La citation de Leibniz : "Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles" s'applique très bien à l'assurance

L’assurance et le meilleur des mondes possibles

Dossier : Mot du présidentMagazine N°793 Mars 2024
Par Loïc ROCARD (X91)

Situés à la ren­contre du contin­gent et du néces­saire, de l’esprit de pré­cau­tion et de l’équité sociale, ses prin­cipes fon­da­teurs pros­pèrent avec la confiance dans l’état de droit et dans les méca­nismes éco­no­miques : l’Assurance est une des belles inven­tions de l’époque moderne.

Maza­rin s’était pen­ché sur l’économie des ton­tines et Col­bert avait vu la néces­si­té de cou­vrir le risque des for­tunes de mer pour accom­pa­gner l’essor de la Royale, mais la caisse d’assurance « à terre », comme on l’entend aujourd’hui, n’est pas une inven­tion fran­çaise. Un Bureau des incen­dies, d’initiative reli­gieuse, est certes attes­té au début du XVIIIe siècle à Paris ; cepen­dant il exis­tait déjà plu­sieurs caisses au siècle pré­cé­dent en Europe du Nord, dont la Gene­ral Feuer Casse de la ville de Ham­bourg qui semble avoir inau­gu­ré le genre.

« La logique assurantielle mêle des considérations mathé­matiques, juridiques, philosophiques, on n’est donc pas étonné de savoir que Leibniz, théoricien polymathe du Grand Siècle, s’y était intéressé. »

La logique assu­ran­tielle mêle des consi­dé­ra­tions mathé­matiques (cal­cul actua­riel, démo­gra­phie, espé­rances), juri­diques (contrac­tuelles), phi­lo­so­phiques (éthiques, poli­tiques), on n’est donc pas éton­né de savoir que Leib­niz, théo­ri­cien poly­mathe du Grand Siècle, s’y était intéressé.

Au pays de Vol­taire on a ten­dance à voir Leib­niz, cou­pable de son Essai de Théo­di­cée, comme un pen­seur de seconde zone : abs­cons, mais naïf devant la marche et les mal­heurs du monde. Éru­dit touche-à-tout, phi­lo­sophe et ins­pi­ra­teur des auto­ri­tés poli­tiques, l’inventeur du cal­cul infi­ni­té­si­mal – et de la for­mule de Leib­niz que les tau­pins connaissent bien – avait aus­si dans sa tren­taine noir­ci des feuillets entiers sur les bien­faits de la cou­ver­ture mutuelle. Il y déve­lop­pait, appuyé sur force cal­culs, des consi­dé­ra­tions sur la valeur actua­li­sée des dépenses futures, sur l’espérance de vie d’une popu­la­tion et sur les rentes viagères.

Dans une lettre de 1680 il conseillait à son pro­tec­teur Jean-Fré­dé­ric de Hanovre de consti­tuer une caisse d’assurance « pour l’eau et le feu ». C’était tou­jours d’abord de l’incendie et de l’inondation qu’il fal­lait cou­vrir les dom­mages. Il pos­tu­lait que l’État est comme un navire et qu’à ce titre les sinistres doivent être l’affaire de tout l’équipage. C’est en pré­le­vant une somme modeste sur tous que sera mini­mi­sée la pro­ba­bi­li­té de sérieuses infortunes.

« Leibniz conseillait à son protecteur Jean-Frédéric de Hanovre de constituer une caisse d’assurance « pour l’eau et le feu ». »

Alors que le « Big One » est une grande pré­oc­cu­pa­tion du sys­tème assu­ran­tiel moderne, il est amu­sant de se rap­pe­ler que c’est jus­te­ment du grand trem­ble­ment de terre de l’époque – cf. l’article sti­mu­lant de Syl­vestre Fre­zal (X00) – que l’auteur de Can­dide s’était ser­vi pour moquer Leib­niz-Pan­gloss (« tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pos­sibles »). Les publi­ca­tions des notes de Leib­niz datant d’il y a seule­ment quelques années, on par­don­ne­ra à Vol­taire le contre­sens qu’il com­met­tait vis-à-vis de son hono­rable aîné.

Les com­pa­gnies d’assurances, ins­tru­ments indis­pen­sables de la soli­da­ri­té concrète entre les hommes, sont mal aimées. En 2022 AXA, fleu­ron natio­nal s’il en est, ne se clas­sait, par­mi les entre­prises pré­fé­rées des jeunes diplô­més selon l’enquête annuelle du jour­nal l’Étudiant, qu’au 80e rang d’un pal­ma­rès mêlant tous types d’activité et fai­sant une place enviable aux indus­triels de l’armement. On impu­te­ra ce para­doxe, que les pro­fes­sion­nels du sec­teur doivent res­sen­tir comme une injus­tice, au modèle même de leur acti­vi­té. Parce que l’assureur paye après, il sera tou­jours soup­çon­né d’être plus prompt à tou­cher les primes qu’à bourse délier au béné­fice des assu­rés face à l’adversité ultérieure.

À l’époque où nous abor­dons de front les récifs des tran­si­tions cli­ma­tique et démo­gra­phique, où les catas­trophes se feront plus sys­té­miques et où les ayants droit de la soli­da­ri­té seront de plus en plus nom­breux en regard des contri­bu­teurs, il est de bon augure pour l’avenir de nos démo­cra­ties que le sys­tème des assu­rances se porte bien, et pro­fite mal­gré tout de la confiance géné­rale. Même si l’image de marque de ses opé­ra­teurs res­te­ra à améliorer. 

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