La Défense : La vitalité d’un lieu chargé d’histoires

Dossier : L'aménagement de La DéfenseMagazine N°625 Mai 2007
Par Alain MAUGARD (62)

Les grandes cités sont deve­nues des forces attrac­tives qui peuvent aller bien au-delà de leurs limites natio­nales. C’est le cas en Asie ou aux États-Unis. Ce même phé­no­mène existe en Europe où l’U­nion euro­péenne ne se résume pas aux capi­tales des dif­fé­rents pays qui la consti­tuent, mais s’or­donne autour de méga­lo­poles cou­ron­nées de cha­pe­lets de cités urbaines. Paris est l’une d’elles et son rayon­ne­ment s’ar­ti­cule dans le couple Paris-La Défense, fer de lance d’une ville pres­ti­gieuse qui, grâce à son centre d’af­faires, peut comp­ter par­mi les grands acteurs du XXIe siècle.

Mais, comme ses sem­blables, il va lui fal­loir fran­chir une étape déci­sive. La Défense lan­cée au milieu du xxe siècle est, cin­quante ans plus tard, au cœur de la pro­blé­ma­tique du XXIe siècle : la ges­tion des res­sources mon­diales. Si rien ne change, toutes ces méga­lo­poles à hori­zon 2020 seront d’im­menses centres éner­gé­ti­vores insup­por­tables à la col­lec­ti­vi­té. Elles consom­me­ront plus de res­sources en éner­gie, en eau, en maté­riaux que la pla­nète ne pour­ra en four­nir. Il est néces­saire aujourd’­hui de repen­ser leur orga­ni­sa­tion, de modi­fier leur « méta­bo­lisme » pour les rendre com­pa­tibles avec la vie. Pour Paris-La Défense, c’est une méta­mor­phose. C’est un enjeu de la même impor­tance que celui qui a pré­si­dé à sa création.

Paris et La Défense sont liées depuis l’An­ti­qui­té. C’est au IIIe siècle avant Jésus-Christ qu’une tri­bu gau­loise, les Pari­sii, décide de s’é­ta­blir sur une butte lovée dans l’un des méandres de la Seine. Reste de cette période, outre le nom de Paris, l’ap­pel­la­tion d’une com­mune for­mant encore aujourd’­hui avec Nan­terre et Puteaux le ter­ri­toire de La Défense : Cour­be­voie. L’o­ri­gine de ce nom vient d’une route qui, en tra­ver­sant la Seine, s’in­flé­chit vers l’ouest. Un signe par­ti­cu­lier qui res­te­ra dans l’His­toire pour don­ner le nom de courbe voie.

La tour Eiffel aurait pu être la première tour de La Défense

Les Pari­sii sont des gens pros­pères. Les archéo­logues ont retrou­vé à Puteaux en 1950 un pot de terre conte­nant soixante sta­tères d’or qui, dévoi­lées par hasard, témoignent de la richesse de ce peuple gau­lois. Peut-être faut-il lier cette décou­verte au nom de Cour­be­voie, la voie courbe qui menait à la Nor­man­die et qui pas­sait par la Seine condui­sant à la mer. L’emplacement géo­gra­phique du site a son impor­tance. C’est un car­re­four de com­mu­ni­ca­tion natu­rel. Beau­coup plus tard, il devien­dra célèbre sous le nom de « rond-point de La Défense ».

Pour­quoi La Défense ? En sou­ve­nir de la défense de Paris contre les Prus­siens durant la guerre de 1870. Un monu­ment éri­gé en 1871 au centre du rond-point com­mé­more la lutte des Pari­siens. Aujourd’­hui encore, il s’é­lève sur la grande espla­nade qui s’é­lance en pers­pec­tive vers l’Étoile.

L’i­dée de pro­lon­ger les Champs-Ély­sées pour réa­li­ser une longue pers­pec­tive don­nant du souffle à Paris n’est pas récente. Déjà, à la fin du siècle der­nier, les édiles s’in­té­ressent au site de La Défense pour construire et urba­ni­ser cet espace riche en ter­rains dis­po­nibles. On pense même à y orga­ni­ser l’ex­po­si­tion uni­ver­selle de 1889. La tour Eif­fel aurait pu être la pre­mière tour de La Défense.

L’ex­pres­sion « Voie triom­phale » che­mine dans les esprits jusque dans les années 1920. Chez les construc­teurs, on se plaît à rêver d’une vaste opé­ra­tion d’a­mé­na­ge­ment fon­cier qui pro­lon­ge­rait Paris jus­qu’à La Défense. Les pou­voirs publics y sont favo­rables. Mais, bien qu’entre les deux guerres la popu­la­tion des villes se mette à dépas­ser celle des cam­pagnes, le pro­jet ne se réa­lise pas. Le phé­no­mène urbain n’est pas encore deve­nu une pré­oc­cu­pa­tion majeure. Paris et sa ban­lieue forment néan­moins un tis­su sans rup­ture. Au cours des années trente, un pre­mier plan d’a­mé­na­ge­ment glo­bal est éla­bo­ré. Il s’a­git de mieux répar­tir la popu­la­tion, de décon­ges­tion­ner le centre de Paris et d’en­rayer l’ac­crois­se­ment spon­ta­né des ban­lieues. L’i­dée de pla­ni­fi­ca­tion urbaine fait son chemin.

Tout s’ac­cé­lère après la Seconde Guerre mon­diale. À la Libé­ra­tion, l’am­pleur des tâches de la recons­truc­tion est consi­dé­rable. L’É­tat fran­çais crée le Com­mis­sa­riat géné­ral du Plan et le minis­tère de la Recons­truc­tion et de l’Ur­ba­nisme. Désor­mais, les pro­jets sont cen­tra­li­sés, étu­diés et mis dans la pers­pec­tive d’une ratio­na­li­sa­tion et d’un ordon­nan­ce­ment de l’ha­bi­tat. Jean Mon­net, pre­mier com­mis­saire au Plan résume en une for­mule lapi­daire la volon­té des pou­voirs publics de l’é­poque : « Moder­ni­sa­tion ou décadence ».

Sortir de l’Histoire pour entrer dans l’avenir

Dans les années cin­quante, les pro­jets d’a­mé­na­ge­ment de La Défense se mul­ti­plient. L’i­dée de « voie triom­phale » est res­tée lar­vée dans les mémoires. Cha­cun pense ou rêve en son for inté­rieur du grand axe qu’il des­sine magis­tra­le­ment dans sa tête.

L’es­quisse part de la Concorde, place des­si­née sous Louis XV et cen­trée autour de l’o­bé­lisque, sym­bole de l’An­ti­qui­té. Le des­sin s’é­lance alors vers l’É­toile, son Arc de Triomphe, qui signe la puis­sance de l’Em­pire. Et puis, c’est la plus belle par­tie de l’œuvre, celle qui consiste à sor­tir de l’His­toire pour entrer dans l’a­ve­nir. On se laisse glis­ser tout droit jus­qu’à la Seine qu’on fran­chit comme le Rubi­con pour poser son regard sur ce point dont on parle sans cesse comme d’un éden à bâtir : La Défense.

Construire à La Défense. Oui, mais quoi ?

Les pou­voirs publics ver­raient bien le lan­ce­ment d’une grande opé­ra­tion d’a­mé­na­ge­ment fon­cier : une façon de res­tau­rer le pres­tige de la Répu­blique en la concré­ti­sant dans une œuvre monu­men­tale. Ceci pour­rait se tra­duire par un pro­jet d’ar­chi­tec­ture réso­lu­ment contem­po­rain qui marque les esprits. Ce serait aus­si l’oc­ca­sion de mettre en pra­tique la décen­tra­li­sa­tion indus­trielle. Paris souffre de ses usines. L’É­tat pour­rait aus­si prou­ver sa capa­ci­té à stop­per le déve­lop­pe­ment anar­chique de la ban­lieue en réa­li­sant un quar­tier à crois­sance maîtrisée.

Tout le monde a son idée, sou­vent un peu confuse. Celle d’y réa­li­ser la pro­chaine expo­si­tion uni­ver­selle revient. Mais, faute de réa­lisme, elle est aban­don­née. Seule sub­siste la notion d’ex­po­si­tion. On pense alors à un palais per­ma­nent qui met­trait en valeur les nou­velles réa­li­sa­tions fran­çaises. Ce sera le Cnit : le Centre natio­nal des indus­tries et des techniques.

Posée comme une tor­tue qui aurait la légè­re­té d’un papillon, la voûte du Cnit va entrer dans l’His­toire. D’une por­tée record de 238 mètres, le voile auto­por­teur de béton force l’ad­mi­ra­tion. Le Cnit s’im­pose, dès sa nais­sance, comme une œuvre forte, un monu­ment d’ar­chi­tec­ture contem­po­raine : « une cathé­drale moderne », dira André Malraux.

Le Cnit : une cathédrale moderne dans le monde noir et blanc du cinéma d’avant-guerre

Inau­gu­ré le 12 sep­tembre 1958 par le géné­ral de Gaulle encore pré­sident du Conseil de la IVe Répu­blique, le Cnit émerge dans la nuit comme une cathé­drale de lumière au milieu d’une ban­lieue de cartes pos­tales pho­to­gra­phiées par Dois­neau. Les 40 000 mètres car­rés néces­saires au chan­tier ont été pris sur des bâti­ments d’u­sines comme ceux des enve­loppes pneu­ma­tiques Zodiac qui, à la recherche de nou­veaux déve­lop­pe­ments, sont allées s’ins­tal­ler en pro­vince. Le pre­mier mou­ve­ment des ser­vices rem­pla­çant l’in­dus­trie à Paris est amorcé.

Les auteurs du per­mis de construire dépo­sé en 1954, viennent d’at­tendre deux ans pour se faire accor­der l’au­to­ri­sa­tion d’ou­vrir leur chan­tier, faute de plan d’ur­ba­nisme dans cette zone. Le pro­jet aura dû s’ins­crire dans un pro­gramme d’a­mé­na­ge­ment de La Défense.

Le pays d’Ar­let­ty, née à La Défense, est en train de chan­ger. Le monde noir et blanc du ciné­ma popu­laire d’a­vant-guerre regarde avec sur­prise et fas­ci­na­tion ce dôme blanc que les maga­zines aiment tant repro­duire. Ils lisent avec fier­té que leur « monu­ment » n’est pas moins que le fruit du tra­vail de trois archi­tectes dont ils découvrent les noms : Came­lot, Zehr­fuss et J. de Mailly et que sans l’in­gé­nieur Esquillan jamais la voûte n’au­rait pu être construite en une seule por­tée. Le Cnit est popu­laire, d’a­vant-garde et aimé.

Les mani­fes­ta­tions qui s’y déroulent sym­bo­lisent une France heu­reuse d’a­van­cer dans le monde du pro­grès. Les Arts ména­gers attirent chaque année des mil­liers de visi­teurs. Près de la moi­tié des loge­ments n’ont pas encore l’eau cou­rante. On vient rêver dans cet uni­vers de sou­coupe extra­ter­restre d’un confort « à l’a­mé­ri­caine » avec des appa­reils et des robots qui libèrent la femme et donne à l’homme son sta­tut d’in­ven­teur. Tout est élec­trique : le rasoir, l’as­pi­ra­teur, la cireuse à chaus­sures… Des acteurs de ciné­ma font des démons­tra­tions devant les camé­ras de la télé­vi­sion fran­çaise. La Défense est pour tous un grand lieu de ras­sem­ble­ment et la vitrine la plus pres­ti­gieuse de l’in­dus­trie fran­çaise. La grande voûte du Cnit va res­ter le pou­mon de La Défense. Se dila­tant l’é­té, se rétrac­tant l’hi­ver, le voile de béton res­pire. Il va bien­tôt battre au rythme du monde des affaires.

La Défense va deve­nir le Man­hat­tan de Paris : c’est pour cela qu’elle prend le nom de Paris-La Défense.

Le suc­cès du Cnit impose l’a­mé­na­ge­ment de toute la zone. Bureaux, com­merces, par­kings, loge­ments doivent pou­voir être implan­tés en obéis­sant à un plan de crois­sance maî­tri­sé. La liai­son avec Paris est un point majeur. La ligne de métro qui che­mine sous « la voie triom­phale » doit être pro­lon­gée jus­qu’à La Défense. Dans un pre­mier temps, elle s’ar­rê­te­ra au pont de Neuilly et c’est en fait le RER qui relie­ra vrai­ment La Défense à Paris (sta­tion Étoile). Les rela­tions avec les com­munes sont sen­sibles. 800 hec­tares de ter­rain sont concer­nés. 200 éta­blis­se­ments indus­triels et 20 000 habi­tants doivent être dépla­cés. Quel orga­nisme va pou­voir se char­ger de mener de telles opé­ra­tions ? Une solu­tion ori­gi­nale est trou­vée. C’est un éta­blis­se­ment public, natio­nal et spé­ci­fique à l’o­pé­ra­tion. L’EPAD – Éta­blis­se­ment public pour l’a­mé­na­ge­ment de la région de La Défense – est créé.

Un pre­mier plan de masse conçu par les trois archi­tectes du Cnit orga­nise l’es­pace en deux quar­tiers face-à-face sépa­rés par une grande ave­nue trans­ver­sale dans le pro­lon­ge­ment de la mythique « voie triom­phale ». Le par­vis sur­éle­vé, face au Cnit, est déjà dans le dessin.

Chaque construction a sa hauteur, à l’image d’une forêt normalisée comme un verger

Mais com­ment vendre 800 000 mètres car­rés de bureaux sans une véri­table étude du plan de cir­cu­la­tion et de com­mu­ni­ca­tion ? Les archi­tectes font place aux urba­nistes. L’EPAD s’ad­joint deux urba­nistes, Robert Auzelle et Paul Her­bé, et met au point un nou­veau plan direc­teur qui pré­voit plu­sieurs types de che­mi­ne­ments. Les pié­tons cir­culent en sur­face pro­fi­tant de l’air pur et de la ver­dure. Les véhi­cules sta­tionnent des­sous. Ceux qui assurent la logis­tique cir­culent au plus pro­fond du sous-sol. Ceux qui contournent empruntent une voie rapide qui des­sert tous les quar­tiers par l’ex­té­rieur. Le bou­le­vard cir­cu­laire trace la ligne de for­ti­fi­ca­tion d’une nou­velle cité. La Défense n’est plus seule­ment un axe qui tra­verse l’His­toire. Elle existe. C’est une ville, un quar­tier, un lieu urbain. On y vit. On y travaille.

Ce rythme ter­naire – pié­ton, sta­tion­ne­ment, cir­cu­la­tion – est repris en sur­face. Trois hau­teurs d’é­di­fices se par­tagent les pers­pec­tives du pro­me­neur. Les construc­tions les plus basses sont réser­vées aux com­merces. Les bâti­ments moyens sont conçus pour accueillir des loge­ments. Les tours n’empilent que des bureaux.

Cette plan­ta­tion, à l’i­mage d’une forêt, est au début nor­ma­li­sée comme un ver­ger. Chaque type de construc­tion a sa hau­teur « stan­dar­di­sée ». Plus tard, et fort heu­reu­se­ment, quand le monde des affaires occu­pe­ra la majo­ri­té de l’es­pace, cette orga­ni­sa­tion en forêt res­te­ra, mais une forêt où les arbres montent à des hau­teurs dif­fé­rentes. Aujourd’­hui, La Défense a gar­dé une diver­si­té de hau­teurs qui lui donne le charme de la variété.

La querelle des tours des années soixante-dix

La Défense se trans­forme un quar­tier d’af­faires. Avec dif­fi­cul­té. Les entre­prises prêtes à inves­tir tardent à prendre leur déci­sion. Elles réclament davan­tage de sur­face, des tours plus hautes com­pa­rables aux gratte-ciel amé­ri­cains. Les études sont alors révi­sées. La capa­ci­té d’ac­cueil passe de 800 000 à 1,5 mil­lion de mètres carrés.

Durant les années soixante, l’ar­chi­tec­ture ver­ti­cale pro­gresse à Paris comme dans la plu­part des capi­tales euro­péennes. Les Pari­siens s’en émeuvent, mais mettent cela sur le compte d’une moder­ni­té néces­saire au pro­grès. Au début des années soixante-dix, la presse ampli­fie l’o­pi­nion publique en sour­dine. Ce n’est plus sup­por­table. La « que­relle des tours » éclate. Archi­tectes, hommes poli­tiques, édi­to­ria­listes prennent parti.

Georges Pom­pi­dou, pré­sident de la Répu­blique, inter­vient. Il oppose aux anciens une déci­sion qui ne satis­fait pas les modernes : les tours en construc­tion qui ont reçu les auto­ri­sa­tions légales seront ache­vées. Les pro­jets sont arrê­tés. Aux élec­tions sui­vantes, Valé­ry Gis­card d’Es­taing devient pré­sident. Ému au sor­tir de l’É­ly­sée de voir sur­gir dans la pers­pec­tive des Champs-Ély­sées, à l’ho­ri­zon de La Défense, une tour à l’en­seigne d’une com­pa­gnie d’as­su­rances, il cherche à la faire tron­quer (heu­reu­se­ment sans résul­tat). C’est dans ce contexte que l’E­PAD doit pour­suivre le déve­lop­pe­ment qu’elle a commencé.

Le choc pétro­lier de 1974 change bru­ta­le­ment les men­ta­li­tés. Le pro­grès, hier encore ver­tueux, devient source de crise. Le pétrole enraye une éco­no­mie glo­rieuse. L’EPAD ne vend plus un seul droit à construire. « L’É­tat ne peut pas aban­don­ner l’o­pé­ra­tion Défense ». Ce cri d’a­larme lan­cé par le direc­teur de l’é­ta­blis­se­ment public finit par trou­ver un écho favo­rable auprès du gou­ver­ne­ment. Un comi­té inter­mi­nis­té­riel pré­si­dé par Ray­mond Barre fixe les condi­tions d’une relance. L’o­rien­ta­tion vers les acti­vi­tés ter­tiaires est confir­mée. Des infra­struc­tures de com­mu­ni­ca­tion comme le pas­sage de l’au­to­route sous la dalle sont exi­gées. Les archi­tectes pro­posent une nou­velle géné­ra­tion d’im­meubles à façades miroirs qui font oublier l’u­ni­vers de béton tant cri­ti­qué par la presse. La Défense n’est plus reje­tée. Elle renaît sous un jour nou­veau. Elle attire les investisseurs.

Les années quatre-vingt sont mar­quées par ce qu’il est conve­nu d’ap­pe­ler l’o­pé­ra­tion « Tête Défense ». C’est le point d’orgue de la voie triom­phale. Quelle construc­tion doit ponc­tuer ou mar­quer ce lieu du Paris des affaires désor­mais ancré en réponse au Paris his­to­rique tout en pro­po­sant 100 000 mètres car­rés de bureaux dont la moi­tié sera réser­vée à un minis­tère dont on ne connaît pas encore le nom ? Les archi­tectes font des pro­po­si­tions. Un pro­jet est rete­nu en jan­vier 1981. Il ne ver­ra jamais le jour. Le nou­veau Pré­sident de la Répu­blique, Fran­çois Mit­ter­rand, élu en mai le refuse. Le pro­jet atten­dra. En atten­dant, le centre com­mer­cial des Quatre Temps vient d’ou­vrir. Avec plus de 100 000 mètres car­rés de bou­tiques, c’est l’un des plus grands d’Europe.

Otto von Spreckelsen : j’ai commencé à dessiner un carré et puis j’ai eu envie de l’évider.

La Grande Arche était née…
Le 9 mars 1982, un concours inter­na­tio­nal d’ar­chi­tec­ture est annon­cé. Il s’a­git de construire un ouvrage monu­men­tal capable d’ac­cueillir un Centre inter­na­tio­nal de la com­mu­ni­ca­tion et deux minis­tères : celui de l’Ur­ba­nisme et du Loge­ment et celui de l’En­vi­ron­ne­ment. Le lieu est tou­jours le même : « Tête Défense ». Mais on n’im­pose plus la contrainte de la vue des Champs-Ély­sées. 424 pro­jets sont dépo­sés. Le lau­réat est incon­nu du grand public. Son nom vient du Nord. Johan Otto von Spre­ckel­sen est Danois. C’est à par­tir d’une esquisse qu’il a empor­té l’adhésion :

« Quand j’ai visi­té La Défense, j’ai vu des cercles comme le Cnit et puis, bien sûr, il y avait les tours. Pour moi, c’é­tait des rec­tangles dres­sés. Alors, pour com­plé­ter tout cela, j’ai com­men­cé à des­si­ner un car­ré. Ce jour-là, il y avait beau­coup de vent et il nei­geait. J’ai eu envie d’é­vi­der mon car­ré. Je me suis retrou­vé devant une arche. » Voi­là com­ment Otto von Spre­ckel­sen raconte la genèse de son œuvre. Tout le monde y voit le monu­ment qu’il cher­chait : la réplique monu­men­tale de l’Arc de Triomphe. Revient l’é­ter­nelle ques­tion de la conti­nui­té, mais cette fois avec la réponse.

Le Pré­sident de la Répu­blique vou­dra se rendre compte de l’ef­fet que l’Arche pro­duit vue des Champs-Ély­séen avant de don­ner le coup d’en­voi défi­ni­tif à sa construc­tion. Pour concré­ti­ser sa pré­sence, on élè­ve­ra à force de grues géantes une poutre repré­sen­ta­tive du fron­ton à la hau­teur réelle. Et, au sor­tir de l’É­ly­sée, Fran­çois Mit­ter­rand consta­te­ra que non seule­ment l’Arche est visible, mais qu’elle des­sine sur l’ho­ri­zon une œuvre que tous les Fran­çais retien­dront. La Défense est désor­mais acceptée.

…et le grand axe prolongé

Mieux même, le grand axe est pro­lon­gé à l’Ouest au-delà de la Grande Arche, jus­qu’à la Seine : « la voie triom­phale » tra­verse ain­si la boucle de la Seine et double de lon­gueur ; l’au­to­route A14 est enter­rée : le tra­fic de tran­sit « by-passe » La Défense.

La Défense est aus­si deve­nue un musée. Avec natu­rel, dia­lo­guant avec les formes de l’ar­chi­tec­ture contem­po­raine, les œuvres de grands sculp­teurs habitent ça et là aux croi­se­ments de la vie des pas­sants. Par­mi les plus célèbres, on dis­tingue la grosse car­casse rouge de Cal­der avec, en face, la sculp­ture bigar­rée du cata­lan Joan Miro. Plus loin, comme signa­lant le Cnit à la Grande Arche, le pouce de César envoie un appel. Ray­mond Moret­ti qui habi­tait La Défense, a dépo­sé une œuvre sous l’es­pla­nade. Comme une mini­tour de 100 tonnes d’a­cier for­gée par Usi­nor, Richard Ser­ra ponc­tue l’es­pace avec un bloc ten­du vers le ciel. On joue aus­si de la musique à La Défense. Des concerts sont orga­ni­sés régu­liè­re­ment et chaque année, les habi­tants et les visi­teurs viennent assis­ter aux « eaux d’ar­ti­fices » don­nées sur la fon­taine d’Agam.

La Défense fait par­tie aujourd’­hui des grands centres de déci­sion du monde comme peuvent en avoir New York, Londres, Tokyo, Sin­ga­pour ou Hong-Kong. Véri­table pou­mon éco­no­mique du ter­tiaire, elle est au Paris du XXIe siècle ce que les grands bou­le­vards Hauss­man­niens ont été aux grandes banques du XIXe : non seule­ment un lieu d’ef­fer­ves­cence d’éner­gies humaines qui ont fait avan­cer l’His­toire, mais aus­si un creu­set du futur. Où mieux que dans ces espaces en conti­nuel deve­nir pour­ra-t-on expé­ri­men­ter les solu­tions tech­ni­co-durables qui per­met­tront à la ville de modi­fier son méta­bo­lisme pour sau­ver la planète ?

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*Centre scien­ti­fique et tech­nique du bâtiment
**Éta­blis­se­ment public pour l’a­mé­na­ge­ment de la région de la Défense

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