Algérie : mémoire déracinée

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°550 Décembre 1999Par : René MAYER (47)Rédacteur : G. BARTHÈS DE RUYTER (51)

Vivant comme un roman mais aus­si doc­u­men­té qu’une thèse, ce livre invite à revis­iter un siè­cle et demi de des­tins croisés entre la France et l’Algérie.

De nom­breux X ont con­tribué à dévelop­per l’Algérie. C’est en grande par­tie grâce à leur com­pé­tence et à leur tal­ent que l’équipement de ce pays en infra­struc­tures de toutes sortes (routières, por­tu­aires, aéro­por­tu­aires, hydrauliques, pétrolières, gaz­ières, etc.) ne le cédait en rien à celui des autres pays riverains de la Méditerranée.

Nom­breux sont égale­ment les X qui ont par­ticipé à la chevauchée fan­tas­tique de l’armée d’Afrique, celle qui, durant la Sec­onde Guerre mon­di­ale, don­na à la France la seule grande vic­toire de portée stratégique rem­portée par ses armées : la rup­ture de la “ ligne Hitler ” sur le Garigliano, rup­ture qui entraî­na l’entrée dans Rome, bien­tôt suiv­ie du débar­que­ment dans le Var et de la prise de Toulon, Mar­seille et Lyon par les Français.

Cette cam­pagne vic­to­rieuse a déjà été décrite dans La Jaune et la Rouge par le général d’armée François Valentin (32). Sans ces 400 000 hommes de l’armée d’Afrique, par­mi lesquels fig­u­raient 200 000 Français d’Afrique du Nord, la France occu­perait-elle au Con­seil de Sécu­rité le siège envié qui est aujourd’hui le sien ?

Toute­fois, si beau­coup de nos cama­rades mét­ro­pol­i­tains se sont dévoués corps et âme à l’Afrique du Nord, cette région du monde ne pou­vait être ressen­tie char­nelle­ment par eux comme leur patrie. La par­tic­u­lar­ité et l’intérêt du témoignage de René May­er tien­nent à l’enracinement de sa famille depuis cinq généra­tions dans cette plaine de Bône (aujourd’hui Anna­ba) où sont égale­ment nés Albert Camus et le maréchal Alphonse Juin.

À l’évidence, sans rien renier de sa francité, l’auteur vivait inten­sé­ment son appar­te­nance à l’Afrique du Nord. Il s’y sen­tait en har­monie avec un Kabyle de souche comme Salah Bouak­ouir (28), qui fut son patron, ou avec un poète comme Mouloud Feraoun.

Ini­tiale­ment par­ti à la recherche de son père et de ses orig­ines, René May­er nous fait revis­iter une tranche de notre His­toire, depuis la con­quête de la colonie “par le glaive et la char­rue ” dans les années 1830–1850, jusqu’à ce régime mil­i­taire qui per­dure aujourd’hui et dont – nolens volens – la France a favorisé l’installation.

L’ouvrage nous ouvre des hori­zons nou­veaux sur les souf­frances des “ pieds-noirs ”, sur leur instru­men­tal­i­sa­tion au prof­it des intérêts stratégiques et économiques mét­ro­pol­i­tains, sur les ren­dez-vous man­qués de notre pays avec l’Histoire, sur la non-exis­tence des “ accords d’Évian ” et sur une décoloni­sa­tion bâclée qui aban­don­na deux mil­lions de per­son­nes et sac­ri­fia délibéré­ment 100 000 harkis. Aux faits qu’il rap­porte, on peut certes oppos­er d’autres faits, mais on n’a guère le droit d’ignorer ceux-là.

Que ceux qui préfèrent vivre l’âme sere­ine, heureux de n’avoir pas su ou par­ticipé, gavés d’idées toutes faites, ne lisent pas ce livre passionné.

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