André Bollier (38), dit “ Vélin ”

Dossier : ExpressionsMagazine N°600 Décembre 2004Par : Vianney BOLLIER( (64)

Il y a soix­ante ans, le 17 juin 1944, André Bol­lier tombait les armes à la main aux côtés de deux de ses hommes, rue Viala à Lyon, après l’at­taque par la Mil­ice et les Alle­mands de l’im­primerie clan­des­tine de la Résis­tance, qu’il avait créée et qu’il dirigeait.

Mort alors qu’il venait à peine d’avoir vingt-qua­tre ans, André Bol­lier était un homme de pen­sée, de cœur et d’ac­tion qui avait refusé de se soumet­tre à la défaite mil­i­taire et à l’ef­fon­drement social de 1940 et qui avait choisi très tôt de con­tin­uer à se bat­tre pour que l’e­sprit de liber­té sur­vive avant de pou­voir renaître.

Il a mené son com­bat jusqu’au bout mais son idéal n’est pas mort avec lui.

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André Bollier (38), dit “ Vélin ” Compagnon de la LibérationNé à Paris le 30 mai 1920 dans une famille qui comptera trois fils et s’in­stallera bien­tôt à Saint-Maur-des- Fos­sés, André Bol­lier émer­veille ses maîtres au col­lège d’Ar­son­val où il va de prix d’ex­cel­lence en prix d’ex­cel­lence et passe sa pre­mière par­tie de bac­calau­réat à quinze ans. Il entre alors au lycée Jan­son de Sail­ly et, avec quelques cama­rades qui devien­dront des amis durables, se dis­tingue au Con­cours général de math­é­ma­tiques et de physique de 1936.

Excel­lent pianiste, joueur de bridge, par­lant à la fois l’anglais et l’alle­mand, il est reçu dans les tout pre­miers de l’É­cole nor­male supérieure comme de Poly­tech­nique alors qu’il vient tout juste d’avoir dix-huit ans. Un pre­mier choix impor­tant lui fait inté­gr­er l’X qui lui paraît plus proche de la vie économique et surtout, en ces temps trou­blés de l’été 1938, plus impliquée dans l’ac­tion militaire.

Dans l’ac­calmie de l’après Munich, sa pre­mière année d’é­tude à la Mon­tagne Sainte-Geneviève lui apporte un peu plus que des sat­is­fac­tions d’é­tu­di­ant : il ren­con­tre en effet Noëlle Benoît lors de ses vacances de Nou­v­el An à Tignes, et, cro­tale ou pas, com­mence à faire de temps en temps le mur pour sor­tir avec elle le soir.

La guerre, qui est déclarée en sep­tem­bre 1939, boule­verse le cours des études de sa pro­mo­tion (et de la suiv­ante). Con­vo­qués à Paris dès la fin août, les élèves sont envoyés dans divers­es écoles d’of­ficiers. André Bol­lier choisit l’ar­tillerie hip­po­mo­bile et can­tonne au château de Fontainebleau. Il y acquiert une solide forme physique et, dans ses let­tres à Noëlle, décrit avec humour sa décou­verte des règles et habi­tudes militaires.

Sor­ti troisième de cette épreuve, il a l’en­tière liber­té du choix de son affec­ta­tion mais, faute d’in­for­ma­tions réelles, s’en remet un peu au hasard, du moment qu’il va au front.

De févri­er à mai 1940, André Bol­lier par­ticipe ain­si dans la région de Vesoul à la drôle de guerre et à ses con­tra­dic­tions. Nom­mé le 1er juin à l’é­tat-major de la divi­sion, il ronge son frein en accep­tant de faire toutes les recon­nais­sances de nuit avec les com­man­dos, au risque de subir le tir de notre pro­pre artillerie.

La bataille com­mence le 10 juin et vire immé­di­ate­ment à la tour­mente : offici­er de liai­son à moto­cy­clette, André Bol­lier enchaîne les mis­sions de jour comme de nuit. Le 19 juin il échappe de peu à un tir alle­mand en forçant sa sor­tie d’un vil­lage. Le surlen­de­main, 21 juin, il est pris dans un tir croisé et griève­ment blessé.

Ce sont les Alle­mands qui le relèvent, l’é­vac­uent, l’opèrent à Lunéville et le sauvent. C’est encore un Alle­mand qui le ren­voie dans ses foy­ers en sep­tem­bre et lui évite la captivité.

Mais le retour est pesant, et c’est avec morosité qu’An­dré Bol­lier rejoint Villeur­banne, près de Lyon, en novem­bre 1940, pour y faire sa deux­ième année d’é­tude et pour, ensuite, mieux servir le pays, et peut-être faire un long voyage.

Les mois qui passent le déçoivent car l’É­cole, dev­enue civile et au fonc­tion­nement dif­fi­cile, lui sem­ble man­quer de dig­nité. Il écoute bien­tôt son cama­rade Jean-Guy Bernard dont le père, colonel, était un ami d’Hen­ri Fre­nay, le fon­da­teur du mou­ve­ment ” Combat “.

À par­tir du print­emps de 1941, André Bol­lier com­mence donc à employ­er ses temps libres à la fab­ri­ca­tion et à la dif­fu­sion des Petites Ailes, le pre­mier bul­letin de ce mou­ve­ment et l’ancêtre du jour­nal Com­bat. Dès le début de la résis­tance en zone libre comme en zone occupée, l’in­for­ma­tion de la pop­u­la­tion apparut en effet comme une activ­ité essen­tielle, et chaque mou­ve­ment nais­sant créait sa pro­pre feuille, que cer­tains détru­i­saient avec mau­vaise humeur et que d’autres pas­saient en cachette à leur voisin.

Dans ce con­texte, André Bol­lier, qui envis­age main­tenant de se mari­er dès que ce sera pos­si­ble, renonce sans regret à la Botte mal­gré sa qua­trième place de sor­tie et mal­gré les com­pli­ments qu’il a reçus du grand Becquerel.

Devenu ingénieur aux Câbles de Lyon à l’au­tomne 1941, il mène de front son activ­ité pro­fes­sion­nelle et une activ­ité clan­des­tine que sa direc­tion facilite en secret.

Il installe son bureau de résis­tant rue du Tonkin, con­va­inc des imprimeurs, recrute Luci­enne et les autres mem­bres de sa pre­mière équipe et fait par­fois tra­vailler en cachette des typographes du Pro­grès de Lyon.

Son arresta­tion de Noël 1942, immé­di­ate­ment suiv­ie d’une pre­mière éva­sion aus­si calme qu’au­da­cieuse, fait bas­culer dans la clan­des­tinité com­plète ce jeune mar­ié dont la femme doit appren­dre à se cacher pour rester le plus pos­si­ble à ses côtés.

Il pour­rait renon­cer, il pour­rait chang­er d’ac­tiv­ité mais ce n’est pas dans sa nature et André Bol­lier choisit de continuer.

Sa fille naît en févri­er 1943 : Noëlle la con­fie sou­vent à sa pro­pre mère et André ne la ver­ra pour la pre­mière fois qu’en juillet.

Machine d’imprimerie, maintenant au Musée de Lyon, qui servait aux petits formats et petits tirages.
Machine d’imprimerie, main­tenant au Musée de Lyon, qui ser­vait aux petits for­mats et petits tirages.

Pour éviter les dan­gers que le tra­vail clan­des­tin fai­sait courir aux imprimeurs pro­fes­sion­nels, encore plus sur­veil­lés depuis l’oc­cu­pa­tion de la région par les Alle­mands, André Bol­lier con­va­inc Com­bat de créer de toutes pièces une imprimerie clan­des­tine. Il l’in­stalle dans une anci­enne usine rue Viala près de l’hôpi­tal Grange Blanche et la maquille en ” Bureau de recherch­es géodésiques “. Par sécu­rité, il la dote de toutes les (fauss­es) autori­sa­tions néces­saires et obtient même son papi­er directe­ment d’Allemagne !

Le local de la rue Viala devient ain­si le nou­veau lieu de tra­vail de Paul Jail­let, typographe, et de Fran­cisque Vach­er, pho­tograveur, tous deux anciens du Pro­grès, qui a cessé volon­taire­ment de paraître en novem­bre 1942.

Démar­rée pen­dant l’été de 1943, l’ac­tiv­ité de l’im­primerie ne cessera de croître au ser­vice non seule­ment de Com­bat mais aus­si de jour­naux de plus en plus nom­breux tels que Défense de la France, La Mar­seil­laise ou Témoignage Chré­tien. Très cloi­son­née, l’ac­tiv­ité de l’équipe se pour­suit mal­gré les dif­fi­cultés et les arresta­tions et, au début de 1944, l’im­primerie sor­ti­ra plus d’un mil­lion d’ex­em­plaires par mois.

Gérant avec rigueur ses com­mu­ni­ca­tions et ses divers­es activ­ités, Vélin est con­scient des risques qu’il court et que l’ar­resta­tion de son cama­rade Jean-Guy Bernard lui rap­pelle en sep­tem­bre 1943.

Mais il est des choses que l’on ne maîtrise pas et, vic­time de l’im­pru­dence d’un de ses cor­re­spon­dants, Vélin est arrêté lui aus­si, une deux­ième fois le 8 mars 1944.

Interné au fort de Montluc, il est trans­féré chaque semaine dans l’an­ci­enne École de san­té mil­i­taire pour inter­roga­toire. Il ne par­lera pas mal­gré la tor­ture et aucune arresta­tion ne se pro­duira en rap­port avec lui pen­dant sa déten­tion. Déter­miné à s’é­vad­er, il use ses gar­di­ens en jouant d’une dysen­terie bien réelle et, alors qu’un Bar­bie écœuré vient de lui annon­cer son exé­cu­tion pour le lende­main, il réus­sit à se hiss­er par le vasis­tas d’un palier d’escalier en demi-sous-sol, émerge dans l’av­enue Berth­elot aux pieds d’une sen­tinelle et l’embrouille si bien en alle­mand qu’il parvient à lui échapper.

Après une brève journée de repos il est de retour à l’im­primerie le 2 mai où il retrou­ve l’équipe qui, con­fi­ante, a con­tin­ué à tra­vailler. Sa femme le retrou­ve aus­si et pen­dant un mois, enceinte de leur deux­ième enfant, elle partage son attente ent­hou­si­aste du débar­que­ment et la per­spec­tive d’aller com­bat­tre au grand jour, les armes à la main.

Dans l’om­bre cepen­dant la Mil­ice s’ac­tive de son côté et les mêmes per­spec­tives don­nent à la déla­tion l’én­ergie du désespoir.

Le drame se noue lorsque Vélin, qui a décidé de quit­ter Lyon et de rejoin­dre les armées à l’Ouest, con­voque le 17 juin une réu­nion à l’im­primerie pour l’après-midi même, afin de boucler, excep­tion­nelle­ment un same­di, le numéro spé­cial con­sacré au débarquement.

Autour de Vélin et de Luci­enne, Jail­let et Vach­er véri­fient la nou­velle instal­la­tion de pho­togravure, lorsque des mili­ciens sur­gis­sent aux fenêtres en cri­ant ” Police ! Ren­dez vous ! “. Croy­ant l’u­sine déserte, ils sont sur­pris par la riposte de Vélin qui, main­tenant tou­jours armé, en touche plusieurs.

Après un instant de con­cil­i­ab­ule, Vach­er se dirige vers la porte où il est abat­tu aus­sitôt, Jail­let décide de rester tan­dis que Vélin aide Luci­enne à se sauver avec lui par un vasistas.

De la ter­rasse au jardin puis de clô­ture en clô­ture, Vélin et Luci­enne parvi­en­nent aux abor­ds du cours Eugénie. Ils se croient sauvés mais, au moment où ils s’élan­cent pour tra­vers­er, la rafale d’une mitrailleuse embusquée un peu plus loin les abat. Vélin, qui con­nais­sait l’hor­reur de la tor­ture, avait juré qu’il ne serait pas repris vivant : il retourne calme­ment son revolver sur lui et meurt sere­ine­ment aux côtés de Lucienne.

Pen­dant ce temps Jail­let, qui a été odieuse­ment tor­turé, est lui aus­si abat­tu par d’autres Français. Il les regarde en face avant qu’ils ne pil­lent l’im­primerie et l’incendient.

Le des­tin, ce jour-là, n’a pas voulu de Luci­enne qui sur­vivra mirac­uleuse­ment à plusieurs blessures. Recueil­lie dans une mai­son voi­sine, puis trans­portée à l’hôpi­tal, elle y subi­ra une opéra­tion dif­fi­cile. Inter­rogée mal­gré son état, elle pré­ten­dra être passée là par hasard, et sera ensuite évadée par ses camarades.

La Résis­tance se remet au tra­vail dès le lende­main du drame et, pen­dant que les veuves pleurent leurs maris, le pre­mier Com­bat libre sort le 21 août. Paris est libéré quelques jours après, puis Lyon en septembre.

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Le ” Groupe de la rue Viala ” a reçu la Croix de guerre avec étoile d’ar­gent par décret du 31 août 1945.

La liste ” offi­cielle ” (mais sans doute incom­plète) du Groupe est la suivante :

André BOLLIER Vélin Posthume
Paul JAILLET Duroc Posthume
Robert CLUZAN Fabric Posthume
René LEYNAUD Clerc Posthume
Fran­cisque VACHER Posthume
Marinette SERVILLAT Lucienne
Simone RIOTORD Stany
Léonce CLÉMENT Mazel
Mar­cel MARTIN Dupuis
Lucien GROSS Lulu
Bernard GEORGES Philippe
Désiré CHATAIN Dédé

Out­re cette Croix de guerre col­lec­tive, et une de 1943 pour sa blessure de 1940, André Bol­lier a reçu la Croix de guerre avec Palme et a été fait cheva­lier de la Légion d’hon­neur le 7 mai 1946. Il a été fait Com­pagnon de la Libéra­tion le 20 jan­vi­er 1946 et a reçu la Médaille de la Résis­tance avec rosette le 3 août 1946. Il a été recon­nu comme ” Mort pour la France “, et ses ser­vices ont été régu­lar­isés par le grade de Com­man­dant. Ses enfants ont été ” Adop­tés par la Nation “.

En 1945, la ville de Saint-Maur a don­né son nom à la rue de son ancien col­lège et la ville de Lyon à celle où il habitait avec Noëlle près des Câbles de Lyon.

À Saint-Maur, une ” Asso­ci­a­tion des amis d’An­dré Bol­lier ” a été créée à la fin de 1945 pour recueil­lir des fonds. Elle les a con­sacrés à un mon­u­ment au col­lège d’Ar­son­val et à des dota­tions pour l’é­d­u­ca­tion des deux enfants de Vélin.

Chaque année depuis soix­ante ans, un petit groupe rend hom­mage, le 17 juin, à André Bol­lier et à son équipe. Le Groupe lyon­nais des X est fidèle à cette man­i­fes­ta­tion et mar­que depuis tou­jours sa cor­diale affec­tion à Noëlle Bollier.

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Né quelques mois après la mort de mon père, je me suis sen­ti pen­dant longtemps assez mal placé pour par­ler de lui. En out­re, son image me parais­sait telle­ment pré­cieuse et essen­tielle que je voy­ais mal com­ment la partager.

Un jour cepen­dant, les anciens se sont mis à écrire, ma mère m’a mon­tré des doc­u­ments, quelques col­lo­ques se sont tenus et mes enfants ont com­mencé à m’in­ter­roger. Il a donc fal­lu que je me décide à faire quelque chose et ce ” papi­er ” est la ver­sion courte d’un texte que j’ai rédigé pour ma famille.

Ses imper­fec­tions sont sûre­ment nom­breuses, bien que je me sois appuyé sur un dossier fait de témoignages écrits, de livres et d’en­tre­tiens per­son­nels avec des acteurs directs. Je souhaite donc que tous ceux qui peu­vent apporter des cor­rec­tions ou des pré­ci­sions m’écrivent en toute fran­chise. L’his­toire de la Résis­tance est dif­fi­cile à établir et a besoin du con­cours de tous. 

Vianney Bollier (64)

2 Commentaires

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Isabelle RIOUrépondre
8 février 2013 à 14 h 20 min

Léonce Clé­ment
Bon­jour,
Je suis une des petites-filles de Léonce Clé­ment dit Mazel et je com­mence à essay­er de réu­nir des infor­ma­tions sur mon grand-père dans un but de mémoire familiale.
Mer­ci pour ce tra­vail qui cor­re­spond d’ailleurs aux réc­its qu’a pu m’en faire mon grand-père de façon par­cel­laire et qui me per­met aujour­d’hui d’en saisir toute la pro­fondeur puisque j’é­tais alors trop petite pour en saisir la portée historique.
Vous dites vous être appuyé sur des écrits. Si vous pou­vez avoir la gen­til­lesse de partager vos sources, cela me per­me­t­trait de par­tir sur les traces de mon grand-père et d’al­i­menter la mémoire de sa quin­zaine d’ar­rières-petits-enfants dont l’un porte son prénom mais à qui je voudrais apporter autre chose que des réc­its famil­i­aux incom­plets et flous.
Je vous remer­cie d’a­vance de l’aide que vous voudrez bien m’ap­portez dans ma démarche,
Cordialement,

Isabelle Riou
puechisa@free.fr

Guil­hem Touratierrépondre
22 août 2013 à 10 h 35 min

35 de la rue Viala
Bon­jour Monsieur,

Je me per­me­ts de vous écrire afin de vous deman­der si vous auriez svp une pho­togra­phie du bâtiment/villa qui abri­tait l’imprimerie clan­des­tine au 35 de la rue Viala (avant sa destruc­tion et son rem­place­ment par un immeu­ble), ou si vous pou­viez m’indiquer où en trou­ver une ?

Je vous remer­cie par avance de votre réponse.

Cor­diale­ment et dans l’attente de vous lire,

Guil­hem Touratier

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