Ouverture des marchés de l’électricité : pourquoi ? comment ? quelles conséquences pour l’environnement ?

Dossier : Énergie et environnementMagazine N°597 Septembre 2004Par Stéphane MATTATIA (92)

L’ouverture à la concurrence porte sur la production et la fourniture d’électricité

Depuis la loi du 10 février 2000, la pro­duc­tion élec­trique, autre­fois qua­si-mono­pole d’EDF, est libre­ment exer­cée. Suez est ain­si aujourd’­hui le pre­mier action­naire de la Com­pa­gnie natio­nale du Rhône et Ende­sa l’ac­tion­naire de réfé­rence de la SNET, créée pour exploi­ter les cen­trales à char­bon de Char­bon­nages de France.

En matière de four­ni­ture, au fur et à mesure de la libé­ra­li­sa­tion, les consom­ma­teurs d’élec­tri­ci­té deviennent » éli­gibles « , ce qui signi­fie qu’ils acquièrent le droit de chan­ger de four­nis­seur. L’ou­ver­ture des mar­chés a ain­si por­té sur les 1 000 plus gros consom­ma­teurs en 20001, sur les 3 000 plus gros en 20032, et enfin sur les 3 mil­lions de consom­ma­teurs non domes­tiques au 1er juillet 2004, soit 70 % du mar­ché. Les direc­tives euro­péennes pré­voient l’ou­ver­ture totale du mar­ché au 1er juillet 2007.

Les réseaux élec­triques, trans­port (100 000 km de lignes à haute et très haute ten­sion), et dis­tri­bu­tion (1 200 000 km de lignes moyenne et basse ten­sion) demeurent pour leur part des mono­poles natu­rels. L’u­ti­li­sa­tion des réseaux est régu­lée par un tarif fixé par décret sur pro­po­si­tion du régu­la­teur, la Com­mis­sion de régu­la­tion de l’éner­gie, qui incite à la recherche de la com­pé­ti­ti­vi­té au tra­vers de ses rééva­lua­tions tarifaires.

Pour un indus­triel gros consom­ma­teur, l’es­sen­tiel de la fac­ture est com­po­sé des coûts de pro­duc­tion, lar­ge­ment pré­do­mi­nants sur les coûts de com­mer­cia­li­sa­tion et sur les coûts d’u­ti­li­sa­tion des réseaux, qui repré­sentent envi­ron un quart de la fac­ture. Il existe donc, théo­ri­que­ment, une marge de réduc­tion sen­sible de la fac­ture du fait de la mise en concur­rence. Pour un petit consom­ma­teur en revanche, cette réa­li­té est plus nuan­cée. La fac­ture type d’un par­ti­cu­lier se décom­pose en effet entre l’a­che­mi­ne­ment de l’élec­tri­ci­té (40 %), la pro­duc­tion (27 %), la com­mer­cia­li­sa­tion (8 %) et les taxes diverses (25 %). Les effets poten­tiels de la concur­rence jouent donc au maxi­mum sur 35 % de la facture.

Les premières années de libéralisation : éligibilité des gros consommateurs, concurrence sur la production et marché de gros

Hausse du marché de gros

En régime de mono­pole, les consom­ma­teurs béné­fi­ciaient des tarifs inté­grés fixés par l’É­tat. La struc­ture tari­faire, fon­dée sur les coûts mar­gi­naux de long terme du parc, tenait compte des coûts de pro­duc­tion des dif­fé­rents moyens de pro­duc­tion, appe­lés en fonc­tion de la consom­ma­tion selon leur coût mar­gi­nal : d’a­bord la pro­duc­tion » fatale » (l’hy­drau­lique au fil de l’eau, les éoliennes au fil du vent), puis les cen­trales nucléaires, lar­ge­ment plus com­pé­ti­tives que les autres moyens de pro­duc­tion pour un fonc­tion­ne­ment tout au long de l’an­née, enfin les cen­trales ther­miques clas­siques et les moyens de pointe (les éclu­sées, les lacs et les tur­bines à combustion).

Les tarifs ont ain­si per­mis de finan­cer la construc­tion du parc nucléaire, en lis­sant dans le temps l’im­pact des inves­tis­se­ments, puis, au fil de l’a­mor­tis­se­ment des moyens de pro­duc­tion d’EDF, de consen­tir au consom­ma­teur d’im­por­tantes réduc­tions (de l’ordre de 13 % en francs constants entre 1997 et 2000). Le lis­sage est par­ti­cu­liè­re­ment mar­qué puisque de la fin des années cin­quante et le milieu des années quatre-vingt, au plus fort du pro­gramme nucléaire, les inves­tis­se­ments d’EDF ont pu varier d’un fac­teur 5, alors que les tarifs sont res­tés stables pour les plus gros indus­triels, ont légè­re­ment bais­sé pour les petites indus­tries et ont qua­si­ment été divi­sés par 2 pour les particuliers !

Bien que la France ait ain­si abor­dé la pre­mière phase de l’ou­ver­ture des mar­chés avec un parc de pro­duc­tion com­pé­ti­tif, et des tarifs par­mi les plus bas d’Eu­rope, les effets de la libé­ra­li­sa­tion se pro­duisent dès 2000 : les pre­miers clients éli­gibles qui ont rom­pu leur contrat » au tarif » avec EDF, qui leur fac­tu­rait la four­ni­ture entre 20 et 30 €/MWh, ont conclu sur le mar­ché de nou­veaux contrats net­te­ment en des­sous de 20 €/MWh.

Un tel niveau s’ex­plique en grande par­tie par l’é­cou­le­ment sur le mar­ché des excé­dents de capa­ci­té, des élec­tri­ciens euro­péens. Il se situe bien en deçà des coûts com­plets de pro­duc­tion de l’élec­tri­ci­té. Selon l’é­tude des » coûts de réfé­rence de la pro­duc­tion élec­trique 2003 » de la direc­tion géné­rale de l’éner­gie et des matières pre­mières, le MWh le plus com­pé­ti­tif, pour un fonc­tion­ne­ment tout au long de l’an­née à l’ho­ri­zon 2015, s’é­ta­blit juste en des­sous de 30 €/MWh. Il cor­res­pond au coût de pro­duc­tion d’un palier de 10 réac­teurs EPR. Les moyens de pro­duc­tion ther­miques fos­siles, à gaz ou à char­bon, s’é­che­lonnent entre 32 et 35 €/MWh.

La péren­ni­sa­tion de ces condi­tions de mar­ché, repo­sant uni­que­ment sur l’é­cou­le­ment de sur­ca­pa­ci­tés, aurait mis les élec­tri­ciens dans l’in­ca­pa­ci­té de pré­pa­rer le renou­vel­le­ment de leur parc, qui devrait inter­ve­nir en France et en Alle­magne à l’ho­ri­zon 2020 (la cen­trale de Fes­sen­heim attein­dra qua­rante ans en 2017). Au Royaume-Uni, une situa­tion simi­laire a d’ailleurs conduit à une qua­si-faillite l’o­pé­ra­teur Bri­tish Ener­gy, contraint d’é­cou­ler la pro­duc­tion de ses cen­trales nucléaires sur le mar­ché de gros à des prix dépréciés.

Au fil de l’ou­ver­ture du mar­ché, les fon­da­men­taux ont repris le des­sus et les prix de l’élec­tri­ci­té, mesu­rés par l’in­dice Platt’s qui effec­tue la moyenne des tran­sac­tions de gré à gré entre tra­ders, se sont dura­ble­ment ins­tal­lés au-des­sus de 30 €/MWh. Pour les plus gros consom­ma­teurs, on tan­gente le niveau des tarifs d’a­vant la libé­ra­li­sa­tion. Les ana­lystes du mar­ché élec­trique pro­nos­tiquent une pour­suite de la hausse, pour atteindre 35 à 40 €MWh, au-delà du niveau actuel des tarifs des plus grands consom­ma­teurs. Ce mou­ve­ment haus­sier se jus­ti­fie à la fois par la résorp­tion pro­gres­sive des sur­ca­pa­ci­tés, la pers­pec­tive du renou­vel­le­ment du parc, la hausse des prix du char­bon et l’in­té­gra­tion dans les prix des coûts d’é­mis­sion de gaz à effet de serre. Il est donc indé­pen­dant de la libé­ra­li­sa­tion, ces fac­teurs entraî­nant une hausse des prix en situa­tion de mono­pole comme dans un sec­teur concurrentiel.

L’ou­ver­ture à la concur­rence se tra­duit éga­le­ment par une recom­po­si­tion du pay­sage élec­trique, les opé­ra­teurs his­to­riques pre­nant pied sur chaque pays et consti­tuant un oli­go­pole de pro­duc­teurs. La concur­rence entre pro­duc­teurs devrait donc inflé­chir la hausse des prix de gros, à deux nuances près :

  • si le choix des moyens de pro­duc­tion (nucléaire ou cycle com­bi­né à gaz pour la four­ni­ture en base) est pré­pon­dé­rant pour le niveau des coûts sup­por­tés par les pro­duc­teurs, les prix du mar­ché sont davan­tage influen­cés par les coûts des cen­trales à lignites alle­mandes que par ceux du parc nucléaire français ;
  • les gains de pro­duc­ti­vi­té poten­tiels sont limi­tés par la néces­si­té de rému­né­rer le capi­tal inves­ti. Or les inves­tis­se­ments repré­sentent une part impor­tante des coûts de pro­duc­tion (près de 58 % des coûts, pour un fonc­tion­ne­ment en base de l’E­PR). La marge de manœuvre pour déga­ger des gains de pro­duc­ti­vi­té sur la pro­duc­tion est donc limitée.

La seconde étape de la libéralisation : éligibilité des petits consommateurs et concurrence sur la fourniture

L’ou­ver­ture des mar­chés du 1er juillet 2004, à tous les consom­ma­teurs non domes­tiques, fait entrer la libé­ra­li­sa­tion dans une tout autre échelle. Cette nou­velle clien­tèle se dis­tingue par la pré­cé­dente de diverses façons :

  • sa consom­ma­tion est d’un tout autre ordre de gran­deur (la SNCF consomme l’é­qui­valent d’un mil­lion de professionnels) ;
  • la part dans sa fac­ture des acti­vi­tés concur­ren­tielles est moindre ;
  • la consom­ma­tion n’est pas connue en temps réel mais recons­ti­tuée via des rele­vés plu­sieurs fois dans l’année.


Cette clien­tèle sus­cite l’in­té­rêt de nou­veaux entrants dans le sys­tème élec­trique, des four­nis­seurs » purs » sans moyens de pro­duc­tion, qui jouent la carte du » low cost  » :

  • en béné­fi­ciant, par le biais d’une struc­ture légère, de coûts de com­mer­cia­li­sa­tion infé­rieurs à ceux des opé­ra­teurs historiques ;
  • en tirant par­ti de la concur­rence en matière de pro­duc­tion pour béné­fi­cier d’un appro­vi­sion­ne­ment compétitif.

Retenue du barrage de Roselend, en Savoie : aval, vue aérienne.
Rete­nue du bar­rage de Rose­lend, en Savoie : aval, vue aérienne.

Ce posi­tion­ne­ment est ris­qué. En effet, le fonc­tion­ne­ment du mar­ché de l’élec­tri­ci­té est pro­fon­dé­ment mode­lé par ses spé­ci­fi­ci­tés : d’une part elle ne se stocke pas, d’autre part l’é­las­ti­ci­té demande/prix est très faible. En période de forte demande, la ruée des opé­ra­teurs sur le mar­ché pour ali­men­ter leurs clients conduit à une hyper­vo­la­ti­li­té de l’élec­tri­ci­té. Ain­si, pen­dant la cani­cule de l’é­té 2003, une grande par­tie des moyens de pro­duc­tion euro­péens a été tou­chée. La séche­resse a péna­li­sé les ins­tal­la­tions hydro­élec­triques fran­çaises, l’an­ti­cy­clone a para­ly­sé les éoliennes alle­mandes, et les cen­trales ther­miques, qu’elles soient fos­siles ou nucléaires, ont atteint les limites de tem­pé­ra­ture de leurs rejets, en rai­son de la forte tem­pé­ra­ture des rivières.

Pen­dant les heures les plus cri­tiques du mois d’août, le MWh a atteint 1 000 € sur Power­next, la Bourse fran­çaise de l’élec­tri­ci­té, et 2 000 €/MWh à Amster­dam. EDF a fina­le­ment dépen­sé 335 mil­lions d’eu­ros pour assu­rer la conti­nui­té de l’ap­pro­vi­sion­ne­ment. Un four­nis­seur pur qui aurait dû s’ap­pro­vi­sion­ner au jour le jour sur les mar­chés pen­dant cette période n’au­rait cer­tai­ne­ment pas sur­vé­cu. De la même façon, les dis­tri­bu­teurs cali­for­niens, confron­tés à la fin des années quatre-vingt-dix à une forte hausse des prix de l’élec­tri­ci­té du fait de la pénu­rie de moyens de pro­duc­tion, et inca­pables d’en réper­cu­ter l’im­pact sur la fac­ture de leurs clients, ont été accu­lés à la faillite.

Aux États-Unis, des pics de prix ont atteint jus­qu’à 10 000 €/MWh. Les moyennes jour­na­lières des mar­chés élec­triques, plus stables, subissent tout de même des varia­tions sai­son­nières d’un fac­teur 2 à 3. En com­pa­rai­son, les prix du pétrole oscil­lent entre 15 et 40 $ le baril et les prix du gaz varient de 50 % autour du prix moyen.

De façon assez para­doxale, l’ou­ver­ture des mar­chés consacre ain­si le modèle his­to­rique d’élec­tri­cien inté­gré. Le four­nis­seur-pro­duc­teur est en par­tie cou­vert contre les fortes fluc­tua­tions du mar­ché, à la dif­fé­rence du four­nis­seur pur qui est contraint, pour ali­men­ter ses clients, de s’ap­pro­vi­sion­ner sur le mar­ché, quelles qu’en soient les condi­tions. Au-delà de l’in­té­gra­tion pro­duc­tion-four­ni­ture, la ges­tion de réseaux s’a­vère éga­le­ment un fac­teur de soli­di­té pour les opé­ra­teurs élec­triques. Cette acti­vi­té tari­fée assure en effet aux ges­tion­naires de réseaux des res­sources régu­lières (sauf évé­ne­ments cli­ma­tiques comme les tem­pêtes de 1999), qui leur per­mettent de mieux absor­ber les chocs finan­ciers des marchés.

Cette ana­lyse est confor­tée par l’é­vo­lu­tion du mar­ché bri­tan­nique, pré­cur­seur de la libé­ra­li­sa­tion. La ges­tion des réseaux de dis­tri­bu­tion et de la four­ni­ture a été par­ta­gée, en 1990, entre 14 acteurs. Moins de quinze ans plus tard, après un vaste pro­ces­sus de recom­po­si­tion, le mar­ché est par­ta­gé entre 7 ges­tion­naires de réseaux de dis­tri­bu­tion et 6 prin­ci­paux four­nis­seurs. L’a­mé­ri­cain TXU a consta­té l’é­chec de sa stra­té­gie de pro­duc­tion-four­ni­ture sans ges­tion de réseaux et la filiale d’EDF, EDF Ener­gy, affiche au contraire des résul­tats pro­met­teurs après avoir recons­ti­tué un véri­table opé­ra­teur inté­gré, au prix de mul­tiples acquisitions.

Le posi­tion­ne­ment des four­nis­seurs purs, notam­ment les élec­tri­ciens » low cost « , s’a­vère donc par­ti­cu­liè­re­ment déli­cat. Une très grande com­pé­ti­ti­vi­té dans les acti­vi­tés de com­mer­cia­li­sa­tion risque de ne pas être suf­fi­sante pour leur per­mettre de faire la dif­fé­rence avec les opé­ra­teurs his­to­riques, du fait du faible poids de la com­mer­cia­li­sa­tion dans la fac­ture des petits consom­ma­teurs (pas plus de 8 %). Leur com­pé­ti­ti­vi­té repose donc sur un appro­vi­sion­ne­ment com­pé­ti­tif sur les mar­chés, qui risque d’être com­pro­mis par la hausse des prix, et la néces­si­té de se cou­vrir contre les fortes fluc­tua­tions. Au Royaume-Uni, les four­nis­seurs purs ne repré­sentent plus que 2 % du mar­ché, et les nou­veaux entrants ont qua­si­ment dis­pa­ru du pay­sage électrique.

Ouverture du marché : en route vers la dernière étape…

Si l’ou­ver­ture des mar­chés sur­prend aujourd’­hui, c’est qu’il est cer­tai­ne­ment infon­dé d’en attendre des béné­fices en quelques années. Le sys­tème élec­trique vit à l’é­chelle de la décen­nie, voire du siècle. Le réseau public de trans­port porte tou­jours la trace de ces ins­tal­la­tions hydro­élec­triques créées au début du siècle der­nier, dont les conces­sions portent sur près de qua­rante ans. Les cen­trales nucléaires d’EDF semblent en bonne voie pour fonc­tion­ner au moins qua­rante ans, et les concep­teurs d’E­PR en attendent au moins soixante ans de pro­duc­tion. Il est donc pré­ma­tu­ré de juger le pro­ces­sus de libé­ra­li­sa­tion sur quelques années, qui sup­portent l’es­sen­tiel du coût des inves­tis­se­ments ren­dus néces­saires par la libé­ra­li­sa­tion, pour acqué­rir des posi­tions sur le mar­ché euro­péen (plu­sieurs dizaines de mil­liards d’eu­ros en quelques années) ou pour adap­ter les sys­tèmes infor­ma­tiques (un mil­liard de livres au Royaume-Uni).

À plus long terme, la construc­tion d’un mar­ché euro­péen de l’élec­tri­ci­té pour­rait tout d’a­bord per­mettre la sécu­ri­té d’ap­pro­vi­sion­ne­ment euro­péenne à moindre coût. L’élec­tri­ci­té ne pou­vant pas se sto­cker, la sécu­ri­té d’ap­pro­vi­sion­ne­ment en élec­tri­ci­té repose sur une sur­ca­pa­ci­té struc­tu­relle du parc de pro­duc­tion. Le parc doit en effet être confi­gu­ré pour répondre à la pointe de consom­ma­tion hiver­nale (en France 80 GW, contre 50 GW en été) et pour faire face aux aléas de l’é­qui­libre offre-demande (évé­ne­ments cli­ma­tiques, indis­po­ni­bi­li­té des cen­trales). Cette sur­ca­pa­ci­té struc­tu­relle crée les condi­tions d’une guerre des prix entre élec­tri­ciens, pour uti­li­ser au maxi­mum les ins­tal­la­tions exis­tantes, comme dans les pre­mières années de la libé­ra­li­sa­tion. Les prix de mar­ché sont alors sus­cep­tibles d’é­vo­luer par cycle : dépré­ciés en période de sur­ca­pa­ci­té, ils flambent dès que l’on atteint le seuil de la rup­ture d’ap­pro­vi­sion­ne­ment et que des inves­tis­se­ments sont déci­dés, et se tassent au fur et à mesure que le sys­tème élec­trique récu­père en capacité.

Si le mar­ché peut ain­si, au prix d’une cer­taine vola­ti­li­té, assu­rer le renou­vel­le­ment du parc, il n’est pas acquis qu’il per­mette la créa­tion des ins­tal­la­tions garan­tis­sant le niveau de sécu­ri­té actuel. Ce niveau repose, en France, sur une valeur du MWh non livré d’en­vi­ron 9 000 €/MWh. Il fau­drait donc que le mar­ché atteigne, lors de crises éner­gé­tiques, un tel niveau pour les ren­ta­bi­li­ser, ce qui est peu attrac­tif pour des investisseurs.

La créa­tion de ces sur­ca­pa­ci­tés devrait donc être sus­ci­tée par les pou­voirs publics, en les impo­sant aux acteurs du mar­ché ou en concou­rant à leur finan­ce­ment. La créa­tion d’un tel » mar­ché de capa­ci­té » ne pour­rait se faire effi­ca­ce­ment qu’au niveau euro­péen. Les sur­ca­pa­ci­tés extrêmes pour­raient être mutua­li­sées entre pays, puis­qu’il appa­raît peu pro­bable que l’en­semble des pays euro­péens soit tou­ché par une crise éner­gé­tique aiguë. Même la cani­cule de l’é­té 2003, excep­tion­nelle par son inten­si­té, a épar­gné cer­tains sys­tèmes élec­triques : la Suisse a ain­si béné­fi­cié d’une hydrau­li­ci­té favo­rable grâce à la fonte impor­tante des neiges. Un tel méca­nisme, qui serait por­teur d’é­co­no­mies à l’é­chelle du sys­tème élec­trique euro­péen, reste à inventer.

La libé­ra­li­sa­tion, en sup­pri­mant les mono­poles, fait éga­le­ment tom­ber les limites posées à l’in­ter­ven­tion des opé­ra­teurs his­to­riques dans les domaines connexes à la four­ni­ture d’éner­gie et rend pos­sible des pres­ta­tions plus étof­fées. Au Royaume-Uni, l’offre duale élec­tri­ci­té-gaz est deve­nue la norme pour les consom­ma­teurs domes­tiques. Les consom­ma­teurs indus­triels devraient, quant à eux, être davan­tage séduits par des offres incluant éga­le­ment des ser­vices éner­gé­tiques (ges­tion des fluides éner­gé­tiques, du cycle de la cha­leur…) et les groupes inter­na­tio­naux par la négo­cia­tion, en un seul contrat, de l’ap­pro­vi­sion­ne­ment de tous leurs sites européens.

Un effort impor­tant est encore néces­saire pour réus­sir l’ou­ver­ture des mar­chés, qui doit être appré­hen­dée avec humi­li­té. Les béné­fices appa­raissent poten­tiel­le­ment beau­coup plus impor­tants pour les gros consom­ma­teurs que pour les plus petits, notam­ment les ménages qui consomment encore moins que les pro­fes­sion­nels. Le bilan pré­vu par les direc­tives euro­péennes sur les consé­quences de l’ou­ver­ture des mar­chés pour les consom­ma­teurs sera déter­mi­nant avant l’ou­ver­ture totale des mar­chés le 1er juillet 2007.

Et notre environnement ?

Au vu de ce qui pré­cède, une ques­tion vient natu­rel­le­ment à l’es­prit : dans un mar­ché mar­qué par la recherche de la com­pé­ti­ti­vi­té, la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment ne risque-t-elle pas d’être la pre­mière vic­time des élec­tri­ciens ? En fait, un mar­ché bien régu­lé et la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment ne sont pas antagonistes.

Réseaux

L’im­pact le plus visible du sys­tème élec­trique sur l’en­vi­ron­ne­ment est celui des réseaux élec­triques. Ceux-ci sont de plus en plus mal per­çus par les popu­la­tions rive­raines, même lorsque les lignes en construc­tion sont néces­saires à la sécu­ri­té d’ap­pro­vi­sion­ne­ment de leur région. Les efforts des ges­tion­naires de réseaux sont en consé­quence de plus en plus impor­tants : aujourd’­hui le ges­tion­naire du réseau public de trans­port déve­loppe le réseau sans accroître, à l’é­chelle natio­nale, la lon­gueur de conduc­teurs aériens. La pose de nou­velles lignes aériennes est donc com­pen­sée par la dépose ou l’en­fouis­se­ment d’autres lignes. Pour sa part, EDF enfouit 90 % des nou­velles lignes moyenne ten­sion, et enfouit, ou réa­lise en tech­nique dis­crète, deux tiers des lignes basse ten­sion. Ces efforts ne sont en rien mena­cés par l’ou­ver­ture des mar­chés puisque la ges­tion des réseaux demeure une acti­vi­té régle­men­tée, sous le contrôle de l’É­tat pour le trans­port et des col­lec­ti­vi­tés locales pour la dis­tri­bu­tion, et finan­cée par un tarif arrê­té par les pou­voirs publics.

Production

En ce qui concerne par ailleurs les ins­tal­la­tions de pro­duc­tion, une libé­ra­li­sa­tion trop hâtive aurait pu condam­ner le déve­lop­pe­ment des ins­tal­la­tions de pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té à par­tir de sources d’éner­gie renou­ve­lables, moins ren­tables que les moyens de pro­duc­tion cen­tra­li­sés. Il n’en est rien.

Parc éolien de Limousis : éoliennes et pylone.
Parc éolien de Limou­sis : éoliennes et pylone.

La France s’est fixé, dans un cadre euro­péen, l’ob­jec­tif d’ac­croître de 16 à 21 % la part d’élec­tri­ci­té pro­duite à par­tir d’ENR. Le poten­tiel hydro­élec­trique fran­çais, qui repré­sente à lui seul la majeure par­tie des 16 % actuels, étant lar­ge­ment exploi­té, ce nou­veau déve­lop­pe­ment repose donc sur l’éo­lien, la petite hydrau­lique, la bio­masse, le bio­gaz… Ces filières, peu mûres indus­triel­le­ment pour cer­taines, ne sont pas encore com­pé­ti­tives. Afin d’en faci­li­ter le déve­lop­pe­ment mal­gré leur faible com­pé­ti­ti­vi­té sur le mar­ché, le légis­la­teur fran­çais a ins­ti­tué une obli­ga­tion d’a­chat, par EDF, de l’élec­tri­ci­té pro­duite à par­tir de sources renou­ve­lables. Les tarifs de rachat, régle­men­tés, ren­ta­bi­lisent les inves­tis­se­ments dans ces nou­veaux moyens de pro­duc­tion et les sur­coûts ain­si engen­drés pour EDF, contrainte d’a­che­ter plus cher qu’elle ne pro­duit ou n’a­chète sur le mar­ché, sont com­pen­sés par une contri­bu­tion au ser­vice public de l’élec­tri­ci­té, acquit­tée par chaque consom­ma­teur. Ce dis­po­si­tif peut être com­plé­té par le lan­ce­ment, par l’É­tat, d’ap­pels d’offres pour la créa­tion de nou­veaux moyens de pro­duc­tion à par­tir de sources renou­ve­lables. Des appels d’offres ont ain­si été lan­cés pour le bio­gaz, la bio­masse et l’éolien.

L’in­ter­ven­tion des pou­voirs publics garan­tit donc le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables indé­pen­dam­ment de toute logique de mar­ché. Le mar­ché peut cepen­dant éga­le­ment y concou­rir. En appli­ca­tion de la future loi d’o­rien­ta­tion sur l’éner­gie, une garan­tie d’o­ri­gine devrait en effet être attri­buée à l’élec­tri­ci­té pro­duite à par­tir d’élec­tri­ci­té renou­ve­lable ou par cogé­né­ra­tion. Des offres nou­velles, com­por­tant une part plus ou moins éle­vée d’élec­tri­ci­té d’o­ri­gine renou­ve­lable, pour­ront ain­si être pro­po­sées aux consom­ma­teurs. La valo­ri­sa­tion de l’élec­tri­ci­té » verte » contri­bue­ra ain­si à dyna­mi­ser le déve­lop­pe­ment des éner­gies renouvelables.

La créa­tion d’un sys­tème de per­mis d’é­mis­sions de gaz à effet de serre, en appli­ca­tion des direc­tives euro­péennes, per­met­tra éga­le­ment de conci­lier logique de mar­ché et lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique. Les pre­mières attri­bu­tions de quo­tas, qui font l’ob­jet d’un plan dans chaque pays, pour­raient favo­ri­ser les cen­trales ther­miques fos­siles exis­tantes. A terme cepen­dant, le ren­ché­ris­se­ment des quo­tas d’é­mis­sions devrait accen­tuer la com­pé­ti­ti­vi­té de la pro­duc­tion nucléaire, non émet­trice de gaz à effet de serre.

Enfin, les ins­tal­la­tions de pro­duc­tion, dès lors qu’elles ont un impact sur l’en­vi­ron­ne­ment, demeurent sous le contrôle de l’É­tat réga­lien, qu’il s’a­gisse de l’Au­to­ri­té de sûre­té nucléaire ou de l’Ins­pec­tion des ins­tal­la­tions clas­sées. L’ou­ver­ture du mar­ché est sans consé­quence sur les exi­gences envi­ron­ne­men­tales. Le pro­gramme CAFE (Clean Air For Europe), lan­cé par la Com­mis­sion euro­péenne, devrait au contraire abou­tir à une réduc­tion des émis­sions de pol­luants dans l’atmosphère.

Fourniture

Le pro­jet de loi d’o­rien­ta­tion sur l’éner­gie, exa­mi­né en pre­mière lec­ture au prin­temps 2004 par le Par­le­ment, pré­voit l’ins­ti­tu­tion d’o­bli­ga­tions d’é­co­no­mies d’éner­gie aux four­nis­seurs et la mise en place d’un mar­ché de cer­ti­fi­cats d’é­co­no­mies d’éner­gie. Ces nou­veaux ins­tru­ments, qui remettent la maî­trise de la demande en éner­gie au cœur de la poli­tique éner­gé­tique, pour­raient s’in­sé­rer dans la stra­té­gie com­mer­ciale des four­nis­seurs. Faute de pou­voir offrir d’im­por­tantes réduc­tions sur la fac­ture élec­trique, ceux-ci pour­ront ima­gi­ner des offres mixtes : four­ni­ture d’énergie/actions d’é­co­no­mies d’éner­gie. Au fur et à mesure de l’é­ta­blis­se­ment de ce mar­ché et de la mise en œuvre de normes plus strictes (dans le bâti­ment par exemple) la courbe de la consom­ma­tion élec­trique pour­rait connaître une inflexion ou à défaut, la consom­ma­tion d’élec­tri­ci­té sera optimisée.

En conclusion, vers la nouvelle Europe électrique…

L’ou­ver­ture des mar­chés peut paraître une aven­ture au regard de la qua­li­té atteinte, en régime de mono­pole, par le sys­tème élec­trique fran­çais : un parc de pro­duc­tion com­pé­ti­tif, sûr et res­pec­tueux de l’en­vi­ron­ne­ment et une forte tra­di­tion de ser­vice public. Elle est l’un des défis de la construc­tion euro­péenne. Sa réus­site repose aus­si sur la capa­ci­té de la France à faire par­ta­ger les fruits de plu­sieurs décen­nies d’ex­pé­rience industrielle.

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