Portrait de Denis Oulès par Laurent Simon

Denis Oulès (64), grâce à l’école de la République

Dossier : TrajectoiresMagazine N°767 Septembre 2021
Par Pierre LASZLO

La Mon­tagne Noire, muraille impres­sion­nante dans le paysage du Tarn mérid­ion­al, attend encore son André Cham­son, pour décrire l’existence quo­ti­di­enne, toute tra­di­tion­nelle, dans l’immédiat après-guerre. 

De la ferme occitane…

Denis Oulès y est né et vécut sa petite enfance dans une ferme du Teil Haut, proche de Bras­sac. L’occitan est sa langue mater­nelle. Sa famille y est instal­lée depuis le XVIIe siè­cle au moins et survit dans la pau­vreté. Troisième d’une famille de cinq, il n’a d’avenir con­cev­able qu’à la ferme et avec son érein­tant labeur, à force de bras. La ferme compte dix hectares, dix vach­es et dix bouch­es à nour­rir ; « pas d’eau dans la ferme avant mes 14 ans, une seule ampoule élec­trique dans la pièce de vie, et par­fois absence d’électricité pen­dant plusieurs semaines lors des chutes de neige, pas de tracteur ou engin à moteur… Je sais tou­jours fauch­er à la faux, et même l’aiguiser avec un marteau et enclume ad hoc. »

… à Fermat

Mais un insti­tu­teur, M. Douga­dos, for­mé aux méth­odes du génial Célestin Freinet (1896–1966) qui prône l’expression libre des élèves, le remar­que. Denis Oulès apprend le français, réus­sit l’examen d’entrée au col­lège de la sous-pré­fec­ture, le lycée Jean-Jau­rès à Cas­tres (1955–1962) ; « en me désha­bil­lant le dimanche soir de la pre­mière nuit, j’ai décou­vert que tous les autres jeunes internes por­taient des slips, alors qu’au Teil per­son­ne n’en portait ».

Il entre en classe pré­para­toire à Pierre-de-Fer­mat, à Toulouse (1962–1964) : « C’est mon prof de maths de ter­mi­nale qui a insisté pour que j’y demande bourse et inscrip­tion. » Il intè­gre l’X en 3/2, « mal­gré 1/20 seule­ment à l’épreuve de nata­tion : je n’avais jamais été dans une piscine et je me suis quand même jeté à l’eau, sec­ou­ru par une perche bienveillante… » 

Son par­cours mil­i­taire inclut l’artillerie à Châlons-en-Cham­pagne (1966), puis le 93e rég­i­ment d’artillerie de mon­tagne à Greno­ble (1967), où il apprend à ski­er à L’Alpe d’Huez.

Une vie d’électricien

Après l’X, pour servir EDF, il choisit Supélec comme école d’application (1967–1969) : il s’initie avec M. Duper­du aux débuts de la numéri­sa­tion et apprend à pro­gram­mer en For­tran. Il se donne une for­ma­tion com­plé­men­taire de l’Insead à Fontainebleau (1988), Advanced Man­age­ment Pro­gram.

Denis Oulès se marie en 1968, sa femme et lui auront six enfants et 12 petits-enfants. Elle a sa recon­nais­sance et sa grat­i­tude, elle lui a tout ren­du pos­si­ble. Il passera trente-deux ans chez EDF-GDF, à par­tir de l’été 1969. Suiv­ant son expres­sion, pour dis­tribuer des élec­trons dans de grandes aggloméra­tions, Lille-Roubaix-Tour­co­ing, Auril­lac, Château­roux de 1973 à 1976, où il noue ami­tié avec Alphonse Blaive (42) et son épouse Hélène, les par­ents de Bruno Blaive (70). Pas moins de huit démé­nage­ments géo­graphiques jalon­nèrent sa vie pro­fes­sion­nelle en France.

“Distribuer des électrons
aux grandes agglomérations.”

Fin 1992, il fonde en France Citelum, société organ­isatrice et pro­duc­trice d’éclairage pub­lic, de sig­nal­i­sa­tion lumineuse routière, etc. Puis, à la fin du siè­cle, il part pour le Brésil, pour une mis­sion sim­i­laire à Rio de Janeiro et São Paulo. Il s’y plaît, apprend le por­tu­gais. Il est admin­is­tra­teur de Light et Elec­tropaulo, et y tra­vaille à la pri­vati­sa­tion de Light, devenant fil­iale par­tielle d’EDF.

Sep­tem­bre 2004 : le qua­trième des six enfants de Denis est admis à l’X, Guil­laume, après l’aîné Lau­rent (88) et le deux­ième Alexan­dre (92), alors que le troisième a inté­gré l’Ensta et la cinquième l’Essec. En 2009, la six­ième intè­gre AgroParis­Tech. 

Depuis le début 2005, il œuvre à la revi­tal­i­sa­tion indus­trielle du Grand Gâti­nais, ter­ri­toire inter­mé­di­aire de la Bour­gogne et de l’Île-de-France.

En 2014, il fête son 70e anniver­saire, réu­nis­sant en Mon­tagne Noire la famille Oulès au grand com­plet : 44 des 48 mem­bres vivants. Ils lui offrent un drone, qui sur­v­ole et pho­togra­phie la ferme familiale.

Pour moi, son tra­jet con­va­inc de la péren­nité d’un cor­don ombil­i­cal rat­tachant notre pays à sa source de vital­ité, la France profonde.


Pour en savoir plus :

Denis Oulès, « Osons l’essaimage ! », La Jaune et la Rouge, n° 584, avril 2003, p. 36–37. « Hand­i­caps soci­aux et avan­tages cul­turels : témoignage et réflex­ions sur leur régu­la­tion sociale », La Jaune et la Rouge, n° 607, août-sep­tem­bre 2005, p. 62–63.

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