Mélancolies

Mélancolie

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°788 Octobre 2023
Par Jean SALMONA (56)

« En dépit de sa verve et de sa bonne humeur, la gaî­té de Molière laisse aux âmes pen­sives et pro­fondes un arrière-goût de mélancolie… »
Anto­nin Ron­de­let, Réflexions de lit­té­ra­ture, de phi­lo­so­phie, de morale et de religion.

« Mélan­co­lie un jour s’achève, Mélan­co­lie on n’y peut rien.
Chaque jour dans la fumée et dans l’alcool, on noie ses rêves,
Seul, jusqu’au matin… »
Pierre Dudan, Mélan­co­lie (chan­son).

Janáček, Bartók, Barrios

Qu’y a‑t-il de plus mélan­co­lique que la musique pour gui­tare d’Amérique latine ? Sous le titre El Bohe­mio, Thi­baut Gar­cia res­sus­cite pour nous un des maîtres de cette musique-là, le Para­guayen Agustín Bar­rios. À mi-che­min entre musique popu­laire et roman­tisme, Bar­rios séduit dès l’abord par ses mélo­dies exquises et ses har­mo­nies sans fard. L’enregistrement com­porte une ving­taine de pièces, par­mi les­quelles se sont glis­sées trois trans­crip­tions de Cho­pin, Schu­mann, Bee­tho­ven, clin d’œil à une Europe loin­taine et admirée.

1 CD ERATO

Fazil Say et Patri­cia Kopat­chins­ka­ja sont des musi­ciens hors du com­mun, pas­sion­nés, pas­sion­nants. Il fal­lait de tels inter­prètes pour enre­gis­trer deux œuvres qui ont mar­qué la pre­mière moi­tié du XXe siècle : la Sonate de Janáček et la Sonate n° 1 de Bartók, toutes deux com­po­sées en 1921. La Sonate de Bartók est pro­pre­ment révo­lu­tion­naire par ses har­mo­nies, ses rythmes, ses mélo­dies qui puisent dans le folk­lore hon­grois : un chef‑d’œuvre, au som­met de l’œuvre de Bartók. La Sonate de Janáček, elle aus­si ins­pi­rée par le folk­lore – tchèque –, est typique de la musique de la Mit­te­leu­ro­pa, tour­men­tée, déchi­rante. La Sonate n° 3 de Brahms com­plète ce disque, jouée comme du Debus­sy, impres­sion­niste, avec des recherches de couleurs.

1 CD ALPHA-CLASSICS

Berg, Schoenberg, Hindemith, Chausson

Tan­dis que Brahms était res­té, à la fin du XIXe siècle, fidèle au sys­tème tonal vieux de trois siècles, les débuts du XXe siècle sont témoins de véri­tables bou­le­ver­se­ments de la com­po­si­tion musi­cale, avec la nais­sance de l’École de Vienne. Mais, en même temps que la forme explo­sait, ces œuvres nou­velles étaient toutes impré­gnées d’un pro­fond sen­ti­ment d’inquiétude, comme si elles anti­ci­paient les grandes catas­trophes à venir. En témoignent trois œuvres majeures que viennent d’enregistrer le Qua­tuor Emer­son, la sopra­no Bar­ba­ra Han­ni­gan et le pia­niste Ber­trand Cha­mayou : le Qua­tuor op. 3 d’Alban Berg, le Qua­tuor n° 2 de Schoen­berg – œuvre phare qui déclen­cha un scan­dale lors de sa créa­tion – et le cycle de lie­der Melan­cho­lie de Paul Hin­de­mith. La Chan­son per­pé­tuelle de Chaus­son, tri­but d’un roman­tisme poi­gnant au XIXe siècle finis­sant, com­plète le disque. Il sera le der­nier des Emer­son, qui se séparent fin octobre 2023 après plus de 40 ans de musique.

1 CD ALPHA-CLASSICS

Nicholas Angelich – Prokofiev

Dès les pre­mières mesures de la Sonate n° 8 de Pro­ko­fiev, on recon­naît le tou­cher d’une extrême finesse de Nicho­las Ange­lich. ‑Pro­ko­fiev était, on le sait, un pia­niste vir­tuose à la tech­nique d’acier, et ses inter­prètes pri­vi­lé­gient en géné­ral cet aspect de sa musique, en jouant dure­ment sans trop se sou­cier de la cou­leur. Ce n’est pas le cas d’Angelich qui a ras­sem­blé, dans ce qui devait être un de ses der­niers enre­gis­tre­ments, outre la Sonate n° 8, les Visions fugi­tives et dix pièces de la suite Roméo et Juliette. Les pas­sages les plus vir­tuoses sont trai­tés avec dis­tance, on pour­rait dire avec ten­dresse, et l’on voit là, rare­té extrême, com­ment une tech­nique trans­cen­dante peut savoir se faire oublier. Ce pia­niste d’exception aura lais­sé une marque indé­lé­bile dans son époque, tout par­ti­cu­liè­re­ment par ses inter­pré­ta­tions de Brahms et de Pro­ko­fiev. Nicho­las Ange­lich nous a quit­tés en 2022, nous lais­sant le sen­ti­ment d’une indi­cible mélancolie.

1 CD ERATO

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