Solene Laurent

Solène Laurent (X15) Du platâl au plateau des théâtres

Dossier : TrajectoiresMagazine N°791 Janvier 2024
Par Jérôme BASTIANELLI (X90)

C’est par un curieux mélange d’hésitations et de déter­mi­na­tion qu’une jeune poly­tech­ni­cienne s’est retrou­vée à assu­rer une mis­sion ori­gi­nale : conce­voir des décors de théâtre. Comme quoi l’X mène à tout, quand on a la pas­sion de ce que l’on fait…

Dans la mise en scène futu­riste du Tannhäu­ser de Richard Wag­ner que David Her­mann ima­gi­na en 2022 pour l’opéra de Lyon, le retour du héros dans la Wart­burg, à la fin du pre­mier acte, lais­sait appa­raître en fond de scène « un gigan­tesque revê­te­ment de miroirs dont la sur­face n’était pas lisse, ce qui géné­rait des reflets torves très intri­gants, esthé­tiques et mys­té­rieux », selon les termes du cri­tique Ber­trand Bolo­gne­si pour le site Ana­clase. Eh bien, der­rière ce miroir, il y avait, si l’on peut dire, Solène Laurent, qui avait été char­gée de conce­voir ce phé­no­mé­nal décor.

Un rêve paternel devenu réalité

Tout com­mence à Magny-les-Hameaux, dans les Yve­lines, où Solène passe son enfance. La mai­son n’est pas très éloi­gnée de l’X et, lorsqu’il cir­cule en voi­ture sur les voies d’autoroute qui longent le pla­teau, le père de notre cama­rade, ingé­nieur dans les télé­coms, se prête à rêver à voix haute que sa fille, un jour, pour­ra peut-être y étu­dier. Mais la jeune fille, fas­ci­née par les langues étran­gères, se voit plu­tôt tra­duc­trice. Pour autant, après une visite au musée du Conser­va­toire des Arts et Métiers naît chez elle une curio­si­té pour le monde de l’industrie et des trans­ports. Cela la conduit natu­rel­le­ment en classes pré­pa­ra­toires, plus pré­ci­sé­ment au lycée Jean-Bap­tiste-Say, en filière phy­sique et tech­no­lo­gie. Puis, comme l’imaginait son père en condui­sant, elle intègre l’X en 2015 et com­mence sa sco­la­ri­té par un ser­vice civique dans une asso­cia­tion qui accom­pagne les per­sonnes tétra­plé­giques souf­frant du ter­rible locked-in syndrome.

Par goût pour l’étranger, elle effec­tue un pre­mier stage en Ita­lie, pour le compte de Total qui envi­sage d’exploiter de nou­veaux gise­ments au sud de Naples, mais elle en revient sans pas­sion pour l’énergie ; puis un second, en Suède, pour étu­dier, sans enthou­siasme exces­sif non plus, dif­fé­rentes ques­tions liées aux véhi­cules terrestres.

Le sport d’abord

À l’École, elle trouve les cours un peu trop théo­riques, mais Poly­tech­nique sera mal­gré tout le lieu de nais­sance inat­ten­du d’une double pas­sion : pour le sport, tout d’abord, et pour la scène, ensuite. La pre­mière la conduit, à Palai­seau, à expé­ri­men­ter de nou­veaux types de far­tage qui per­met­traient aux biath­lètes d’utiliser des skis plus per­for­mants, puis, au MIT, à s’intéresser à la phy­sique du ska­te­board – nou­velle dis­ci­pline spor­tive qui allait être ins­crite aux JO de Tokyo, et qui pour­tant res­tait peu étu­diée. Son sujet de recherche est aus­si simple à énon­cer que dif­fi­cile à résoudre : com­ment et à quel moment un ska­teur, sur une pente don­née, devra-t-il manœu­vrer sa planche pour res­ter ensuite le plus long­temps en l’air ?

“Un domaine qui permet de faire rêver les gens.”

Puis surtout le théâtre

Mais il n’y a pas que la phy­sique du sport dans la vie de Solène, il y a aus­si la pro­duc­tion théâ­trale. Elle découvre cette acti­vi­té grâce au binet comé­die musi­cale (aujourd’hui binet Broad­way), qui s’est don­né pour mis­sion de mon­ter dans l’amphi Poin­ca­ré le spec­tacle Alad­din, lequel fai­sait alors fureur à Broad­way. Tout juste diplô­mée, elle pour­suit dans cette voie, au sein de l’association Rise Up qui, en dépit des dif­fi­cul­tés cau­sées par les confi­ne­ments, par­vient à pro­duire au théâtre de Rueil-Mal­mai­son une comé­die musi­cale inti­tu­lée Nas­sau. Elle en crayonne les décors, puis les conçoit en maquette, avant de les réa­li­ser gran­deur nature : l’expérience la passionne.

Pour creu­ser son sillon dans un sec­teur où les poly­tech­ni­ciens ne sont pas les plus atten­dus, elle accepte ensuite une mis­sion plus tech­nique à l’Opéra natio­nal de Bor­deaux, où elle s’occupe de la main­te­nance du bâti­ment, chef‑d’œuvre de l’art archi­tec­tu­ral du XVIIIe siècle. Puis elle apprend qu’un poste en bureau d’études « décors » s’ouvre à Lyon ; elle pos­tule et l’obtient, et c’est ain­si qu’elle est ame­née à tra­vailler sur le gigan­tesque miroir d’un Tannhäu­ser de science-fic­tion. Même s’il ne s’agit pas d’un équi­pe­ment des­ti­né à un quel­conque usage tech­nique, il faut dans ce domaine aus­si tra­vailler avec une grande pré­ci­sion, « non pour les spec­ta­teurs qui, pla­cés à plus de vingt mètres d’un décor, n’en voient pas vrai­ment les détails, mais pour évi­ter les fuites de lumière entre dif­fé­rentes par­ties d’un même élé­ment », explique-t-elle.

La consécration à Genève

Une fois ache­vée l’expérience lyon­naise, Solène est presque natu­rel­le­ment recru­tée au Grand Théâtre de Genève, et là ce n’est plus un miroir, mais car­ré­ment un aéro­port ou une pis­cine que la fan­tai­sie des met­teurs en scène l’amène à conce­voir (res­pec­ti­ve­ment pour Le retour d’Ulysse, de Mon­te­ver­di, et Nabuc­co, de Ver­di). « J’aime exer­cer un métier dans un domaine qui per­met de faire rêver les gens », avoue la jeune femme avec enthou­siasme. Ain­si, à défaut de tra­duire des textes en langue étran­gère comme elle en avait l’intention durant son ado­les­cence, elle inter­prète les inten­tions des scé­no­graphes, ce qui n’est pas plus simple. Et, lorsqu’elle ne tra­vaille pas, elle s’adonne à sa pas­sion pour la mon­tagne, qu’elle par­court à pied ou dévale à skis. « C’est aus­si par pas­sion des décors, ceux, gran­dioses, qu’offre la nature », conclut-elle en souriant.

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