Les nouveaux fronts de la défense

Cyber, spatial, fake news, les nouveaux fronts de la défense

Dossier : Défense & souverainetéMagazine N°769 Novembre 2021
Par Hervé GRANDJEAN (X02)

Quels sont les enjeux actuels de la poli­tique natio­nale de défense ? Les armées sont dotées, de manière exem­plaire, à la fois d’une loi de pro­gram­ma­tion mili­taire qui éclaire le court-moyen terme et d’un livre blanc de défense qui éclaire le moyen-long terme. En voi­ci les orien­ta­tions principales.

La défense natio­nale béné­fi­cie, depuis quelques années, d’une très nette remon­tée en puis­sance de ses moyens, au tra­vers d’une loi de pro­gram­ma­tion mili­taire (LPM) ambi­tieuse. Ces moyens pour la défense natio­nale sont sans doute le meilleur indi­ca­teur de l’attention très vive qui est por­tée aux ques­tions mili­taires par les auto­ri­tés fran­çaises. Il importe de bien com­prendre les rai­sons d’un tel effort et d’en expli­ci­ter les consé­quences extrê­me­ment posi­tives, en matière sécu­ri­taire bien sûr pour nos conci­toyens, mais aus­si en matière d’emplois indus­triels et d’innovation, qui concernent au pre­mier chef le public polytechnicien.


REPÈRES

Sur la période 2019–2025, ce sont 295 mil­liards d’euros qui sont consa­crés à la poli­tique de défense, dont près de 200 mil­liards d’euros pour des inves­tis­se­ments, qu’il s’agisse d’armements, d’infrastructures ou de main­tien en condi­tion opé­ra­tion­nelle. Le bud­get du minis­tère des Armées est de l’ordre de 40 mil­liards d’euros en 2021 et aug­mente de près de 2 mil­liards d’euros chaque année depuis 2017 – et la tra­jec­toire de la LPM pré­voit un effort sou­te­nu jusqu’en 2025.
Les effec­tifs du minis­tère des Armées aug­men­te­ront sur cette même période de 6 000 personnes. 


Des opérations extérieures majeures

Cette remon­tée en puis­sance est d’abord en cohé­rence avec l’engagement que connaissent nos armées. Il y a bien sûr les théâtres d’opérations exté­rieures sur les­quels nous sommes déployés et aux­quels on songe en pre­mier lieu : notre pré­sence au Sahel, qui évo­lue­ra pro­chai­ne­ment, ver­ra 2 500 à 3 000 sol­dats fran­çais res­ter sur le théâtre sahé­lien, avec une impli­ca­tion impor­tante des forces spé­ciales fran­çaises au sein de la force Taku­ba, qui fédère dix pays euro­péens pour accom­pa­gner au com­bat les forces armées maliennes. 

Au Levant, ce sont 600 mili­taires fran­çais qui par­ti­cipent aux opé­ra­tions sur le théâtre ira­ko-syrien. Une fré­gate est à cet effet en per­ma­nence déployée en Médi­ter­ra­née orien­tale et 4 avions Rafale décollent en moyenne chaque jour, depuis les Émi­rats arabes unis ou la Jor­da­nie, pour déli­vrer des frappes ou mener des mis­sions de ren­sei­gne­ments. Si ces théâtres peuvent paraître loin­tains pour nos com­pa­triotes, il faut nom­mer les enne­mis contre les­quels nous lut­tons là-bas : Daech, res­pon­sable des attaques de Paris en novembre 2015, et Al-Qae­da, à l’origine de l’attentat de Char­lie Heb­do.

Par les opé­ra­tions que nous menons, nous contri­buons à empê­cher la consti­tu­tion de sanc­tuaires de groupes ter­ro­ristes, poten­tielles bases arrière pour fomen­ter des atten­tats sur notre sol, de la part d’organisations dont nous savons qu’elles ont un agen­da poli­tique et inter­na­tio­nal. La sécu­ri­té en Europe, sin­gu­liè­re­ment en France, dépend donc de notre action mili­taire sur ces théâtres. 

Un élargissement des domaines d’intervention

Plus proche de nous, l’opération Sen­ti­nelle, qui voit en per­ma­nence 3 000 mili­taires patrouiller contre la menace ter­ro­riste sur le ter­ri­toire natio­nal, ou bien les efforts excep­tion­nels déployés pen­dant la crise Covid montrent le niveau de sol­li­ci­ta­tion de nos forces armées, qui répondent à chaque fois pré­sentes. Lors de la crise sani­taire, sous pré­avis très brefs, nous nous sommes mobi­li­sés pour mon­ter des hôpi­taux de cam­pagne, trans­fé­rer des patients dans des régions où les hôpi­taux n’étaient pas satu­rés, tes­ter des mil­liers de masques grand public dans les labo­ra­toires de la direc­tion géné­rale de l’armement, vac­ci­ner des cen­taines de mil­liers de Français. 

Au-delà de ces opé­ra­tions dans des milieux « tra­di­tion­nels », nous assis­tons aujourd’hui à une mul­ti­pli­ca­tion des champs de conflic­tua­li­té : le cyber, le spa­tial, la lutte infor­ma­tion­nelle. C’est le rôle du minis­tère des Armées d’anticiper les menaces dans ces nou­veaux champs et de s’y pré­pa­rer. Dans le domaine cyber, le nombre d’attaques en France a été mul­ti­plié par 4 entre 2019 et 2020. Le minis­tère des Armées n’échappe pas à ces attaques, comme le sys­tème d’approvisionnement en car­bu­rant de la Marine natio­nale qui en a été l’objet en 2018. Pour y répondre – y com­pris de manière offen­sive – nous recru­tons plus de 1 000 per­sonnes et comp­te­rons dans nos rangs 4 500 cyber­com­bat­tants en 2025.

Le spatial de plus en plus présent

Le spa­tial fait aus­si l’objet d’une atten­tion par­ti­cu­lière du minis­tère des Armées, à la mesure de l’importance qu’il revêt pour mener des opé­ra­tions mili­taires. Pour prendre un seul exemple, une opé­ra­tion comme Hamil­ton, en 2018, lors de laquelle la France a frap­pé les lieux stra­té­giques de pro­duc­tion et de sto­ckage des armes chi­miques du régime de Bachar al-Assad en Syrie, néces­site des moyens satel­li­taires à toutes les étapes : en amont du raid, pour faire du ren­sei­gne­ment grâce à nos satel­lites d’imagerie ; pen­dant le raid, pour com­mu­ni­quer avec les pilotes, grâce à nos satel­lites de télé­com­mu­ni­ca­tions ; et enfin lors de la phase de gui­dage du mis­sile, par des satel­lites de géolocalisation. 

“Une multiplication des champs de conflictualité.”

Or les menaces dans l’espace exo-atmo­sphé­rique s’accroissent : d’une part, la ministre des Armées a ain­si révé­lé la manœuvre « inami­cale » d’un satel­lite russe en 2017, qui s’était appro­ché d’un peu trop près d’un de nos satel­lites de télé­com­mu­ni­ca­tions mili­taires ; et, d’autre part, nous assis­tons à une mul­ti­pli­ca­tion des satel­lites et des débris dans l’espace. Une stra­té­gie spa­tiale de défense a donc été éla­bo­rée, qui pré­voit d’améliorer encore notre connais­sance de la situa­tion spa­tiale, c’est-à-dire être capable de manière sou­ve­raine de car­to­gra­phier les objets spa­tiaux ; ensuite de pro­té­ger nos satel­lites les plus pré­cieux, par exemple en leur adjoi­gnant des nano­sa­tel­lites char­gés de patrouiller et de dis­sua­der d’éventuels enne­mis ; et enfin d’être en capa­ci­té de se défendre acti­ve­ment, par exemple par des armes à éner­gie dirigée. 

Dans le domaine de la lutte anti-drone, dont l’importance va crois­sante, notam­ment à l’approche des Jeux olym­piques de Paris en 2024, le minis­tère des Armées a conduit en juillet 2021, dans un centre de la DGA, la neu­tra­li­sa­tion d’un drone par arme laser. C’était une pre­mière en Europe, et nous devrions dis­po­ser de sys­tèmes opé­ra­tion­nels en 2023. 

La bataille de l’informationnel

Le champ infor­ma­tion­nel fait éga­le­ment l’objet de toutes les atten­tions par le minis­tère des Armées, en réponse à la mul­ti­pli­ca­tion des fake news, qui peuvent per­tur­ber le débat démo­cra­tique et désta­bi­li­ser les opé­ra­tions mili­taires. C’est pour­quoi nous sou­te­nons une start-up fran­çaise spé­cia­li­sée dans la détec­tion auto­ma­tique de sites dif­fu­sant des fake news, sur la base d’une tech­no­lo­gie au car­re­four entre le trai­te­ment auto­ma­tique des langues et l’intelligence arti­fi­cielle. Le logi­ciel ain­si déve­lop­pé per­met de mieux com­prendre l’origine de la dés­in­for­ma­tion, d’identifier les réseaux d’acteurs qui la pro­pagent, pour mieux cibler les com­mu­nau­tés auprès des­quelles dif­fu­ser des contre-arguments. 

L’engagement des ingénieurs

On le voit, la période est exal­tante pour les ingé­nieurs qui ont fait ou feront le choix de tra­vailler dans l’industrie de défense : le porte-avions de nou­velle géné­ra­tion, dont les pre­mières pièces, six mois après le choix par le Pré­sident de la Répu­blique de la pro­pul­sion nucléaire, sortent déjà des forges du Creu­sot ; le sys­tème de com­bat aérien du futur, avec un nou­vel avion de com­bat dont le pro­to­type vole­ra en 2027 ; le sous-marin nucléaire lan­ceur d’engins de troi­sième géné­ra­tion, qui navi­gue­ra jusqu’en 2080 ; les tech­no­lo­gies de big data appli­quées notam­ment au domaine du ren­sei­gne­ment. Ce sont des pro­jets tech­no­lo­giques sou­ve­rains, par­mi les plus com­plexes au monde, qui irriguent une filière de 200 000 emplois hau­te­ment qua­li­fiés et non délocalisables. 

Politique industrielle nationale et coopération

Ces inves­tis­se­ments sont là d’abord pour équi­per nos forces. Mais ils sont orien­tés, pen­sés avec la volon­té de déve­lop­per un tis­su indus­triel en France de très grande qua­li­té, et pérennes. À côté des autres leviers dont dis­pose l’État pour ani­mer une poli­tique indus­trielle – la régu­la­tion, l’actionnariat –, le levier de l’investissement est d’une redou­table effi­ca­ci­té – et le minis­tère des Armées, avec son sta­tut de pre­mier inves­tis­seur de l’État, y joue un rôle émi­nent. La défense natio­nale est un domaine où les argu­ments de conti­nui­té d’un bureau d’études, de main­tien d’une chaîne de pro­duc­tion, d’indépendance tech­no­lo­gique sont pris en compte. Et la crise sani­taire n’a fait que ren­for­cer le bien-fon­dé de cette approche sou­ve­raine, qui est doré­na­vant prise en exemple par beau­coup d’autres.

Néan­moins sou­ve­rai­ne­té ne rime pas avec splen­dide iso­le­ment. Les pro­grammes d’armement en coopé­ra­tion sont en aug­men­ta­tion de 35 % par rap­port à la pré­cé­dente loi de pro­gram­ma­tion mili­taire – le plus emblé­ma­tique est le sys­tème de com­bat aérien du futur, en coopé­ra­tion avec l’Allemagne et l’Espagne, qui sera opé­ra­tion­nel en 2040. Mais, à plus courte échéance par exemple, les nou­veaux pétro­liers ravi­tailleurs de la Marine natio­nale qui seront livrés pro­chai­ne­ment ont été réa­li­sés en coopé­ra­tion avec l’Italie, avec à la clé un calen­drier accé­lé­ré et davan­tage de capa­ci­tés que si nous avions mené ce pro­jet seuls. 

L’information du citoyen

La varié­té des poli­tiques publiques por­tées par le minis­tère des Armées est immense. Si les opé­ra­tions mili­taires sont le fer de lance et la fina­li­té de nos acti­vi­tés, le minis­tère est le pre­mier recru­teur de France (et le pre­mier employeur de poly­tech­ni­ciens !) et il compte des lycées, des grandes écoles, des hôpi­taux, des infra­struc­tures allant du loge­ment de per­son­nel à la base nucléaire ; il déve­loppe des sys­tèmes d’armes par­mi les plus com­plexes au monde, anime une poli­tique pour la jeu­nesse, pour la mémoire et les anciens com­bat­tants, pour ne prendre que quelques exemples. Le minis­tère des Armées est donc une « petite France », avec une excep­tion­nelle richesse intel­lec­tuelle, où l’on dis­pose de réelles capa­ci­tés d’action.

C’est une terre d’exercice natu­relle pour des poly­tech­ni­ciens, qu’ils choi­sissent le métier des armes ou embrassent une car­rière d’ingénieur ou de scien­ti­fique. Et toutes nos acti­vi­tés méritent d’être encore mieux connues, de la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne, mais plus lar­ge­ment de l’ensemble de nos com­pa­triotes. Plu­sieurs rai­sons pré­sident à une com­mu­ni­ca­tion dense et éner­gique du minis­tère des Armées. D’abord parce que, comme pour toute fonc­tion réga­lienne, les armées ne sont en mesure d’agir dura­ble­ment, notam­ment en opé­ra­tions exté­rieures, que si elles sont légi­times, et cette légi­ti­mi­té repose pour une large part sur le sou­tien de l’opinion.

Ensuite parce qu’il y a une véri­table com­pé­ti­tion pour atti­rer de jeunes talents, notam­ment pour le minis­tère des Armées, depuis la fin de la conscrip­tion, et la com­mu­ni­ca­tion – on le voit avec le for­mi­dable suc­cès du Bureau des légendes – y contri­bue gran­de­ment. Et, enfin, l’extraordinaire déve­lop­pe­ment des médias et du web peut ame­ner un glis­se­ment des confron­ta­tions dans le champ infor­ma­tion­nel, et il importe alors de réta­blir les faits. Ce sont les mis­sions qui me sont assi­gnées en tant que porte-parole du minis­tère. Ce numé­ro de La Jaune et Rouge y contri­bue très utilement. 

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