Prévenir les anomalies cardiaques pour une meilleure prise en charge des patients

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°793 Mars 2024
Par Jean-Marc PEYRAT

Avec sa tech­no­lo­gie inno­vante, inHEART révo­lu­tionne la prise en charge des aryth­mies car­diaques. Aujourd’hui, la start-up ambi­tionne d’aller encore plus loin en déve­lop­pant des solu­tions inno­vantes pour la pré­ven­tion et le scree­ning de la mort subite et des AVC car­dio-embo­liques. Le point avec Jean-Marc Pey­rat, cofon­da­teur et CTO d’inHEART.

inHEART est née de la mise en commun des expertises des cofondateurs : un cardiologue, un radiologue et deux chercheurs de l’INRIA. Dites-nous en plus. 

Au départ, inHEART est le fruit de la col­la­bo­ra­tion aty­pique entre un car­dio­logue, le pro­fes­seur Pierre Jaïs, et un radio­logue, le pro­fes­seur Hubert Cochet, du CHU de Bor­deaux, car il est très rare, dans le monde de la méde­cine que deux pro­fes­seurs spé­cia­li­sés dans des dis­ci­plines dif­fé­rentes nouent une col­la­bo­ra­tion si étroite. Ensemble, ils ont explo­ré com­ment l’imagerie pou­vait contri­buer à mieux com­prendre les pro­blèmes d’arythmie car­diaque. À par­tir de ce pro­jet de recherche fon­da­men­tale, ils ont mis en évi­dence que l’imagerie pou­vait être uti­li­sée en amont mais aus­si pen­dant des inter­ven­tions pra­ti­quées en cas d’arythmie. Il s’agit essen­tiel­le­ment d’interventions dites d’ablation par cathé­ter dans le cadre des­quelles un cathé­ter est insé­ré à l’intérieur des vais­seaux pour arri­ver jusqu’à l’intérieur du cœur et prendre des mesures élec­triques pour iden­ti­fier les zones d’activités anor­males et, in fine, brû­ler du tis­su car­diaque pour cor­ri­ger ces pro­blèmes électriques. 

Grâce à l’imagerie, il est, en effet, possible d’identifier les zones à cibler sans avoir à mener cette phase exploratoire au début de l’intervention. 

Pierre Jaïs et Hubert Cochet ont cher­ché à trans­for­mer ces images de scan­ner ou d’IRM acquises en coupe 2D en un modèle 3D. Pour ce faire, ils se sont rap­pro­chés de Maxime Ser­me­sant, qui a rejoint ain­si l’équipe fon­da­trice de méde­cins, et qui est un cher­cheur de l’INRIA connu pour son exper­tise en IA et modé­li­sa­tion d’organes, notam­ment du cœur. Ensemble, ils ont tra­vaillé sur le déve­lop­pe­ment d’outils pour faci­li­ter l’extraction d’information des images et la repré­sen­ta­tion en 3D de ces infor­ma­tions afin qu’elles soient plus faci­le­ment inter­pré­tables par les car­dio­logues et uti­li­sables pen­dant l’intervention. À cette époque, je venais de finir ma thèse en ima­ge­rie médi­cale en col­la­bo­ra­tion avec Sie­mens sur l’imagerie car­diaque à l’INRIA avec Maxime. Plus tard, après que la tech­no­lo­gie ait gagné en matu­ri­té, Maxime a repris contact avec moi au début de mon MBA à HEC Paris pour rejoindre l’aventure entre­pre­neu­riale et lan­cer la star­tup tous ensemble en 2017. 

La tech­no­lo­gie avait com­men­cé à être uti­li­sée en interne par le CHU de Bor­deaux et d’autres centres dans le monde, notam­ment en Europe et aux États-Unis, avant la créa­tion de la start-up. C’est cet inté­rêt pour l’utilisation crois­sante de notre tech­no­lo­gie au béné­fice du patient qui a pous­sé les cofon­da­teurs à créer inHEART afin de rendre cette tech­no­lo­gie acces­sible dans la rou­tine cli­nique. Aujourd’hui, inHEART emploie une tren­taine de per­sonnes. Notre tech­no­lo­gie est com­mer­cia­li­sée prin­ci­pa­le­ment en Europe et aux États-Unis, où elle est uti­li­sée par plus de 140 centres. Nous avons le mar­quage CE et FDA. À date, plus de 5 000 per­sonnes ont béné­fi­cié de notre technologie.

Enfin, inHEART est un spin-off de l’IHU Liryc à Pes­sac, l’IHU spé­cia­li­sé dans les aryth­mies car­diaques, et qui est, d’ailleurs, un lea­der sur ce sujet à une échelle internationale. 

Vous vous présentez entre autres comme « le Google Maps des interventions cardiaques ». Qu’est-ce que ce positionnement implique ? 

Concrè­te­ment, nous déve­lop­pons un jumeau numé­rique, c’est-à-dire une car­to­gra­phie en 3D du cœur du patient, qui va four­nir des infor­ma­tions sur l’anatomie et les ano­ma­lies du cœur du patient… Cette copie digi­tale du cœur va ain­si per­mettre de gui­der les ins­tru­ments du car­dio­logue vers les cibles préa­la­ble­ment iden­ti­fiées. C’est, en quelque sorte, le même prin­cipe que « Google Maps », nous aidons le chi­rur­gien à iden­ti­fier les zones d’intérêts et à opti­mi­ser leur accès. 

En paral­lèle, au cours des 20 der­nières années, l’imagerie car­diaque a consi­dé­ra­ble­ment évo­lué et offre une réso­lu­tion d’images qui per­met d’avoir une meilleure pré­ci­sion de la des­crip­tion des ano­ma­lies struc­tu­relles du muscle car­diaque qui sont à l’origine d’anomalies élec­triques. En capi­ta­li­sant sur les tech­no­lo­gies digi­tales et la puis­sance de l’IA, au tra­vers du jumeau numé­rique, nous sommes en mesure d’extraire les infor­ma­tions rela­tives à ces ano­ma­lies struc­tu­relles du muscle car­diaque, de les iden­ti­fier et de les visua­li­ser en 3D de manière simple pour que le car­dio­logue puisse les inter­pré­ter et les uti­li­ser pen­dant l’intervention.

inHEART a véri­ta­ble­ment révo­lu­tion­né le domaine de l’ablation par cathé­ter en déve­lop­pant ces nou­velles tech­niques qui sont depuis uti­li­sées au quo­ti­dien par les car­dio­logues. Aujourd’hui, l’idée est d’aller encore plus loin et d’avoir non plus uni­que­ment un jumeau numé­rique ana­to­mique du patient grâce à l’imagerie, mais un jumeau numé­rique élec­tro-ana­to­mique grâce aux élec­tro­car­dio­grammes et les simu­la­tions élec­tro­phy­sio­lo­giques du cœur. 

Pourquoi votre approche technologique est-elle particulièrement pertinente ?

Les cofon­da­teurs ont réus­si à trans­for­mer un acte de diag­nos­tic réa­li­sé pen­dant une inter­ven­tion en une étape pré­opé­ra­toire qui va s’appuyer sur notre jumeau numé­rique du cœur afin de déter­mi­ner les zones qui doivent être trai­tées. Ain­si des inter­ven­tions qui duraient aupa­ra­vant 5 heures sont aujourd’hui menées en 2 heures, avec un taux de réus­site qui passe de 60 à 75 %. 

Notre tech­no­lo­gie contri­bue véri­ta­ble­ment à sim­pli­fier ces inter­ven­tions et à en démo­cra­ti­ser l’accès au plus grand nombre de patients, alors qu’il n’y a pas suf­fi­sam­ment de méde­cins spé­cia­listes pour les trai­ter en amont avant que leur état de san­té ne se dégrade. Ces inter­ven­tions arrivent donc sou­vent en bout de par­cours de soin après notam­ment l’implantation d’un défi­bril­la­teur. Nous pen­sons que notre tech­no­lo­gie per­met­tra non seule­ment de mieux iden­ti­fier les patients à risque et mais aus­si de démo­cra­ti­ser des inter­ven­tions jusque-là com­plexes. On ima­gine même que ces inter­ven­tions main­te­nant plus effi­caces pour­ront venir plus tôt dans le par­cours de soin du patient et peut être avant même l’implantation de défi­bril­la­teurs qui fina­le­ment ne sont qu’un filet de sécu­ri­té et ne traitent pas la cause du problème.

Alors que votre technologie est déjà commercialisée en Europe et aux États-Unis, comment vous projetez-vous ?

Le pre­mier enjeu est d’accélérer notre déve­lop­pe­ment com­mer­cial. En paral­lèle, nous nous ins­cri­vons aus­si dans une démarche conti­nue d’amélioration et d’innovation pour faire évo­luer notre pro­duit qui se concentre actuel­le­ment sur les inter­ven­tions d’ablation par cathé­ter. Aujourd’hui, nous com­plé­tons d’ores et déjà la dimen­sion ana­to­mique avec le volet élec­trique pour mieux accom­pa­gner le car­dio­logue sur les pro­cé­dures d’ablation par cathéter. 

Demain, notre objec­tif est d’intervenir plus tôt dans le par­cours de soin du patient. L’idée n’est donc plus seule­ment d’identifier les ano­ma­lies à l’origine des aryth­mies pour déter­mi­ner les zones à opé­rer, mais de faire de la pré­ven­tion, pour mieux prendre en charge les patients symp­to­ma­tiques, et du scree­ning pour iden­ti­fier les patients asymp­to­ma­tiques, afin de faire de la détec­tion pré­coce en ana­ly­sant, par exemple, toute l’imagerie d’un éta­blis­se­ment ou d’un hôpi­tal afin d’identifier les patients qui ont une ano­ma­lie struc­tu­relle et pré­voir ain­si des ana­lyses com­plé­men­taires et déter­mi­ner si une prise en charge est nécessaire. 

En outre, nous avons bien évi­dem­ment un enjeu de finan­ce­ment pour accé­lé­rer notre déve­lop­pe­ment com­mer­cial et lan­cer les pro­jets de R&D rela­tifs à ce volet diag­nos­tic et pré­ven­tion au ser­vice d’une meilleure prise en charge du patient. Cette tran­si­tion de la thé­ra­pie vers la pré­ven­tion est en par­faite cohé­rence avec la poli­tique de la France en matière de san­té. Nous avons ain­si deux pro­jets qui sont finan­cés dans le cadre de France 2030 : le pro­jet MEDITWIN en col­la­bo­ra­tion avec Das­sault Sys­tèmes et l’IHU Liryc pour le déve­lop­pe­ment d’un jumeau numé­rique du cœur du patient pour la pré­ven­tion de mort subite et le pro­jet TALENT en col­la­bo­ra­tion avec l’IHU Liryc, l’INRIA, Car­dio­logs et Incep­to pour tra­vailler sur le scree­ning et la pré­ven­tion des AVC car­dio-embo­liques. Ce sont des pro­jets sur 5 ans qui impliquent de la recherche, du déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique et de la vali­da­tion cli­nique de la tech­no­lo­gie en vue d’une mise sur le mar­ché. Enfin, nous avons aus­si inté­gré le pro­gramme accé­lé­ra­teur sur la pré­ven­tion en san­té numé­rique de Bpi­france déve­lop­pé en par­te­na­riat avec Pari­San­té Cam­pus.. 

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