4e colloque X-ENA-HEC, un orateur

4e colloque X‑ENA-HEC : une bonne habitude

Dossier : ExpressionsMagazine N°586 Juin/Juillet 2003
Par Pierre-René SÉGUIN (X73)

Nous voilà donc à la qua­trième édi­tion de ce col­loque organ­isé annuelle­ment depuis l’année 2000 par les trois asso­ci­a­tions d’anciens élèves : la pre­mière édi­tion avait traité de la for­ma­tion des respon­s­ables, dans le grand amphithéâtre de la Sor­bonne ; la sec­onde, déjà au min­istère de l’Économie, de la con­cur­rence mon­di­ale ; la troisième, au Cen­tre de con­férences inter­na­tionales de l’avenue Kléber, de la com­péti­tion entre l’Europe et les États-Unis ; cette fois-ci le sujet choisi était le risque économique, sujet d’actualité puisque les effets des atten­tats du 11 sep­tem­bre 2001 sont dans tous les esprits, si l’on veut s’intéresser à un risque qui s’est réal­isé, et puisque, si l’on pense au risque mar­qué par une grande incer­ti­tude, l’épidémie de pneu­monie atyp­ique four­nit un exem­ple inquié­tant. Je ne men­tion­nerai pas le risque de se planter lorsqu’on se lance dans une extrap­o­la­tion : ceux de nos lecteurs qui ont la meilleure mémoire auront remar­qué que ma petite for­mule de l’année dernière Mn + 1=Mn — 1, où M est le numéro du mois de l’année et n le mil­lésime, n’a pas été véri­fiée cette année. En revanche, il n’y a guère de risque que nous n’ayons pas un autre col­loque X‑ENA-HEC en 2004, dans la mesure où la sat­is­fac­tion de tous était évi­dente lors du cock­tail qui a clô­turé cette excel­lente journée de réflex­ions, de débats et par­fois de polémiques.

© REGARDS INTERNATIONAL

L’ouverture a été faite, comme cela est tra­di­tion­nel, par les prési­dents des trois asso­ci­a­tions, qui ont pu rap­pel­er en quoi ce type de man­i­fes­ta­tion est sig­ni­fi­catif pour cha­cune d’entre elles et pour leur ensem­ble. Arnaud Teyssier, pour les énar­ques, a relevé com­bi­en une bonne part des prob­lèmes que con­naît la France provient d’une incom­préhen­sion entre le secteur privé et le secteur pub­lic, ce à quoi ce type de débat con­tribue à remédier.

Pierre-Hen­ri Gour­geon, qui en tant que dirigeant d’Air France – une entre­prise par­ti­c­ulière­ment con­cernée par la notion de risque – s’est exprimé par ailleurs à plusieurs repris­es dans la journée, a bien souligné en quoi l’X se situ­ait en quelque sorte à cheval sur la sphère privée et sur la sphère publique et était à même de tenir un rôle cen­tral dans ce type de coopération.

Jean-Luc Allave­na, pour HEC, a pour sa part insisté sur l’internationalisation déjà anci­enne mais tou­jours crois­sante de cha­cune des trois écoles, qui par ailleurs sont tout à fait emblé­ma­tiques d’une cer­taine spé­ci­ficité française, le présent col­loque se situ­ant dans une per­spec­tive ellemême très inter­na­tionale ain­si que les débats ont pu le con­firmer. Je me per­me­t­trai d’ajouter ici, en tant qu’impliqué dans le mon­tage de cette opéra­tion depuis son tout début, que cha­cune des édi­tions m’a paru se dérouler, aus­si bien dans sa phase de pré­pa­ra­tion que dans sa réal­i­sa­tion, avec une aisance et une sorte d’allégresse crois­santes par rap­port à la fois précé­dente. Le mérite en revient certes au con­cept qui est per­ti­nent, mais tout autant au savoir-faire de l’opérateur com­mun, Regards Inter­na­tion­al, qui a obtenu à chaque fois un coût nul pour les associations.

L’articulation des dif­férents moments de la journée per­me­t­tait de ménag­er une pro­gres­sion de l’évaluation du risque jusqu’à la per­spec­tive d’une “société de con­fi­ance, société de crois­sance ” en pas­sant par la maîtrise des risques et par l’établissement des sol­i­dar­ités néces­saires à cette fin.

Je ne rendrai pas compte ici du détail de chaque inter­ven­tion, tout en soulig­nant néan­moins qu’il n’en fut pas de dénuée d’intérêt et que cha­cune mérit­erait d’être rap­portée : vous trou­verez les actes détail­lés sur le site Inter­net de l’Association.

Je remar­querai que la ques­tion du risque met en cause finale­ment six caté­gories d’acteurs : l’entreprise bien sûr, qui doit assumer le risque, et le poli­tique, qui doit fix­er le cadre nor­matif de ce défi, mais aus­si le sci­en­tifique qui apporte l’éclairage de l’expert, le per­son­nel directe­ment con­cerné par le risque, le jour­nal­iste qui porte l’image du risque, et enfin le juge qui sanc­tionne lorsque les choses se sont mal passées. Le jeu est pour cha­cune de ces caté­gories, qui étaient représen­tées sur le podi­um et pour un bon nom­bre par des inter­venants étrangers, de rejeter les respon­s­abil­ités sur les autres caté­gories ; là ce fut par­tielle­ment le cas, mais sans excès.

Le sci­en­tifique s’est bien un peu plaint du fait que le poli­tique était ten­té de l’instrumentaliser, alors que son rôle doit se borner à apporter un éclairage objec­tif dont il appar­tient au poli­tique de tir­er en toute respon­s­abil­ité les déci­sions qui lui incombent ; les jour­nal­istes étaient un peu mon­trés du doigt, pour avoir ten­dance dans une per­spec­tive sen­sa­tion­nal­iste à sures­timer les risques et à con­tribuer ain­si à grossir le risque perçu dans nos sociétés mod­ernes peu dis­posées à accepter ce risque. Cela n’a pas empêché que l’impression dom­i­nante don­née par les inter­venants de tous hori­zons a été glob­ale­ment plutôt optimiste.

Si le risque est cer­taine­ment de plus en plus grand dans un monde plus sophis­tiqué, la maîtrise du risque croît aus­si et on ne saurait pré­ten­dre que le risque net soit en aug­men­ta­tion lorsque l’on fait le bilan.

Il faut dire que les débats avaient été lancés par un exposé très stim­u­lant d’un uni­ver­si­taire améri­cain, le pro­fesseur Peter Schwartz, dont la fonc­tion était dans son exposé inti­t­ulé “ The big sur­pris­es ” de met­tre en évi­dence tous les élé­ments de risque sus­cep­ti­bles d’être apportés par le futur ; le pro­pre d’un tel exer­ci­ce est d’offrir une image un peu démoral­isante de ce qui nous attend ; on peut voir dans son appré­ci­a­tion comme quoi l’euro ne serait pas cer­tain de sur­vivre une pos­si­ble con­ces­sion à la vision améri­caine des choses ; en revanche, un cer­tain nom­bre de ses idées méri­tent d’être méditées. Ain­si, les États-Unis dans leur poli­tique actuelle de puis­sance témoign­eraient d’une évo­lu­tion struc­turelle et non pas con­jonc­turelle, liée à une équipe poli­tique par­ti­c­ulière en place, de l’État nord-américain.

Par­al­lèle­ment l’Union européenne fini­rait bien sa con­struc­tion poli­tique mais – et c’est à not­er – cet effort l’empêchera encore longtemps d’être effec­tive­ment une puis­sance. Autre idée : le nucléaire, qui joue un si grand rôle dans le risque perçu par les opin­ions publiques, ren­tr­erait en grâce auprès des écol­o­gistes, qui fini­raient par se ral­li­er à des avan­tages qu’ils ont voulu jusqu’à présent ignor­er. La con­clu­sion a été que pour acquérir le lead­er­ship, qu’il s’agisse d’une entre­prise ou d’un État, le prob­lème est certes de maîtris­er le risque mais surtout d’être capa­ble de dévelop­per des straté­gies adap­ta­tives en milieu incer­tain, afin de réa­gir pos­i­tive­ment et rapi­de­ment à l’avènement du risque qui se réalise.

4e colloque X-ENA-HEC, l'amphithéatre
© REGARDS INTERNATIONAL

Dans la riche prairie des débats qui ont suivi, on peut cueil­lir telle ou telle fleur. Un uni­ver­si­taire a noté que le risque était de plus en plus créé par l’homme lui-même, après avoir été subi du fait de la nature.

Pierre-Hen­ri Gour­geon a noté la dis­pro­por­tion colos­sale entre la réal­ité du risque de la pneu­mopathie atyp­ique (SRAS) apparue en Chine et les mesures pris­es pour s’en pro­téger, avec un effet économique cat­a­strophique qui se traduira selon toute vraisem­blance par des dégâts humains infin­i­ment supérieurs à ceux causés par la mal­adie elle-même.

Le P.-D.G. de Delta Air­lines est inter­venu en vidéo­con­férence pour en appel­er à l’intervention de l’État afin de com­penser les effets économiques des atten­tats du 11 sep­tem­bre ; les inter­venants dans la salle ne se sont pas privés de relever com­bi­en un entre­pre­neur améri­cain pou­vait être con­va­in­cant lorsqu’il s’agissait de jus­ti­fi­er l’intervention de la puis­sance publique dans les affaires économiques !

Philippe Lagayette, actuelle­ment prési­dent de J.-P. Mor­gan, a fine­ment analysé la prob­lé­ma­tique de l’évolution par­al­lèle du risque réel, des tech­niques de maîtrise de ce risque, du risque perçu, des pro­tec­tions qui en sont déduites, de l’opportunité aus­si que représente sur un plan économique le risque luimême, dans un con­texte de com­plex­i­fi­ca­tion générale ; en défini­tive ce qui importe n’est pas le risque brut, mais le risque net, ain­si que le démon­tre per­tinem­ment l’automobile où le risque brut croît forte­ment sur le long terme mais où le risque net décroît à la mesure des straté­gies de maîtrise qui sont adop­tées ; la moin­dre accep­ta­tion du risque, qui peut s’interpréter comme une perte de sangfroid, risque de se traduire par une stéril­i­sa­tion de toutes les ini­tia­tives, ce qui est le con­traire même de l’esprit d’entreprise.

Un régu­la­teur, Michel Pra­da, et un juge, Antoine Gara­pon, se sont retrou­vés pour souhaiter que l’on sanc­tionne bien la faute, mais qu’on laisse le soin au marché de tir­er les con­séquences des erreurs.

Anne Lau­ver­geon, prési­dente d’AREVA, a rap­pelé com­bi­en, après avoir dès le début inté­gré la maîtrise du risque tech­nique dans son édi­fi­ca­tion, l’industrie nucléaire a dû ensuite réin­tro­duire l’aspect humain du risque ; ain­si que plusieurs inter­venants l’ont souligné, une évo­lu­tion cli­ma­tique majeure est à peu près assurée dans un avenir rel­a­tive­ment proche, il est donc cer­tain que les besoins d’énergie con­tin­ueront à aug­menter et que le rôle du nucléaire devra être réap­pré­cié par l’opinion publique dans le cadre d’un débat démoc­ra­tique indispensable.

Plusieurs inter­venants se sont sur ce point éton­nés de la sous-médi­ati­sa­tion du prob­lème de la sécu­rité routière alors même que ses con­séquences humaines sont incom­pa­ra­ble­ment plus impor­tantes que celles du nucléaire ou même que celles du risque de san­té publique pour les épidémies infec­tieuses. Avec la pre­mière table ronde sur l’évaluation, bril­lam­ment ani­mée par Nico­las Beytout, directeur des Échos, la dernière table ronde ani­mée par Erik Izraelewicz, rédac­teur en chef de ces mêmes Échos avec Bertrand Col­lomb, prési­dent de Lafarge, Denis Kessler, prési­dent-directeur général de la SCOR, de Nicole Notat, anci­enne prési­dente de la CFDT, Klaus Schwab, organ­isa­teur du forum de Davos, a par­ti­c­ulière­ment attiré l’attention.

Denis Kessler a encore une fois fait la preuve de son très grand tal­ent d’estrade, rap­pelant que le risque doit être accep­té comme con­sub­stantiel à l’entreprise et, selon lui, on a abu­sive­ment ren­du l’entreprise respon­s­able de tout alors que l’État se désen­gageait tou­jours davantage.

Bertrand Col­lomb l’a rejoint pour déplor­er une cer­taine con­cep­tion du principe de pré­cau­tion qui peut amen­er à blo­quer toute activ­ité innovatrice.

Le min­istre, notre cama­rade Fran­cis Mer, qui avait effec­tive­ment assisté à une par­tie des débats et qui a ren­du ce col­loque pos­si­ble en met­tant à notre dis­po­si­tion les très fonc­tion­nelles instal­la­tions de son min­istère, a con­clu cette journée dans un style très direct et informel qui a été appré­cié des participants.

Il a notam­ment souligné la néces­sité de dévelop­per les leviers de maîtrise du risque : con­tre le risque objec­tif la cul­ture du process ; con­tre le risque sub­jec­tif la for­ma­tion de l’opinion et des médias, ce qui passe par une édu­ca­tion dès le plus jeune âge. Il a appelé à la coopéra­tion entre les pou­voirs publics, édi­teurs des normes, et les entre­pris­es respon­s­ables de la maîtrise de leur pro­pre risque pro­fes­sion­nel, pour que dans le cadre d’une vision inter­na­tionale l’évolution des normes ménage à la fois la pro­tec­tion du citoyen et le dynamisme économique. Il s’est asso­cié à la con­damna­tion du principe de pré­cau­tion envis­agé dans un sens malthusien afin par­al­lèle­ment d’appeler au développe­ment durable qui, lui, se situe dans une per­spec­tive de prof­it collectif.

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