Vers une agriculture plus durable

Dossier : Agriculture et environnementMagazine N°657 Septembre 2010

Par l’A­cadémie d’a­gri­cul­ture de France (Voir la présen­ta­tion de l’Académie)
Arti­cle pré­paré par Jean-Claude Mounolou, mem­bre tit­u­laire de l’A­cadémie, Chris­t­ian Fer­ault, vice secré­taire, et Jean-Paul Lan­ly (57), tré­sori­er per­pétuel, en accord avec Guy Pail­lotin (60), secré­taire per­pétuel de l’Académie.

Par l’A­cadémie d’a­gri­cul­ture de France (Voir la présen­ta­tion de l’Académie)
Arti­cle pré­paré par Jean-Claude Mounolou, mem­bre tit­u­laire de l’A­cadémie, Chris­t­ian Fer­ault, vice secré­taire, et Jean-Paul Lan­ly (57), tré­sori­er per­pétuel, en accord avec Guy Pail­lotin (60), secré­taire per­pétuel de l’Académie.
Le texte emprunte aux travaux récents de l’A­cadémie sur le développe­ment durable en agri­cul­ture et l’a­gri­cul­ture biologique, notam­ment ceux coor­don­nés par (ordre alphabé­tique) René Grous­sard, Jean-Claude Ignazi, Bernard Le Buanec, Pierre Marsal et Guy Paillotin.

1. Développement durable et agriculture

Le développe­ment durable est celui qui “s’ef­force de répon­dre aux besoins du présent sans com­pro­met­tre la capac­ité des généra­tions futures de répon­dre aux leurs”. Toutes les arguties du monde ne peu­vent suf­fire à met­tre en cause cette respon­s­abil­ité des généra­tions actuelles vis-à-vis de nos descen­dants : nous avons des choix à faire pour éviter le pire et en avons encore la liber­té, et il ne con­vient pas de priv­er les généra­tions futures de cette même liber­té. Et ceci, à une échelle qui, de locale et mar­ginale, est dev­enue plané­taire. Par­mi ces arguties, celle qui con­siste à soutenir qu’on ne saurait fonder un nou­veau par­a­digme (ou con­cevoir une rup­ture épisté­mologique) sur un con­cept oxy­more (“développe­ment durable”, ou l’ ”obscure clarté” du poète) ; ou, que l’é­cosphère que con­stitue notre planète étant un super-organ­isme vivant, elle pos­sède la fac­ulté d’homéostasie des êtres vivants, c’est-à-dire celle de revenir à un état d’équili­bre phys­i­ologique antérieur quels que soient les change­ments de leur envi­ron­nement ; ou encore, qu’il n’y a pas lieu de pren­dre au sérieux un con­cept auquel son usage presque incan­ta­toire et sou­vent abusif a fait per­dre une bonne part de sa sub­stance et de sa crédibilité.

Agricul­teurs et, plus encore, forestiers peu­vent pré­ten­dre, certes, que la notion de développe­ment durable — il aurait mieux valu utilis­er en français l’ad­jec­tif “souten­able”, plus proche du sus­tain­able anglais2- n’est pas nou­velle, et qu’elle leur est famil­ière depuis des lus­tres sous d’autres voca­bles. De tout temps, l’a­gricul­teur a cher­ché à gér­er son exploita­tion “en bon père de famille”, suiv­ant l’ex­pres­sion con­sacrée par le Code civ­il, en main­tenant la fer­til­ité des sols et avec les out­ils et les con­nais­sances à sa portée. La con­ser­va­tion des sols reste la préoc­cu­pa­tion de base de tous les agronomes. De même, en matière de ges­tion forestière, dans les forêts semi-naturelles amé­nagées qui con­stituent la qua­si-total­ité de l’e­space foresti­er pub­lic de la France mét­ro­pol­i­taine, l’ob­jec­tif longtemps qual­i­fié de “ren­de­ment soutenu” prend en compte aus­si les com­posantes de ces écosys­tèmes autres que les arbres, ain­si que les inter­ac­tions entre celles-ci. Et l’on n’est pas éton­né de retrou­ver cette notion de “souten­abil­ité” dans une ordon­nance forestière de Philippe de Val­ois de 1346 pre­scrivant d’asseoir les coupes “de telle manière que les forêts (du domaine roy­al) se puis­sent per­pétuelle­ment soutenir en bon état”.

Il n’empêche : l’a­gri­cul­ture française qui jusqu’au début du 19ème siè­cle, et à l’in­star des autres agri­cul­tures européennes con­ti­nen­tales, pro­dui­sait avec pra­tique­ment rien presque tout ce qui était néces­saire à la vie des col­lec­tiv­ités — la qua­si-total­ité de l’al­i­men­ta­tion, l’essen­tiel de l’én­ergie et des matières pre­mières de l’in­dus­trie -, s’est retrou­vée un siè­cle et demi à deux siè­cles plus tard ne pro­duisant plus qu’une par­tie des ressources ali­men­taires et pra­tique­ment plus rien pour l’in­dus­trie. Ceci en con­som­mant beau­coup plus d’in­trants et beau­coup moins de tra­vail. Ce secteur économique, qui fut longtemps con­sid­éré comme l’arché­type du mode de vie tra­di­tion­nelle, a con­nu une muta­tion con­sid­érable. Les agricul­teurs sont devenus à la fois les respon­s­ables et les vic­times d’un mode de développe­ment non durable, en ayant à faire face à des réal­ités con­tre­dis­ant les fonde­ments de leur sagesse : à savoir que l’ac­cu­mu­la­tion du cap­i­tal fonci­er n’est plus un gage de richesse, que la sol­i­dar­ité — dans le tra­vail notam­ment — n’est plus indis­pens­able, que la lente accu­mu­la­tion d’une épargne de sécu­rité ne suf­fit plus, que la per­for­mance tech­nique ne s’ac­com­pa­gne pas néces­saire­ment d’une bonne rémunéra­tion, et que les gains de pro­duc­tiv­ité du secteur peu­vent à terme en pré­cip­iter la décadence.

Ce n’est pas la seule rai­son pour laque­lle l’a­gri­cul­ture est au pre­mier chef con­cernée par le développe­ment durable. Elle l’est aus­si parce qu’elle est une activ­ité irrem­plaçable, sa pre­mière final­ité étant de main­tenir en vie tous les hommes en assur­ant leur ali­men­ta­tion ; avec ce rôle par­ti­c­uli­er pour la grande majorité des pop­u­la­tions de nom­breux pays en développe­ment de fournir l’essen­tiel de leurs ressources. Les pro­duits agri­coles n’é­tant pas des pro­duits comme les autres, car con­di­tion­nant la survie même des êtres humains, le secteur agri­cole néces­site des régu­la­tions par­ti­c­ulières aux niveaux nation­al, région­al et mon­di­al. Autrement dit, la vari­able d’a­juste­ment des marchés des pro­duits agri­coles ne saurait être le nom­bre de vies humaines sacrifiées.

Elle l’est encore aus­si parce que, revenant à des fonc­tions un peu oubliées, elle peut être mise au ser­vice de pro­duc­tions énergé­tiques ou indus­trielles. Enfin, et peut-être est-ce là tout aus­si impor­tant, l’a­gri­cul­ture, et la foresterie, sont de fait les prin­ci­paux secteurs ges­tion­naires des sols, de l’eau, et par là même de nos territoires.

Alors, l’en­jeu est clair, même si les solu­tions pour y par­venir ne le sont pas : ou l’a­gri­cul­ture s’in­tè­gre dans le développe­ment durable, plus sim­ple­ment est une agri­cul­ture qu’on pour­ra qual­i­fi­er de durable, et nous avons des chances de maîtris­er notre avenir ; ou elle ne l’est pas, et nos descen­dants, de plus en plus nom­breux et citadins, auront à faire face à des dif­fi­cultés majeures pour sat­is­faire non seule­ment leurs besoins ali­men­taires, mais aus­si leurs besoins en fibres végé­tales, en com­bustibles et éner­gies renou­ve­lables, en matéri­aux de construction … .

2. Concevoir l’agriculture durable

Au sein de notre pays, a for­tiori au niveau de l’U­nion européenne, et plus encore au niveau mon­di­al, le con­sen­sus sur ce qu’est l’a­gri­cul­ture durable est loin d’ex­is­ter. Du fait, d’abord, des dif­férences impor­tantes entre les attentes des divers groupes soci­aux, que ce soit aujour­d’hui, ou qu’il s’agisse de nos descen­dants dont nous cher­chons à main­tenir la capac­ité à sat­is­faire leurs pro­pres besoins.

Dans le secteur de l’a­gri­cul­ture et les activ­ités qui lui sont con­nex­es, on peut dis­tinguer trois caté­gories de citoyens : les agricul­teurs, les trans­for­ma­teurs et dis­trib­u­teurs de pro­duits agri­coles, et les consommateurs.

  • Les agricul­teurs : leur nom­bre est en baisse con­stante. Le nom­bre total d’ex­ploita­tions agri­coles en France a dimin­ué régulière­ment de 3,6 % par an entre 1988, où il était d’un peu plus de 1million, et 2007 où il n’é­tait plus que de 500.000 env­i­ron, et rien ne per­met d’af­firmer que cette décrois­sance va s’ar­rêter. La sit­u­a­tion des agricul­teurs est très vari­able, mais nom­bre d’en­tre eux vivent une vie par­ti­c­ulière­ment dure com­parée à celle des citadins. Leurs enfants sont incités à faire leur vie ailleurs. Que sig­ni­fie agri­cul­ture durable pour les agricul­teurs actuels et leurs enfants ? Le sens qu’ils attribuent à ces mots est-il partagé par les autres com­posantes de la société ? Prob­a­ble­ment pas …
     
  • Les trans­for­ma­teurs et com­merçants de pro­duits agri­coles : con­cer­nant cette caté­gorie, les con­cen­tra­tions mis­es en œuvre par la tech­nic­ité et l’é­conomie cap­i­tal­iste du secteur ont créé une très large palette de sit­u­a­tions (depuis l’ar­ti­san jusqu’à la grande indus­trie, depuis le petit com­merçant jusqu’à la grande dis­tri­b­u­tion). Dans cette caté­gorie aus­si, les effec­tifs sont en décrois­sance et l’in­vestisse­ment des indi­vidus est moins directe­ment lié à un pat­ri­moine, à une terre, à une plante ou un ani­mal, à un pro­duit (vin). Ce que fer­ont les généra­tions futures aura peu de rap­port avec ce que fait la généra­tion actuelle : ils iront chercher leur avenir dans l’ensem­ble des struc­tures sociales, car leur attache­ment à une dura­bil­ité de l’a­gri­cul­ture est mod­este. Ils sont en grande majorité citadins, et parta­gent sans doute le souci de tous les autres citadins. Jusqu’où sont-ils prêts à con­stru­ire une représen­ta­tion spé­ci­fique de l’a­gri­cul­ture durable ? La réponse à cette ques­tion est loin d’être évidente.
     
  • Les autres class­es de la société, c’est-à-dire, par rap­port au secteur de l’a­gri­cul­ture, les con­som­ma­teurs, ou encore, la très grande majorité des citoyens dans le monde indus­tri­al­isé : éloignés de l’acte de pro­duc­tion agri­cole et de la trans­for­ma­tion des pro­duits, ils atten­dent de l’a­gri­cul­ture des ser­vices var­iés : ali­men­ta­tion bien sûr, mais aus­si envi­ron­nement, paysages, car­bu­rants, fibres, accueil pour les vacances, entre­tien de la “nature” … le tout au meilleur prix, sans con­trainte dans leur vie quo­ti­di­enne (déjà chargée de ses pro­pres dif­fi­cultés). Pour eux, une agri­cul­ture durable est celle qui sat­is­fera tou­jours mieux les ser­vices qu’ils en attendent.

Par ailleurs, les principes sous-ten­dant la déf­i­ni­tion du con­tenu de l’a­gri­cul­ture durable vari­ent suiv­ant les com­mu­nautés nationales et les gou­verne­ments qu’ils se don­nent. Ces principes peu­vent être de nature pure­ment (et noble­ment) poli­tique : volon­té d’indépen­dance ali­men­taire, ou d’un niveau sat­is­faisant d’au­to-suff­i­sance ali­men­taire du pays, dis­tri­b­u­tion plus ou moins équitable des revenus (notam­ment entre les citadins et les ruraux), niveau de pri­or­ité don­née à la san­té publique, à l’amé­nage­ment du ter­ri­toire (par exem­ple, main­tenir une occu­pa­tion humaine min­i­male sur l’ensem­ble du pays et éviter ain­si la “déser­ti­fi­ca­tion” de cer­tains ter­ri­toires), pri­or­ité rel­a­tive don­née à l’in­térêt de la col­lec­tiv­ité par rap­port à celui des individus, … .

On voit bien aus­si que les poli­tiques d’a­gri­cul­ture durable mis­es en œuvre se doivent d’être sou­ples car, en s’ap­puyant et en s’adres­sant à des caté­gories sociales dif­férentes, elles met­tent en avant les dif­férences et les hand­i­caps, elles dis­til­lent les soupçons et gravent des stig­mates (du genre : “les agricul­teurs sont de dan­gereux pol­lueurs qui font fi de la san­té de leurs conci­toyens”). A ce jeu, les éleveurs et les agricul­teurs, dont le nom­bre va en décrois­sant, sont peu avan­tagés. La sub­til­ité et le prag­ma­tisme devront pré­val­oir pour préserv­er la cohérence de la société et main­tenir l’ob­jec­tif général.

3. Eléments d’agriculture durable

On ne saurait pass­er en revue, dans les lim­ites d’un seul arti­cle, toutes les approches visant à un agri­cul­ture plus durable que l’a­gri­cul­ture con­ven­tion­nelle actuelle3, sauf à se sat­is­faire de descrip­tions par trop som­maires. Afin d’être plus pré­cis et plus con­crets, nous nous lim­iterons à la présen­ta­tion de la seule agri­cul­ture biologique (AB), pour au moins deux raisons : elle est la seule à avoir été cod­i­fiée et val­orisée, depuis les années 1990, aux niveaux français et européen ; et elle cherche à répon­dre aux attentes d’une frac­tion crois­sante de la pop­u­la­tion de nos pays, qui s’in­quiète en par­ti­c­uli­er des effets négat­ifs de l’a­gri­cul­ture con­ven­tion­nelle sur l’en­vi­ron­nement. Par ailleurs, l’AB vient de faire l’ob­jet d’une éval­u­a­tion appro­fondie par un groupe de tra­vail de l’A­cadémie d’a­gri­cul­ture, ce qui lui per­met d’en par­ler par­ti­c­ulière­ment à bon escient. Et, pour être plus spé­ci­fiques et plus pré­cis encore, nous nous lim­iterons à deux domaines impor­tants de car­ac­téri­sa­tion de la dura­bil­ité, à savoir celui de la pro­tec­tion des plantes et de l’u­til­i­sa­tion des pes­ti­cides, et celui de la fer­til­i­sa­tion des sols.

Par ailleurs, les recherch­es dans le domaine de la géné­tique ani­male et végé­tale, et leurs appli­ca­tions en agri­cul­ture, font l’ob­jet de vifs débats au sein de la société, au point de met­tre en ques­tion leur accept­abil­ité sociale, un des piliers de la dura­bil­ité. Aus­si con­sacrerons-nous la dernière sec­tion de cet arti­cle à ce domaine sensible.

3.1. L’agriculture biologique (AB)

Pour un meilleur con­fort de lec­ture, cette sec­tion a été séparé en arti­cle isolé : Lire cette sec­tion...

3.2 Agriculture durable et génétique

Con­nais­sances et out­ils de la géné­tique sont aujour­d’hui très util­isés en agri­cul­ture. On peut citer deux exem­ples par­mi beau­coup d’autres : créa­tion chez les ovins de races à viande dif­férentes des races à laine, entre­tien d’une large gamme de lignées de maïs sus­cep­ti­bles d’être croisées pour pro­duire des hybrides per­for­mants. Le “pro­grès géné­tique” est con­tin­uel, et résulte d’une activ­ité de sélec­tion qui s’ex­erce sur un monde vivant en per­pétuelle évolution.

Depuis le début du 20ème siè­cle, les con­cepts et les méth­odes util­isés — ceux de la géné­tique des pop­u­la­tions, de la géné­tique quan­ti­ta­tive, de la géné­tique écologique — ont bien prou­vé leur per­ti­nence et leur effi­cac­ité. Rien ne per­met de penser qu’ils ne con­tin­ueront pas à ren­dre d’émi­nents ser­vices dans les décen­nies qui vien­nent. L’ob­ten­tion, récente grâce à eux, de var­iétés de blé main­tenant une abon­dante pro­duc­tion de grains, alors que les céréalicul­teurs réduisent l’usage des engrais et des pes­ti­cides, en témoigne. La démarche de val­ori­sa­tion est cepen­dant très glob­ale, elle s’adresse aux gènes à tra­vers les indi­vidus. La sélec­tion et l’amélio­ra­tion ne peu­vent se faire qu’au rythme de la biolo­gie et de la repro­duc­tion de ces individus.

Dans les 50 dernières années, l’ADN, les con­nais­sances et les tech­nolo­gies afférentes ont ouvert la voie à une amélio­ra­tion géné­tique plus directe et plus rapi­de des ani­maux et des plantes. Le sélec­tion­neur a eu un accès pointu au gène, à sa fonc­tion et à sa spé­ci­ficité via l’ADN. Il s’est affranchi aus­si en par­tie des con­traintes tem­porelles de l’amélio­ra­tion tra­di­tion­nelle. Le temps de Dol­ly et des plantes OGM est venu. Il est pos­si­ble d’ap­porter une fonc­tion “à la demande” ; on éla­bore ain­si des maïs Bt résis­tants à la pyrale. L’ap­proche est per­ti­nente, effi­cace et général­is­able. Elle ren­con­tre cepen­dant des oppo­si­tions dans la société car elle est perçue comme une trans­gres­sion d’un ordre biologique et idéologique. Il en résulte des con­flits de pou­voir, économiques et poli­tiques, dans lesquels la biolo­gie — la géné­tique — n’est qu’un pré­texte ou un out­il, même si l’on feint de croire le con­traire. Tech­nique­ment il existe bien, au prof­it de l’a­gri­cul­ture et pour les décen­nies qui vien­nent, un avenir pour ces démarch­es, mais il est essen­tielle­ment dépen­dant des néces­sités et cir­con­stances poli­tiques et sociales.

Pour un avenir plus loin­tain, une troisième voie d’amélio­ra­tion géné­tique des plantes et des ani­maux se pré­pare. Les bases con­ceptuelles et tech­nologiques se met­tent en place aujour­d’hui : génomique, pro­téomique7, cel­lules souch­es, cul­tures in vit­ro et in vivo, épigéné­tique8… .

La ques­tion est de savoir com­ment un généti­cien, un sélec­tion­neur, peut répon­dre à une demande tou­jours non sat­is­faite ou totale­ment nou­velle des agricul­teurs. Prenons l’ex­em­ple d’une plante à fleurs ros­es et qu’un hor­tic­ul­teur val­oris­erait bien s’il avait une var­iété bleue. Avec les con­nais­sances et les tech­nolo­gies géné­tiques en émer­gence, il est pos­si­ble de s’in­ter­roger ain­si : que serait un végé­tal qui aurait des fleurs bleues et les car­ac­téris­tiques tech­nologiques que réclame le marché ? La con­struc­tion part de car­ac­téris­tiques génériques min­i­males (une plante, une couleur) à par­tir desquelles on réalise une expan­sion intel­lectuelle sur la base des con­nais­sances et tech­niques disponibles. Cette base est telle aujour­d’hui qu’il est pos­si­ble d’en­vis­ager non pas une (comme dans le cas des OGM), mais tout un ensem­ble de solu­tions pos­si­bles. Il n’y a plus trans­gres­sion d’un ordre biologique ou idéologique. On est placé dans une sit­u­a­tion d’in­no­va­tion. La mul­ti­plic­ité des pos­si­bles offre autant de choix à la société. La com­pat­i­bil­ité avec la vie sociale est le critère ser­vant à effectuer ces choix, et rien n’ex­clut la coex­is­tence de plusieurs d’en­tre eux. On est sor­ti des inter­dits et entré dans l’in­no­va­tion et l’évolution.

Avec main­tenant trois cordes à leur arc, les généti­ciens et les sélec­tion­neurs ont encore bien des ser­vices à ren­dre à l’a­gri­cul­ture durable de demain.

4.Conclusion

Il n’ex­iste pas de mod­èle unique de dura­bil­ité en agri­cul­ture, pas plus qu’il n’en existe dans les autres secteurs d’ac­tiv­ité humaine. Une façon d’abor­der la ques­tion de la dura­bil­ité de l’a­gri­cul­ture est d’opter, sans a‑priori idéologique, pour une démarche gradu­elle et pro­gres­sive qui, thème par thème, objet par objet (on pour­rait dire aus­si critère par critère, et au sein d’un même critère, indi­ca­teur par indi­ca­teur), analyse les symp­tômes de “sit­u­a­tions et de per­spec­tives pathologiques” dans l’a­gri­cul­ture et leurs con­séquences sur l’ensem­ble de la société, en cher­chant chaque fois à y remédi­er. L’a­gri­cul­ture durable doit sat­is­faire les néces­sités de san­té indi­vidu­elle et publique par une ali­men­ta­tion sûre (objec­tifs de qual­ité, de traça­bil­ité et de non-tox­i­c­ité des pro­duits agri­coles), et, bien évidem­ment, les objec­tifs d’une ali­men­ta­tion suff­isante pour tous les citoyens, y com­pris les plus pauvres.

Elle doit lim­iter son impact sur la bio­di­ver­sité, et ne pas com­pro­met­tre le cycle et l’usage de l’eau, du car­bone, de l’a­zote, du soufre… . . Elle doit aus­si pren­dre en compte cer­taines attentes cul­turelles rel­a­tives à la valeur pat­ri­mo­ni­ale des sites et des paysages, et les besoins d’e­spaces de détente et de loisirs pour les citadins (mais elle ne doit pas être, non plus, sys­té­ma­tique­ment per­dante dans le réamé­nage­ment per­ma­nent du ter­ri­toire imposé, à sur­face con­stante, par l’aug­men­ta­tion de l’im­plan­ta­tion des villes et la den­si­fi­ca­tion de l’in­fra­struc­ture de trans­port). Enfin, et non des moin­dres, les con­sid­éra­tions économiques, ain­si que les aspects régle­men­taires par­ticipent de l’élab­o­ra­tion de poli­tiques de l’a­gri­cul­ture durable. Les seuls slo­gans pri­maires qui stig­ma­tisent (“les agricul­teurs pol­lu­ent, ils doivent pay­er”), ou qui traduisent un refus de toute respon­s­abil­ité (“tout cela est affaire de l’E­tat, il n’a qu’à sub­ven­tion­ner et punir”) peu­vent rap­porter des voix, mais ne con­tribuent pas à pro­gress­er vers une agri­cul­ture plus durable.

En l’ab­sence de solu­tion uni­verselle, le prag­ma­tisme amène à soutenir cette démarche gradu­elle qui cherche à régler les prob­lèmes les uns après les autres, à éval­uer et faire évoluer péri­odique­ment l’ap­pli­ca­tion d’une poli­tique d’a­gri­cul­ture durable. Et l’on com­prend bien que, face à la com­plex­ité des sit­u­a­tions, ce soit un fais­ceau de divers­es approches qui soient pro­posées ensem­ble, et à la cohérence desquelles il con­vien­dra de veiller. A côté des pra­tiques de l’a­gri­cul­ture con­ven­tion­nelle qui domi­nent actuelle­ment, ont été ain­si conçues et appliquées dans les vingt dernières années les démarch­es cod­i­fiées de l’a­gri­cul­ture biologique évo­quées plus haut, des approches moins for­mal­isées dites d’ “agri­cul­ture raison­née”, ou encore d’ “agri­cul­ture de pré­ci­sion” visant à opti­miser l’usage des intrants, ain­si que des approches inté­grées de ges­tion des ter­ri­toires ruraux ressus­ci­tant et adap­tant des pra­tiques anci­ennes dont on a eu trop ten­dance à nég­liger le bien-fondé, comme l’a­gro­foresterie ou le sylvopastoralisme.

Les con­nais­sances et les tech­niques autorisent à imag­in­er et innover pour dévelop­per une agri­cul­ture de plus en plus durable. Aujour­d’hui, il est pos­si­ble d’i­den­ti­fi­er des ori­en­ta­tions souhaita­bles, comme par exem­ple : la mise en place d’une cod­i­fi­ca­tion et d’une val­ori­sa­tion de l’ ”agri­cul­ture raison­née” à l’in­star de ce qui a été fait pour l’a­gri­cul­ture biologique ; le suivi d’indi­ca­teurs d’im­pact de l’a­gri­cul­ture sur l’en­vi­ron­nement (par exem­ple les teneurs en minéraux et en pes­ti­cides dans les eaux) pour rec­ti­fi­er si néces­saire cer­taines pra­tiques agri­coles ; l’ap­pli­ca­tion de poli­tiques et sché­mas d’amé­nage­ment du ter­ri­toire visant à un bon équili­bre villes-cam­pagnes et à une cohab­i­ta­tion har­monieuse des ruraux, néo-ruraux et citadins. Cepen­dant, il faut être con­scient que, sur le moyen et long ter­mes, ces ori­en­ta­tions valides aujour­d’hui devront être revues et com­plétées par d’autres au fil du temps afin que les activ­ités agri­coles demeurent à la fois “écologique­ment saines, économique­ment viables et sociale­ment acceptables”.

2 De fait, la tra­duc­tion française offi­cielle était au départ plus com­plète (“viable et durable”). Paresse des tra­duc­teurs et inter­prètes ? Refus d’u­tilis­er le terme “souten­able” rap­pelant fâcheuse­ment une pro­fes­sion délictueuse ? …
3 On la qual­i­fie aus­si sys­té­ma­tique­ment d’ ”inten­sive” sans tenir compte de sa diversité.
7 Etude de la struc­ture et du rôle des pro­téines, y com­pris de la façon dont elles fonc­tion­nent et inter­agis­sent entre elles à l’in­térieur des cellules.
8 Etude des change­ments hérédi­taires dans la fonc­tion des gènes, ayant lieu sans altéra­tion de la séquence ADN.

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