temps don­né peut aus­si être vu comme un inves­tis­se­ment, mais ne me deman­dez pas le ROI, car toute mesure d’une expé­rience trans­forme l’expérience4 ! (Il ne doit pas être suf­fi­sant car nous avons encore besoin de dons pour atteindre l’équilibre financier.)

Dans un mana­ge­ment ordi­naire, n’est-il pas néces­saire de por­ter une grande atten­tion à nos col­la­bo­ra­teurs ? À leur vécu sub­jec­tif en entre­prise ? À prendre le temps néces­saire au moment de délé­guer des tâches ? À ris­quer des réunions sur le mode coopé­ra­tif, où les dif­fé­rents regards sur une situa­tion peuvent réel­le­ment s’exprimer à pied d’égalité ?

L’Approche cen­trée sur la per­sonne3, déve­lop­pée ini­tia­le­ment dans le champ psy­cho­thé­ra­peu­tique, semble adap­tée au mana­ge­ment au sein d’une struc­ture comme Eco­dair : outre le regard empa­thique, l’ACP repose sur deux autres piliers, que sont le regard posi­tif incon­di­tion­nel et la congruence.

Le regard posi­tif incon­di­tion­nel consiste à tou­jours croire en la per­sonne, en sa capa­ci­té de pro­gres­ser en humani­té : dans notre quo­ti­dien à Eco­dair, c’est ne pas s’arrêter à un com­por­te­ment per­tur­ba­teur, mais y décou­vrir le révé­la­teur d’une souf­france cachée, et si sou­vent un désir de vie qui s’exprime de façon malencontreuse.

Dans les rela­tions hié­rar­chiques clas­siques, com­bien de rela­tions sont blo­quées, cha­cune des par­ties ayant un point de vue défi­ni­tif sur l’autre ?

Enfin, la congruence, troi­sième pilier de l’ACP, peut se tra­duire par cohé­rence et authen­ti­ci­té. Eco­dair étant une struc­ture d’insertion par le tra­vail, il s’agit d’abord de rap­pe­ler le cadre : la pré­sence tous les jours, les horaires, la concen­tra­tion, la qua­li­té atten­due, le res­pect des col­lègues et de la hié­rar­chie. C’est la cohé­rence avec notre pro­jet, à la fois un milieu pro­té­gé du fait des sub­ven­tions reçues, uti­li­sées pour l’accompagnement social, et dans une acti­vi­té hau­te­ment concurrentielle.

La congruence c’est aus­si l’authenticité des moni­teurs d’ateliers dans leur mode de mana­ge­ment : mus par le désir d’aider les per­sonnes en situa­tion de han­di­cap, tout en étant conscients de notre réa­li­té éco­no­mique, les moni­teurs ont une démarche sin­cère, n’essaient pas de mani­pu­ler les tra­vailleurs pour géné­rer de la moti­va­tion. Cela ne serait pas pos­sible, car les tra­vailleurs à Eco­dair sont sou­vent aller­giques à toute ten­ta­tive de manipulation !

Dans une entre­prise clas­sique, com­bien d’employés estiment que leurs mana­gers directs et/ou le top mana­ge­ment ne se pré­oc­cupent pas d’eux ? Tentent de les mani­pu­ler pour les moti­ver ? Res­tent cris­pés sur une méthode de mana­ge­ment tay­lo­rienne, qui, bien qu’ayant cer­tains atouts, est lar­ge­ment inadap­té à notre contexte du xxie siècle ? Quelles consé­quences en termes de motivation ?

J’aimerais conclure cet article sur ma convic­tion per­son­nelle : oeu­vrer à un mana­ge­ment plus humain, c’est avant tout tra­vailler sur soi ; de même que nous effa­çons à Eco­dair les disques durs de nos clients avant de répa­rer les PCs, il est néces­saire de se défaire peu à peu de nos divers for­ma­tages : for­ma­tage de notre culture (valeurs de beau­té, jeu­nesse, san­té), de notre for­ma­tion d’ingénieur (fixa­tion sur le ration­nel), de nos familles, et même de notre for­ma­tage exis­ten­tiel, tant notre cris­pa­tion sur nos idéaux, aus­si divers soient-ils, nous empêchent de voir la réa­li­té ! Et c’est ce qui me pas­sionne à Ecodair !

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1. Recon­nais­sance attri­buée par la Com­mis­sion des Droits et de l’Autonomie des Per­sonnes Han­di­ca­pées (CDAPH).
2. Tous les noms ont été changés.
3. Approche cen­trée sur la per­sonne (ACP), école de psy­cho­thé­ra­pie et de la rela­tion d’aide, fon­dée par Carl Rogers.
4. Prin­cipe d’incertitude d’Heisenberg.

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