Intégrale de Rachmaninov

Tout Rachmaninov

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°791 Janvier 2024
Par Jean SALMONA (56)

« Pour appré­cier la bonne musique, l’esprit doit être en alerte et récep­tif sur le plan émo­tion­nel. Et cela, votre esprit ne peut l’être si vous êtes assis chez vous, les pieds posés sur une chaise. Non, écou­ter de la musique est plus fati­gant que cela. La musique est comme la poé­sie. Elle est une pas­sion et elle est un pro­blème. Vous ne pou­vez l’apprécier et la com­prendre en étant sim­ple­ment assis et en la lais­sant s’infiltrer dans vos oreilles. » 
Ser­gueï Rachmaninov

Vous connais­sez de Rach­ma­ni­nov les Concer­tos 2 et 3 pour pia­no et orchestre, sans doute les Concer­tos 1 et 4 et aus­si la Rhap­so­die sur un thème de Paga­ni­ni et, bien enten­du, le Pré­lude en ut dièse mineur et la Voca­lise, arran­gée à toutes les sauces. Si vous êtes un ama­teur éclec­tique et avi­sé, votre dis­co­gra­phie de Rach­ma­ni­nov s’étend peut-être à la Sonate n° 2 pour pia­no et la Sonate pour pia­no et vio­lon­celle. Et c’est tout.

En réa­li­té, en vous limi­tant à ces pièces, vous igno­rez la plus grande par­tie de l’œuvre de Rach­ma­ni­nov. Dec­ca a eu l’excellente idée de ras­sem­bler les enre­gis­tre­ments réa­li­sés au fil des ans par de grands inter­prètes, par­mi les­quels : Mar­tha Arge­rich, Vla­di­mir Ash­ke­na­zy, Beaux Arts Trio, Jorge Bolet, Ric­car­do Chailly, Charles Dutoit, Nel­son Freire, Byron Janis, Neeme Jär­vi, Zoltán Koc­sis, Kirill Kon­dra­chine, Mikhaïl Plet­nev, André Pre­vin, Svia­to­slav Rich­ter, Eli­sa­beth Söders­tröm, qui consti­tuent l’intégrale de l’œuvre de Rachmaninov.

Rach­ma­ni­nov (1873−1943) aura été le contem­po­rain de Debus­sy (1862−1918), de Ravel (1875−1937), de Schön­berg (1874−1951), de Stra­vins­ky (1882−1971). Mais il a choi­si de s’en tenir au lan­gage musi­cal de la fin du xixe siècle, celui de Tchaï­kovs­ki dont il aura été, en quelque sorte, le sui­veur, et d’ignorer les inno­va­tions de ses contem­po­rains. D’où la popu­la­ri­té de sa musique, faci­le­ment acces­sible, sédui­sante, dont on ne se doute pas, à la pre­mière écoute, ­com­bien elle est exi­geante. En réa­li­té, il aura por­té à un niveau suprême de raf­fi­ne­ment la musique romantique.

Rach­ma­ni­nov était d’abord un pia­niste et le par­cours autour de son œuvre ­com­mence par sa musique pour pia­no. Les 24 Pré­ludes, les Études-Tableaux, les Varia­tions sur un thème de Cho­pin, les deux Sonates pour pia­no et l’un de ses chefs‑d’œuvre, les Varia­tions sur un thème de Corel­li. Suivent les trans­crip­tions (de Bach, Schu­bert, Men­dels­sohn…) toutes sub­tiles et d’une grande com­plexi­té (ah, cette trans­crip­tion déli­cieuse de Lie­bes­leid de Kreis­ler…) et une foul­ti­tude de pièces, par­mi les­quelles une Fugue, trois Nocturnes…

Rach­ma­ni­nov a écrit nombre de pièces de musique de chambre, dont deux Trios ­élé­giaques, deux Suites pour deux pia­nos, deux Qua­tuors à cordes (bizar­re­ment jamais joués), des pièces pour pia­no à 4 et 6 mains, et aus­si de pro­li­fiques ­chan­sons, des chœurs a capella…

On en vient ensuite aux œuvres orches­trales : trois Sym­pho­nies, des poèmes sym­pho­niques dont l’Île des Morts (d’après le tableau de Böck­lin), une gran­diose sym­pho­nie cho­rale Les Cloches, des can­tates, des Chan­sons Russes pour chœur et orchestre, et son ultime chef‑d’œuvre les Danses Symphoniques.

Le cof­fret com­prend éga­le­ment des ­com­po­si­tions reli­gieuses, dont la Litur­gie de saint Jean Chry­so­stome, et trois opé­ras sur des textes de Pou­ch­kine, Dante, Maeterlinck.

Vous trou­ve­rez aus­si des inter­pré­ta­tions mémo­rables des Concer­tos, dont un ébou­rif­fant Concer­to n° 3 par Mar­tha Arge­rich et un extra­or­di­naire n° 2 par Svia­to­slav Richter.

Enfin, à l’intégrale s’ajoutent des rou­leaux gra­vés par Rach­ma­ni­nov lui-même, témoi­gnage émou­vant de son style pia­nis­tique riche en ruba­tos et bien dépas­sé aujourd’hui.

Au total, avec cette inté­grale d’une extra­or­di­naire richesse, vous allez décou­vrir une musique com­plexe et très éla­bo­rée et l’un des très grands com­po­si­teurs russes des XIXe-XXe siècles, le dis­ciple de Tchaï­kovs­ki et, pour nous, l’égal de Prokofiev.


32 CD DECCA

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