France Souveraineté alimentaire

Sur l’alimentaire souveraineté

Dossier : Mot du présidentMagazine N°790 Décembre 2023
Par Loïc ROCARD (X91)

Comme « Ter­ri­toires », comme « Citoyen », « Souve­raine­té » fait par­tie de ces mots qui finissent par être usés par un emploi exces­sif. De conno­ta­tion très posi­tive au départ, le carac­tère sou­ve­rain glisse vers une pos­ture défen­sive quand il est sub­stan­ti­vé et mar­te­lé, confir­mée par la colo­ra­tion par­ti­sane de sa tra­duc­tion idéo­lo­gique, le « souverainisme ».

À cet égard la ques­tion de la sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire est pro­blé­ma­tique. N’en tai­sons pas un côté cocar­dier. Au pays de la gas­tro­no­mie on entend res­ter maître de ce qu’on a dans l’assiette : on ne nous fera pas man­ger n’importe quoi, c’est d’abord là que réside la sou­ve­rai­ne­té et elle est indi­vi­duelle, si l’on peut dire. Nos 300 fro­mages, notre char­cu­te­rie à l’infini, le vin de nos ter­roirs, etc., avec leurs variantes régio­nales, sai­son­nières ou religieuses.

“La première filière industrielle française n’est ni l’automobile, l’aéronautique ou la chimie, ni encore moins le nucléaire, c’est de loin l’agroalimentaire.”

Éva­cuons ce folk­lore même s’il par­ti­cipe à notre bon­heur ordi­naire. Parce que les biens ali­men­taires sont aus­si des objets éco­no­miques quel­conques, qui empruntent la logis­tique des échanges mondia­lisés pour opti­mi­ser l’utilité de celui qui consomme, où qu’il se trouve. Alors faut-il pro­duire en France tout ce que l’on y ingère pour se pro­té­ger du mau­vais vou­loir hypo­thé­tique de ses par­te­naires commer­ciaux, même si cela frappe nos conci­toyens au por­te­feuille ? À moins que la sou­ve­rai­ne­té vou­lue soit la juste pro­tec­tion d’un modèle agri­cole hexa­go­nal deve­nu trop coû­teux pour sur­vivre tel quel ? De l’autre côté de la four­chette, faut-il concé­der une adap­ta­tion de nos menus pour aller vers plus d’autonomie, mais sur­tout vers plus d’économie des res­sources naturelles ?

Der­rière l’objectif de bon sens qui est de pro­duire assez pour les besoins de la popu­la­tion, se cache donc de la com­plexi­té et pas mal de contra­dic­tions à accep­ter. Je me sou­viens d’avoir été frap­pé, à la sor­tie d’une confé­rence envi­ron­ne­men­tale comme il s’en fai­sait pen­dant les années Hol­lande, par le com­men­taire d’un repré­sen­tant d’une asso­cia­tion que je fré­quen­tais alors : « La FNSEA a l’air satis­faite, c’est qu’on a dû se faire avoir ! » Autre­ment dit toute avan­cée agri­cole pro­cè­de­rait d’un recul pour l’environnement, et inversement.

Je doute qu’on soit com­plè­te­ment sor­ti de cette dicho­to­mie frus­trante, comme la que­relle des bas­sines tend à nous le rap­pe­ler, mais c’est là que l’ingénieur entre en jeu. N’oublions pas que la pre­mière filière indus­trielle fran­çaise n’est ni l’automobile, l’aéronautique ou la chi­mie, ni encore moins le nucléaire, c’est de loin l’agroalimentaire. Alors place aux inven­tifs, aux archi­tectes des cir­cuits courts, à l’économie cir­cu­laire et aux sub­sti­tuts natu­rels. Et place aux polytechniciens !

Il est peu dou­teux que demain et après-demain il y ait moins d’eau dis­po­nible pour l’agriculture hexa­go­nale qu’aujourd’hui. En atten­dant de perdre un jour, qui sait ? le sou­ve­nir joyeux de la juteuse Doyen­né du Comice, La Jaune et la Rouge de ce mois livre une belle poire pour la soif, celle de com­prendre le(s) problème(s). Pour la patrie, les sens et la gloire.

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