Louis Le Pivain (72), tenir le cap

Dossier : TrajectoiresMagazine N°723 Mars 2017
Par Pierre LASZLO

La mer fut sa voca­tion, pré­des­ti­née : « Mes deux grands-pères étaient offi­ciers de marine, dont mon grand-père pater­nel, l’amiral Louis Le Pivain, qui com­man­dait le cui­ras­sé Bre­tagne à Mers el-Kébir lors de l’attaque de la flotte fran­çaise par les Anglais le 3 juillet 1940.

Je suis fils d’officier de marine. J’avais deux oncles offi­ciers de marine, un frère offi­cier de marine, deux cou­sins et un neveu offi­cier de marine. »

« Saisir un petit nombre d’orientations, mais à fond…»

Il en héri­ta aus­si le sens aigu de l’honneur, dans le devoir. L’avion de sa mère fut mitraillé au décol­lage à Tunis en mai 1943.

Elle-même bles­sée, elle per­dit dans cette attaque sa mère, son père, une sœur et un frère. En dépit de ces pertes cruelles, elle ne s’est jamais plainte.

DE BREST À L’X PAR LA FLÈCHE

L’enfance de LLP se dérou­la en par­tie au Magh­reb, au Maroc, puis en Tuni­sie. Sa sco­la­ri­té, après leur retour à Brest après le décès de son père, se fit au Col­lège naval dans cette ville où il avait vu le jour, puis au Pry­ta­née mili­taire de La Flèche, où il eut un prof de maths excep­tion­nel, M. Aubert.

DESSIN : LAURENT SIMON

À l’époque, 50 % des can­di­dats du Pry­ta­née inté­graient l’X. Major en même temps à l’École navale, il entra 71e à l’X, dans la pro­mo­tion majo­rée par Anne Chopinet.

À l’École, il adop­ta le conseil lui venant d’un com­man­dant de com­pa­gnie (lt-col. Cal­vez) : sai­sir un petit nombre d’orientations, mais à fond. LLP choi­sit le sport (cross et alpi­nisme) et les voyages, à com­men­cer par le Came­roun – dans le cadre de son tra­vail de fin d’études à l’X – et la Chine, vingt X 72 en étaient – celle encore de Mao.

Jules Verne, avec ses Voyages extra­or­di­naires (La Jan­ga­da), en était l’inspirateur.

PREMIÈRES ARMES AUX SOUS-MARINS CLASSIQUES À LORIENT

« J’ai choi­si le corps de l’armement à la sor­tie de l’X pour deve­nir archi­tecte naval et construire des bateaux, ce que j’ai fait avec beau­coup de plai­sir dans mes huit pre­mières années de car­rière, en poste à DCN Lorient.

J’ai d’abord été char­gé de l’entretien des sys­tèmes d’armes des sous-marins die­sels élec­triques de la flot­tille des sous-marins de l’Atlantique basés à Lorient. Il est très for­ma­teur pour un jeune ingé­nieur de com­men­cer par de la répa­ra­tion navale : on voit les erreurs de concep­tion de nos prédécesseurs.

De plus, cela per­met des liens étroits avec les uti­li­sa­teurs et donne de nom­breuses occa­sions de navi­guer : j’ai près d’un mil­lier d’heures de plon­gée à bord de sous-marins, de toutes les classes depuis ceux de 400 t jusqu’aux sous-marins nucléaires lan­ceurs d’engins.

Un de mes meilleurs sou­ve­nirs d’ingénieur est d’avoir ram­pé au fond d’un bal­last de sous-marin pour que l’officier ASM du bord me montre un trans­duc­teur qui avait pris l’eau et qu’il vou­lait abso­lu­ment que je rem­place : ça crée des liens indé­fec­tibles entre les opé­ra­tion­nels et les ingénieurs ! »

VERS LES HORIZONS LOINTAINS

Impres­sionne son apti­tude à se concen­trer, à com­par­ti­men­ter aus­si ses acti­vi­tés, à ne pas lais­ser sa pas­sion des grands voyages empié­ter sur ses acti­vi­tés pro­fes­sion­nelles. Domine dans son visage son regard clair : il eut très tôt la pas­sion de la pho­to­gra­phie, docu­men­tant les expé­di­tions loin­taines qu’il orga­nise ; dont la conquête de hauts sommets.

« Se focaliser sur le seul objectif à vaincre »

LLP est du nombre des 65 pre­miers Fran­çais à avoir grim­pé un plus de 8 000. Il en rap­por­ta cinq magni­fiques albums, publiés à compte d’auteur. Lors d’une expé­di­tion, il coupe tout contact fami­lial, pour se foca­li­ser sur le seul objec­tif à vaincre.

Ou encore, lors d’un tra­vail, comme lorsqu’il eut la res­pon­sa­bi­li­té de construire quatre fré­gates pour l’Arabie saou­dite, avec un échéan­cier ser­ré. Il affec­tionne les vues plon­geantes : depuis un som­met auquel il vient enfin d’accéder. Ou encore, lorsqu’il était à Brest, au Col­lège naval, assis sur le rebord de fenêtre domi­nant la rade.

Vue plon­geante, encore, du haut du mât d’une fré­gate en construc­tion, sur lequel il grim­pait, les ouvriers de dif­fé­rents corps de métiers s’affairant à leurs tâches – une infu­sion de fra­ter­ni­té évo­quant Saint-Exu­pé­ry de Terre des hommes.

Ou, méta­pho­ri­que­ment, son regard sur la carte du port de Lorient, lorsqu’une fré­gate – à l’instar de l’accouchement d’un nou­veau-né – fran­chit pour la pre­mière fois les passes au pied de la cita­delle de Port-Louis.

HONNEUR ET DEVOIR

En 1976, pre­mier de cor­dée dans l’aiguille de Bion­nas­say, son com­pa­gnon et lui prirent en charge deux hommes, qui pour­tant para­si­taient leur trace, et qui avaient chu­té en un point inac­ces­sible, sauf par hélicoptère.

Pour aler­ter le Secours en mon­tagne, ils firent tout un détour, contraints de mar­cher 40 heures dans la neige. L’un et l’autre eurent les pieds gelés. D’où, pour LLP, l’amputation des orteils d’un pied : cela lui com­pli­qua, un peu, la négo­cia­tion des échelles ver­ti­cales ados­sées à une paroi dans les sous-marins – l’obligeant à mettre ce pied-là de côté.

En 2007, retrai­té de l’Administration, il rachète la PME Raid­co Marine, qui pro­duit et vend des vedettes et des patrouilleurs de 9 à 70 m. Il est aus­si adjoint au maire de Viroflay.

Il s’est conquis une vie de plé­ni­tude. Cet homme atta­chant, droit, s’exprime avec flui­di­té et pré­ci­sion, vous gra­ti­fie taci­te­ment de son entière confiance.

POUR EN SAVOIR PLUS

  • De l’alpinisme à Raid­co Marine, CAIA, no 101, p. 12–13, octobre 2013.
  • Expé­di­tions, résu­mé pho­to­gra­phique de neuf expé­di­tions d’alpinisme (3 en Afrique, 3 en Amé­rique du Sud, 3 en Himalaya).
  • Nomades et Pas­teurs sur les déserts d’Arabie et d’Afrique.
  • Pakis­tan, Ombres et Lumières (ascen­sion du Gasher­brum II, un sou­ve­nir d’équipe très fort).
  • Aux Portes de l’Everest (ascen­sion à la face nord de l’Everest, le charme envoû­tant des hauts pla­teaux du Tibet).
  • Cana­da, Mer et Glace (pho­tos depuis un brise-glace, jusqu’à 1 000 kilo­mètres du pôle Nord).


RETOUCHE

article mis à jour le 3 février 2020

Le 25 décembre 2018, accom­pa­gné de l’un de ses fils, Louis Le Pivain réus­sit à atteindre le som­met de l’Aconcagua (6960 m), en Argen­tine : « Une aven­ture superbe et… rude ! vents vio­lents, tem­pé­ra­tures polaires… Le risque était les gelures sui­vies d’amputations (j’ai déjà don­né !). Mon équi­pe­ment de lutte contre le froid de mon expé­di­tion d’il y a 25 ans à la face nord de l’Everest n’était pas de trop ! ».

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