Injection sans aiguille à travers les vêtements

Focus sur le leader de l’injection sans aiguille

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°793 Mars 2024
Par Patrick ALEXANDRE

Avec son dis­po­si­tif inno­vant très simple à uti­li­ser, Cross­ject démo­cra­tise l’in­jec­tion sans aiguille et apporte une nou­velle alter­na­tive et solu­tion sur le mar­ché de l’auto-administration des médi­ca­ments injec­tables. Son CEO, Patrick Alexandre, nous pré­sente ces dis­po­si­tifs inno­vants qui sont le fruit de plus de 20 ans de R&D. Explications.

Votre laboratoire est l’inventeur du dispositif d’injection sans aiguille ZENEO®. Dites-nous en plus. 

Dans le monde de la san­té et des soins, l’injectable est la manière la plus effi­cace pour admi­nis­trer un médi­ca­ment, notam­ment parce qu’elle induit le moins d’effets secon­daires. Tou­te­fois, il n’existe pas de solu­tions qui per­mettent à un patient de s’injecter lui-même son médi­ca­ment. Or, don­ner la pos­si­bi­li­té à un patient d’être auto­nome dans le sui­vi de son trai­te­ment contri­bue à amé­lio­rer l’appropriation de ce traitement. 

J’ai com­men­cé à tra­vailler sur ces sujets au sein des Labo­ra­toires Four­nier. En 1998, j’ai lan­cé le pro­jet qui a don­né nais­sance à la socié­té Cross­ject en 2001. L’idée était alors de déve­lop­per un dis­po­si­tif minia­ture d’injection sans aiguille à usage unique pour évi­ter les risques de contamination. 

Le prin­cipe d’injection sans aiguille n’est pas nou­veau. C’est un concept qui existe depuis le 19e siècle et qui est uti­li­sé dans l’industrie pour la découpe à jet d’eau. En effet, quand un jet d’eau est pro­pul­sé à une très grande puis­sance, il a la capa­ci­té de per­cer les maté­riaux. En trans­po­sant ce prin­cipe à la méde­cine, il s’agit alors de pro­pul­ser le médi­ca­ment, comme ce jet d’eau, afin de réa­li­ser des injec­tions sous-cuta­nées ou intra­mus­cu­laires en adap­tant la pres­sion qui va pous­ser le médicament. 

À par­tir de ces tra­vaux et recherches, nous avons conçu et déve­lop­pé ZENEO®, notre dis­po­si­tif d’injection sans aiguille, qui est pré­rem­pli et à usage unique. Au-delà, ZENEO® a été pen­sé pour être très facile à uti­li­ser pour le patient. À date, nous avons d’ores et déjà réa­li­sé plus d’un mil­lier de mises en situa­tion avec des per­sonnes entraî­nées et non entraî­nées à l’utilisation de ZENEO®, des adultes, des ado­les­cents, des enfants, des pro­fes­sion­nels de san­té. Dans près de 100 % des cas de figure, nous avons été en mesure de démon­trer que ces per­sonnes sont capables de pro­cé­der à une injec­tion effec­tive en moins d’une minute. 

Quel est votre positionnement sur le marché et en quoi votre approche est-elle différenciante ? 

Actuel­le­ment, sur le mar­ché de l’auto-administration de pro­duits injec­tables, le pro­duit le plus avan­cé est le sty­lo qui contient une seringue avec une aiguille. Il est essen­tiel­le­ment uti­li­sé par des per­sonnes souf­frant de dia­bète et qui, à force de l’utiliser plu­sieurs fois par jour, en maî­trise par­fai­te­ment l’utilisation. Avec ZENEO®, nous pro­po­sons une solu­tion pour répondre à un besoin ponc­tuel, une crise ou un trai­te­ment chro­nique, des situa­tions dans les­quelles le taux d’erreur ou de défaut d’utilisation est rela­ti­ve­ment éle­vé. Avec notre injec­teur, l’injection, qui est réa­li­sée sous pres­sion, dure moins d’un dixième de seconde, ce qui réduit dras­ti­que­ment ce risque d’erreur. Dès que le patient entend le clic, l’injection est ter­mi­née. Avec un sty­lo injec­teur, la mani­pu­la­tion est plus com­plexe. Selon le pro­duit, le patient doit soi­gneu­se­ment appuyer sur le site d’injection pen­dant quelques secondes avant d’injecter la dose pres­crite. Si ce der­nier relève le sty­lo trop tôt, la dose ne va pas être injec­tée et sera ain­si perdue. 

D’un point de vue régle­men­taire, nous avons déve­lop­pé un injec­teur, un dis­po­si­tif médi­cal, qui est com­mer­cia­li­sé avec un médi­ca­ment à l’intérieur. En ce sens, nos pro­duits sont consi­dé­rés comme des médi­ca­ments de pres­crip­tion, ce qui implique qu’il nous faut une auto­ri­sa­tion de mise sur le mar­ché dif­fé­rente à chaque fois que nous com­bi­nons notre injec­teur avec une molé­cule ou un médi­ca­ment dif­fé­rent en fonc­tion de l’indication thé­ra­peu­tique que nous visons. 

ZENEO : dispositif pour injection sans aiguille.
ZENEO : auto-injec­teur sans aiguille.

Ce système est le résultat de près de 20 ans de R&D. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre technologie brevetée ? 

Créé il y a un peu plus de 20 ans, Cross­ject est un labo­ra­toire phar­ma­ceu­tique qui tra­vaille donc sur deux aspects : le dis­po­si­tif médi­cal et le médi­ca­ment. Nous sommes ISO 13485. Nous cou­vrons toute la chaîne de valeur autour de nos pro­duits, du déve­lop­pe­ment à la pro­duc­tion. Sur nos 110 col­la­bo­ra­teurs, plus d’un tiers pro­duisent, en effet, nos injecteurs. 

Depuis notre créa­tion, nous avons dépo­sé plus de 40 familles de bre­vets qui ont conduit à plus de 500 bre­vets déli­vrés dans le monde, essen­tiel­le­ment autour de la tech­no­lo­gie de l’injection, mais aus­si pour la for­mu­la­tion de médi­ca­ment. Nous avons, en effet, dépo­sé un bre­vet autour de la for­mu­la­tion des pro­duits que nous met­tons dans les injec­teurs afin de garan­tir leur stabilité. 

Dans le cadre du déve­lop­pe­ment de ZENEO®, nous avons dû rele­ver un cer­tain nombre de défis tech­no­lo­giques. Au niveau des conte­nants, nos ingé­nieurs ont tra­vaillé avec des maté­riaux qui n’ont pas de résis­tance méca­nique natu­relle, le verre et le caou­tchouc, à une pres­sion com­prise entre 300 et 400 bars. Pour rele­ver ce défi, nous avons noué une col­la­bo­ra­tion avec un très grand acteur du verre. Ensemble, nous avons déve­lop­pé une tech­nique pour ren­for­cer la résis­tance des maté­riaux sans alté­rer sa qua­li­té pharmaceutique. 

En paral­lèle, nous avons uti­li­sé la micro­py­ro­tech­nie (moins d’un dixième de gramme) pour assu­rer la pro­pul­sion du médi­ca­ment. Pour ce faire, nous avons réa­li­sé un impor­tant tra­vail de minia­tu­ri­sa­tion et de contrôle pour défi­nir des pro­fils de pres­sion extrê­me­ment pré­cis en fonc­tion du site d’injection, de l’application thé­ra­peu­tique et du médi­ca­ment. Dans cette démarche, nous avons capi­ta­li­sé sur les com­pé­tences et les savoir-faire déve­lop­pés par les Labo­ra­toires Four­nier, où j’ai tra­vaillé, et qui, à l’époque, avaient une divi­sion dédiée aux moyens d’administration. Cela nous a notam­ment per­mis de cumu­ler des mil­liers d’essais avant d’arriver en phase cli­nique, mais aus­si d’adapter très rapi­de­ment notre dis­po­si­tif aux dif­fé­rents sites d’injection et molécules.

Au lan­ce­ment du pro­jet, il s’agissait essen­tiel­le­ment de maî­tri­ser un cer­tain nombre de concepts médi­caux et cli­niques. Puis, la R&D s’est concen­trée sur les enjeux de repro­duc­ti­bi­li­té du fonc­tion­ne­ment du dis­po­si­tif et d’industrialisation. Après le déve­lop­pe­ment et la pro­duc­tion de notre injec­teur, la pro­chaine étape sera la com­mer­cia­li­sa­tion, une fois l’ensemble des auto­ri­sa­tions obte­nues. Nous avons, d’ores et déjà, inves­ti plus de 150 mil­lions d’euros dans notre pla­te­forme tech­no­lo­gique et indus­trielle néces­saire au déve­lop­pe­ment de l’injecteur, à l’intégration du médi­ca­ment et à la production. 

Crossject ambitionne, par ailleurs, de devenir le leader mondial de l’auto-injection en situation d’urgence. Quels sont vos enjeux et ambitions dans ce cadre ?

Depuis déjà quelques années, nous nous inté­res­sons aux situa­tions d’urgence, en amont de l’hôpital, comme les crises d’épilepsie, d’allergie ou d’asthme. Quand ces crises inter­viennent, il faut très sou­vent s’autoadministrer une dose de médi­ca­ment. L’injection peut éga­le­ment être faite par une per­sonne tierce. 

Face à l’absence de moyens d’administration injec­table satis­fai­sants, on a vu appa­raître des solu­tions à base d’inhalateur qui sont plus faciles à fabri­quer et déve­lop­per, mais qui sont sujettes à une grande varia­bi­li­té. En effet, la quan­ti­té de pro­duit qui va dans le sang est beau­coup plus faible, en com­pa­rai­son à une injec­tion. Par rap­port à ces solu­tions, nous appor­tons une plus grande fia­bi­li­té. Plus par­ti­cu­liè­re­ment, lors de situa­tions d’urgence, où les pre­mières minutes sont vitales, l’utilisation de ZENEO® est aus­si beau­coup plus pertinente.

D’ailleurs, en 2022, l’État fédé­ral amé­ri­cain a pas­sé une com­mande de 150 mil­lions de dol­lars, afin de pou­voir dis­po­ser de 800 000 uni­tés de notre injec­teur conte­nant un pro­duit contre les crises d’épilepsie et qui ont voca­tion à être dis­tri­buées sur le ter­ri­toire amé­ri­cain, en cas d’attaque ter­ro­riste ou d’accident indus­triel. Alors que nous n’avons pas encore obte­nu l’autorisation de mise sur le mar­ché, il s’agit là de notre pre­mière com­mande et nous devrions pro­cé­der à la livrai­son cou­rant de cette année. Au-delà de l’épilepsie, nous nous inté­res­sons aus­si à d’autres indi­ca­tions, comme les crises d’allergie, le trai­te­ment des chocs ana­phy­lac­tiques avec de l’adrénaline. Nous tra­vaillons aus­si sur le trai­te­ment de l’insuffisance sur­ré­na­lienne avec de l’hydrocortisone, ain­si que le trai­te­ment des crises d’asthme sévère avec de l’adrénaline… Actuel­le­ment, nous avons 7 pro­duits en déve­lop­pe­ment. Nous avan­çons aus­si sur une injec­tion pour faire face aux over­doses aux opioïdes, une pro­blé­ma­tique de san­té publique majeure aux États-Unis. Grâce à la flexi­bi­li­té de sa tech­no­lo­gie, Cross­ject est un des rares labo­ra­toires à pou­voir tra­vailler simul­ta­né­ment sur autant d’indications différentes. 

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