Y a‑t-il un pilote dans l’École ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°592 Février 2004
Par Gabriel de NOMAZY

En quoi consiste votre changement de statut ?

En quoi consiste votre changement de statut ?

Les officiers généraux ont le priv­ilège de pou­voir rester en activ­ité au-delà de l’âge de la retraite, âge qui arrive rel­a­tive­ment jeune pour ceux qui comme moi sont pilotes de chas­se. J’ai atteint cette lim­ite le 2 jan­vi­er dernier. Je reste directeur général de l’École. Je ne suis pas devenu civ­il. Rien ne change, ni la loi qui veut que Poly­tech­nique soit dirigée par un offici­er général ou un ingénieur général, ni mon salaire, puisque l’École me verse la dif­férence entre mon ancien et mon nou­veau revenu. Cette déci­sion a été prise par le min­istre de la Défense, à la demande du prési­dent du Con­seil d’administration de l’École. Elle inter­vient à une péri­ode de pro­fonde réforme de l’X, qui néces­site une con­ti­nu­ité au niveau de la direction.

À votre arrivée à l’X, il y a trois ans et demi, vous vous étonniez de la diversité des métiers qu’une carrière dans l’armée pouvait réserver. L’ancien pilote de chasse est-il satisfait aujourd’hui de son parcours ?

Quand, étu­di­ant, je suis entré à l’École de l’Air, je ne pen­sais qu’à pilot­er. C’est ce que j’ai fait pen­dant vingt ans et c’était excep­tion­nel. Mais pour exercer ce méti­er de façon sat­is­faisante, il faut être jeune. Passé un cer­tain âge, j’ai eu la chance que l’on me pro­pose des postes très dif­férents et très intéres­sants. Avant de rejoin­dre l’X, j’ai été très impliqué dans les prob­lèmes nucléaires : j’ai été au con­tact de chercheurs, d’ingénieurs et d’officiers pas­sion­nés par ce qu’ils fai­saient. C’était ent­hou­si­as­mant. À l’X, je côtoie des gens for­mi­da­bles par leurs qual­ités intel­lectuelles et leur attache­ment à l’École, ain­si que des élèves dont le sens cri­tique ne peut que faire du bien quand on a un cer­tain âge !

Quelles relations entretenez-vous avez eux ?

J’ai une réu­nion avec la Kès une fois par mois. Je ren­con­tre les respon­s­ables des dif­férentes activ­ités organ­isées sur le plateau tout au long de l’année. J’ai aus­si de très bonnes rela­tions avec le Géné K ! (j’ai dû par­fois faire des mis­es au point, c’est nor­mal, Poly­tech­nique n’est pas un rég­i­ment mais une école). Je m’entretiens égale­ment avec les élèves en dif­fi­culté, en tant que prési­dent des jurys de pas­sage. Mais d’une manière générale, je regrette de ne pas assez voir les élèves, faute de temps. C’est d’autant plus dom­mage que je ressors dopé de nos entre­tiens. Ce sont des jeunes très attachants, très accrocheurs, vifs, avides de con­nais­sances et sou­vent à la fois généreux de leur temps et indi­vid­u­al­istes. Ils sont aus­si très deman­deurs de con­seils, notam­ment pour le choix de leurs formations.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’être pilote quand vous aviez leur âge ? Le mythe ?

Le mythe, oui. Et puis l’envie, dès que je suis entré en math sup, de faire un méti­er où l’on ne reste pas assis dans un bureau. De plus, c’était l’époque de l’affrontement Est-Ouest : je voulais servir mon pays et le monde occidental.

Le monde a beaucoup changé. L’État n’a plus l’importance qu’il avait autrefois. Est-il facile, quand on s’est engagé pour servir un État fort, de favoriser aujourd’hui l’ouverture des services publics vers le privé ?

Non seule­ment je ne vis pas cette sit­u­a­tion comme une con­trainte, mais je pense depuis longtemps que cette ouver­ture est néces­saire. Cer­taines com­pé­tences régali­ennes, comme la défense ou les affaires étrangères, doivent bien enten­du rester du ressort de l’État. D’autres ser­vices ont leur place dans le privé.

Que pensez-vous de l’argument selon lequel, dans l’enseignement et la recherche, le service public est un gage d’indépendance ?

J’y suis sen­si­ble. Mais je crois qu’il faut aus­si ouvrir les yeux sur ce qui se passe en Europe et surtout aux États- Unis, où le finance­ment privé est impor­tant. Par ailleurs, il est néces­saire, à Poly­tech­nique, d’être proche des futurs employeurs de nos élèves, donc des entre­pris­es, qui vont en recruter près des deux tiers.

Partenariats avec les universités chinoises

Vous étiez en Chine et au Viêtnam au mois de décembre. L’École essaiet- elle de renforcer ses liens avec l’Asie ?

Les deux pays sont très dif­férents. Le Viêt­nam a un enseigne­ment de bon niveau, sur un mod­èle proche du nôtre, mais manque de moyens. Peut-être est-ce la rai­son pour laque­lle le pays forme de bons math­é­mati­ciens : un tableau noir revient tou­jours moins cher que des instal­la­tions d’optique ou de biolo­gie. Resser­rer les liens entre l’X et le Viêt­nam (liens qui sont déjà forts, comme en témoigne le nom­bre élevé d’X viet­namiens) doit aus­si servir à dévelop­per un noy­au fran­cophile sur place. La France a tout à y gag­n­er, d’autant plus que cer­tains indus­triels pronos­tiquent pour le Viêt­nam un des­tin com­pa­ra­ble à celui de la Corée du Sud.

En ce qui con­cerne la Chine, la sit­u­a­tion est tout autre. C’est une grande puis­sance mon­di­ale. Le PIB y con­naît une crois­sance phénomé­nale. Poly­tech­nique a encore peu de con­tacts là-bas. Nous devons définir une stratégie pro­pre vis-à-vis de la Chine et sign­er des parte­nar­i­ats avec deux ou trois grandes uni­ver­sités chi­nois­es. Mon voy­age m’a per­mis de vis­iter plusieurs uni­ver­sités avec lesquelles des accords sont envis­age­ables, à Pékin et à Shang­hai. Élis­a­beth Crépon, la direc­trice des rela­tions extérieures de l’École, qui en revient, va dévelop­per cet aspect par­ti­c­uli­er de notre ouver­ture sur l’international.

Ces dernières années, son prédécesseur, Roland Sénéor, semblait jouer un rôle de locomotive au sein du comité exécutif, le comité qui chaque semaine réunit les différents directeurs de l’École, comme si l’ouverture internationale devait précéder tout le reste. Comment vivez-vous “ l’après Sénéor ” ?

Roland a beau­coup apporté. C’est une per­son­nal­ité qui a une grande imag­i­na­tion et qui a la volon­té de met­tre en oeu­vre ses idées. L’internationalisation de l’École lui doit énor­mé­ment. Élis­a­beth Crépon s’attaque main­tenant à la deux­ième étape, qui est une phase de con­sol­i­da­tion. C’est une phase toute aus­si impor­tante et pour laque­lle elle a toute ma confiance.

Beaucoup de réformes ont été entreprises depuis votre arrivée. La situation de l’École, financière notamment, rendait-elle ces transformations indispensables ?

Les réformes que j’ai mis­es en oeu­vre avec l’aide et l’appui des mem­bres du comité exé­cu­tif sont d’abord le fruit du tra­vail de mes prédécesseurs, les généraux Marescaux et Novacq, et des deux derniers prési­dents du Con­seil d’administration, Pierre Fau­rre et Yan­nick d’Escatha. Le nou­veau cur­sus en qua­tre ans est en place, il reste à “ semes­tri­alis­er ” la 3e année. L’internationalisation de l’École est déjà large­ment réal­isée, elle doit être con­solidée et ampli­fiée. Enfin, la mise en place de mas­ters est en cours. Ce pro­jet majeur pour l’ouverture de l’École sur l’Europe doit être final­isé pour la ren­trée sco­laire 2004–2005.

Mais l’actualité, c’est aus­si l’ouverture de Poly­tech­nique sur son envi­ron­nement fran­cilien. Nous allons prochaine­ment accueil­lir Thalès et l’Institut d’optique. Nous allons prob­a­ble­ment accueil­lir ensuite l’Ensta et une par­tie du cen­tre de recherche de l’Onera. Au-delà du cam­pus, nous sommes ren­trés dans Paris­Tech, asso­ci­a­tion de dix grandes écoles d’ingénieurs appar­tenant aux quinze pre­mières français­es, nous avons signé un accord cadre avec Paris XI, et nous étu­dions la pos­si­bil­ité de créer une sorte de fédéra­tion avec les autres étab­lisse­ments du plateau de Saclay.

Au moment où se con­stru­it l’Europe de l’enseignement et de la recherche, il nous faut acquérir une taille cri­tique pour être vis­i­bles et pou­voir nous rap­procher des meilleures insti­tu­tions européennes. En ce qui con­cerne nos ressources finan­cières, nous avons l’assurance que la sub­ven­tion que l’État nous verse, restera fixe au moins jusqu’en 2006. C’est déjà une sat­is­fac­tion, mais pour nous dévelop­per, il faut nous tourn­er vers le privé, c’est-à-dire faire appel prin­ci­pale­ment aux anciens élèves et aux entreprises.

Quel rôle accordez-vous à la communication interne pour accompagner ces transformations ?

Un rôle essen­tiel. Il est indis­pens­able que toutes les per­son­nes de l’École soient con­scientes des enjeux de nos réformes et qu’elles se sen­tent sol­idaires des choix faits par la direc­tion. J’avoue ne pas avoir pris con­science assez tôt de cette dimen­sion. Mais la journée du 13 novem­bre dernier, au cours de laque­lle l’équipe de direc­tion a présen­té au per­son­nel les grandes ori­en­ta­tions de l’École, a don­né, je crois, sat­is­fac­tion. Je m’engage à ce que l’opération soit renou­velée chaque année.

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