Constellation Kinéis

Une constellation de satellites pour un IoT plus accessible

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°784 Avril 2023
Par Alexandre TISSERANT (X99)

Les réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tion ter­restres sont aujourd’hui très dens­es, mais ne cou­vrent qu’une petite par­tie de la sur­face de la Terre. À l’heure où les satel­lites devi­en­nent plus per­for­mants et moins chers, Kinéis cherche à démoc­ra­tis­er la con­nec­tiv­ité pour les objets con­nec­tés sur toute la sur­face du globe. Entre­tien avec Alexan­dre Tis­ser­ant (X99), prési­dent de l’entreprise.

Pouvez-vous nous décrire les activités de Kinéis ?

Kinéis est un opéra­teur satel­li­taire : nous ven­dons de la con­nec­tiv­ité pour l’internet des objets grâce à des satel­lites. Nous pou­vons con­necter n’importe quel objet n’importe où sur la planète : au milieu des océans ou des pôles, dans les déserts ou les mon­tagnes, à con­di­tion que l’objet se situe en extérieur. Aujourd’hui, il y a env­i­ron 20 000 ter­minaux con­nec­tés à notre sys­tème dans le monde. Les usages sont très divers : la pour­suite d’animaux sauvages pour des sci­en­tifiques souhai­tant étudi­er leur migra­tion, la véri­fi­ca­tion de la posi­tion des bateaux de pêche pour s’assurer qu’ils n’entrent pas dans des zones de pêche illé­gales, le mon­i­tor­ing de réseaux d’infrastructures (réseaux élec­triques, réseaux d’eau, pipelines, suivi de con­tain­ers ou d’autres assets pour les indus­tries), l’agriculture con­nec­tée, les sta­tions météo, le mon­i­tor­ing de sols, etc. La valeur ajoutée du satel­lite est l’extension de sa couverture.

Aujourd’hui seule 15 % de la sur­face du globe est cou­verte par les réseaux ter­restres : le satel­lite per­met d’adresser tout le reste.
Par ailleurs, nous déployons égale­ment un réseau de paraboles sur une ving­taine de sites autour du monde. Elles reçoivent les sig­naux du satel­lite, une fois que celui-ci a cap­té les sig­naux envoyés par l’objet. La don­née peut ain­si « redescen­dre » quelle que soit la posi­tion du satel­lite autour du globe.

Quelle est votre spécificité en termes technologiques ?

Habituelle­ment, les satel­lites sont des objets de grande taille, ayant les dimen­sions d’une voiture ou d’un bus. Nous util­isons des nanosatel­lites. Ce sont des objets d’une trentaine de kilos, à peu près des dimen­sions d’une boite à chaus­sures. Nous avons aujourd’hui 9 satel­lites qui tour­nent en orbite basse, et nous avons le pro­jet d’en lancer 25 de plus à par­tir de fin 2023, à 650 km d’altitude. Avoir davan­tage de satel­lites nous per­met d’avoir plus de capac­ité et d’obtenir de meilleures per­for­mances en ter­mes de latence et de rafraîchisse­ment de la donnée.

Pouvez-vous préciser ?

Aujourd’hui, les satel­lites font le tour de la Terre en 1h30 env­i­ron. Quand un satel­lite appa­raît à l’horizon, l’objet con­nec­té peut émet­tre pen­dant 10 ou 15 min­utes. Avec seule­ment 9 satel­lites autour du globe, le satel­lite suiv­ant arrive quelques heures plus tard. Il y a donc un temps d’attente néces­saire entre les émis­sions pos­si­bles. Ce délai peut être prob­lé­ma­tique en fonc­tion de cer­tains usages, par exem­ple si l’on veut suiv­re un con­tain­er réfrigéré, être alerté d’une panne et pou­voir réa­gir avant que la car­gai­son ne se gâte. En lançant ces 25 satel­lites, nous pou­vons réduire ce temps de latence à 10 ou 15 min­utes env­i­ron, temps qui con­vient aux usages de 90 % des objets con­nec­tés. Pour ce pro­jet, nous avons levé 100 mil­lions d’euros il y a trois ans, auprès d’investisseurs publics (CNES, BPI France, IFREMER) et privés (CLS notam­ment, de qui nous sommes ini­tiale­ment issus). Ces cap­i­taux nous per­me­t­tent de dévelop­per les satel­lites et de les lancer.

Quelle a été la genèse de Kinéis ?

Kinéis existe depuis 2018. Le pro­jet est né au sein de CLS, créé pour exploiter le sys­tème ARGOS, qui con­sis­tait en un parte­nar­i­at fran­co-améri­cain entre le CNES et la NASA. La NASA lançait des satel­lites pour ses pro­pres besoins, et sur ces satel­lites le CNES ajoutait la charge utile ARGOS, per­me­t­tant à CLS d’exploiter le sys­tème. Après plusieurs itéra­tions du pro­jet pen­dant trente ans, les agences spa­tiales sont dev­enues plus réti­centes à men­er ces opéra­tions au béné­fice final de ser­vices com­mer­ci­aux, alors que la con­cur­rence des réseaux ter­restres com­mençait à appa­raître. La ques­tion s’est donc posée, dans les années 2010, d’abandonner ou de renou­vel­er entière­ment le pro­jet. C’est dans ce con­texte que Kinéis est apparu.

Quelle est votre plus-value par rapport à ce qui précédait ?

Un ter­mi­nal ARGOS coûte entre quelques cen­taines et quelques mil­liers d’euros, et l’utilisateur paye plusieurs dizaines d’euros par mois pour avoir quelques don­nées par jour. Nos ter­minaux coû­tent moins de cent euros, pour un coût de con­nec­tiv­ité de quelques euros par mois. Les prix sont divisés par 10.
Les satel­lites coû­tent moins cher, la minia­tur­i­sa­tion pro­gresse, et le coût d’accès à l’espace est bien moin­dre que ce qu’il était auparavant.
J’ajoute que si nous ne fab­riquons pas nous-mêmes d’objets con­nec­tés, nous pro­duisons un mod­ule élec­tron­ique de petite taille qui s’intègre facile­ment dans les objets et qui con­cen­tre toutes les opéra­tions d’émission et de traite­ment de signaux.

Comment votre marché se structure-t-il ?

His­torique­ment, nos clients ont d’abord été plutôt des insti­tu­tions comme des groupes sci­en­tifiques, des autorités de pêche, des struc­tures de défense nationale. Mais de nou­velles per­spec­tives se sont ouvertes à nous. Il y a d’abord l’agriculture con­nec­tée, pour des usages comme le suivi de trou­peaux en open field en Aus­tralie (nous tra­vail­lons avec le min­istère de l’Agriculture de ce pays), l’agriculture con­nec­tée, ou le mon­i­tor­ing d’infrastructures (énergie, eau…). Par ailleurs, l’industrie représente un grand poten­tiel. Une entre­prise pro­duisant des pièces sur plusieurs points du globe et souhai­tant les assem­bler sur un seul site, va trou­ver un intérêt évi­dent à pou­voir sur­veiller la tra­jec­toire des pièces pour un coût faible. C’est ce que l’on appelle l’asset tracking.

Enfin, les enjeux cli­ma­tiques devi­en­nent de plus en plus prég­nants et provo­quent une demande en crois­sance de la part de clients insti­tu­tion­nels ou privés. Je pense par exem­ple à la sur­veil­lance de feux de forêt, sujet que nous avons beau­coup tra­vail­lé, ou à la sur­veil­lance des niveaux d’eau, de crues, des débits. Ces prob­lé­ma­tiques de préven­tion des risques vont vraisem­blable­ment devenir de plus en plus impor­tantes à l’avenir, et nous avons un vrai rôle à jouer.

Indépendamment de la technologie que vous développez, quels sont vos atouts ?

D’abord, nous nous appuyons sur les fonde­ments d’une tech­nolo­gie éprou­vés depuis une quar­an­taine d’années (le sys­tème ARGOS). Sur la par­tie spa­tiale, nous avons le sou­tien tech­nique et financier du CNES, qui est un acteur de pre­mier plan dans le domaine. S’ils exis­tent aujourd’hui des pro­jets con­cur­rents, le coût d’entrée sur le marché est très élevé, à la fois en ter­mes de temps et en ter­mes économiques. D’autre part, la présence d’investisseurs de long terme représente aus­si un atout impor­tant. Si un grand compte cherche à déploy­er 10 000 cap­teurs sur des sites partout dans le monde, il a besoin de s’assurer que l’opérateur ne dis­paraisse pas l’année suiv­ante. Et nous pou­vons juste­ment lui apporter ce type de garantie, grâce à notre action­nar­i­at solide et nos sou­tiens et parte­naires de long terme.

Quelles sont pour vous les grandes évolutions à venir dans le secteur ?

D’abord, un cer­tain nom­bre d’innovations tech­nologiques va nous per­me­t­tre de gag­n­er en per­for­mance. Par ailleurs, la fab­ri­ca­tion des télé­phones mobiles ne cesse d’évoluer, et on se dirige vers une con­ver­gence des réseaux ter­restres et satel­lites favor­able à notre développe­ment. L’avenir est prob­a­ble­ment dans une forme hybride de ces réseaux, ce que nous tra­vail­lons déjà avec des parte­naires comme Orange.

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