Matthieu Coutière à coté d'un appareil Air Serenity

Respirer un air sain au milieu des nuisances

Dossier : TrajectoiresMagazine N°730 Décembre 2017
Par Matthieu COUTIÈRE (91)
Par Hervé KABLA (84)

Convain­cu de la néces­si­té d’in­ter­ve­nir sur la pol­lu­tion de l’air qui crée des pro­blèmes res­pi­ra­toires, Mat­thieu Cou­tière a quit­té la grande indus­trie pour par­ti­ci­per au déve­lop­pe­ment d’une start up au moment de la phase du lan­ce­ment indus­triel d’un puri­fi­ca­teur d’air très inno­vant dont le prin­cipe a été déve­lop­pé dans les labo­ra­toires de l’X. 

Comment es-tu entré dans le domaine de la purification de l’air ?

Je n’ai pas créé l’entreprise Air Sere­ni­ty : je l’ai choi­sie. Je l’ai rejointe pour lui don­ner un nou­vel élan après sa phase de R & D. Avant mes années Air Sere­ni­ty, je diri­geais une enti­té chez Alca­tel-Lucent qui pro­po­sait des solu­tions de villes intel­li­gentes à tra­vers le monde. 

Le pro­blème de la qua­li­té de l’air était sou­vent posé par les maires, conscients du dra­ma­tique impact sani­taire de cette pol­lu­tion. J’avais donc connais­sance des enjeux socié­taux liés à ce sujet. Quand j’ai cher­ché à rejoindre une start-up, mon prin­ci­pal cri­tère était de trou­ver un pro­duit utile, qui réponde à un besoin socié­tal avec une tech­no­lo­gie réel­le­ment innovante. 

Air Sere­ni­ty répon­dait à ces cri­tères. Et, par chance, Joseph Yous­sef – le fon­da­teur – avait besoin de quelqu’un comme moi pour déve­lop­per la socié­té. Nous avons donc levé des fonds, gagné des pre­miers clients, pro­duit des pro­to­types… et nous lan­çons le pro­duit en grande série à la fin de l’année !

Qui est concerné par ce type de produit ?

Tous et sur­tout les enfants. Nous uti­li­sons au quo­ti­dien des pro­duits indus­triels qui contiennent des sol­vants bien pra­tiques, mais dont on com­mence à com­prendre la noci­vi­té : c’est la magie de la chi­mie, qui nous four­nit des par­fums, des colles, des ver­nis et des dis­sol­vants, des peintures… 

Mais ces pro­duits, en séchant, relarguent leurs sol­vants dans l’air ambiant. L’air dans les habi­ta­tions et les bureaux est en consé­quence 8 fois plus pol­lué qu’à l’extérieur. Les impacts sur la san­té sont prou­vés (asthmes, aller­gies, can­cers…) et dra­ma­tiques : 13 des enfants ont des aller­gies, alors que seule­ment 110 en avaient dans les années 1970. 

L’OMS a prou­vé que cette dégra­da­tion était liée à la pol­lu­tion de l’air. Bref, la qua­li­té de l’air est un vrai enjeu de san­té publique. 

Quelles sont les perspectives de ce marché ?

Le grand public prend conscience des enjeux, et de la dif­fi­cul­té à trou­ver des pro­duits quo­ti­diens « sains ». Le mar­ché de la puri­fi­ca­tion d’air est donc en pleine expan­sion dans l’ensemble du monde : il pèse 4 mil­liards d’euros, et croît de 15 % par an. 

13 des enfants ont des allergies, alors que seulement 110 en avaient dans les années 1970 ”

Sans comp­ter Air Sere­ni­ty, trois tech­no­lo­gies coexistent, notoi­re­ment peu effi­caces. À titre d’exemple, à mes débuts, j’ai appe­lé un hôtel, en deman­dant en sub­stance : « Auriez-vous des pro­blèmes de qua­li­té d’air ? » L’hôtel m’a répon­du : « Évi­dem­ment, mais il n’y a pas de solution ! » 

Notre tech­no­lo­gie – que l’on appelle Auro­ra en réfé­rence au plas­ma des aurores boréales – est très dif­fé­rente et lar­ge­ment plus effi­cace : le plas­ma « mouille » les adsor­bants à pol­lu­tion. Nous pro­po­sons une « éponge humide » là où nos concur­rents pro­posent une « éponge sèche », et cela entraîne un vrai saut d’efficacité.

Donc nous espé­rons que cette tech­no­lo­gie pren­dra une part signi­fi­ca­tive du marché. 

Notre ambi­tion – il faut tou­jours viser haut mais res­ter humble… – est que notre tech­no­lo­gie soit LA tech­no­lo­gie de réfé­rence dans dix ans. 

Les GAFA s’intéressent de plus en plus à la maison connectée. Comment Air Serenity se positionne face à eux ?

Les GAFA pro­posent des appli­ca­tions qui coor­donnent des appa­reils et per­mettent leur contrôle par la voix ou par des auto­ma­tismes. Nous met­trons notre appa­reil dans la liste des objets à coor­don­ner. C’est d’ailleurs dans cette optique que Ama­zon nous appelle (que ce soit les branches fran­çaise, anglaise ou amé­ri­caine…) pour nous inci­ter à mettre nos pro­duits sur leur plate-forme. 

Cela étant, notre modèle éco­no­mique actuel consiste à vendre des appa­reils, et pas les don­nées que nous col­lec­tons ; c’est là une dif­fé­rence impor­tante avec bon nombre d’acteurs « connectés ». 

Profites-tu de l’essor rapide de sociétés comme Netatmo ou Withings ?


Air Sere­ni­ty maî­trise une vraie technologie,
bre­ve­tée, dif­fi­ci­le­ment copiable

Indu­bi­ta­ble­ment ! Ces socié­tés « éduquent » le grand public aux pro­blèmes de qua­li­té de l’air : après la mesure de la tem­pé­ra­ture, elles pro­posent la mesure de la pol­lu­tion chi­mique. Les uti­li­sa­teurs découvrent donc le sujet, et en res­sortent en disant : « C’est pol­lué chez moi, mais… que faire ? » 

Nous arri­vons donc dans l’étape sui­vante de réflexion, avec une solu­tion : nous rece­vons sur notre site web bon nombre de contacts de parents qui ont « sur­veillé » la chambre de leur enfant. 

Qu’as-tu retiré d’une expérience comme le Consumer Electronic Show ?

Le CES est une expé­rience fan­tas­tique, pour res­sen­tir l’attrait du mar­ché, vali­der un prix cible, vali­der l’intérêt des dis­tri­bu­teurs. Par nature, les start-up de l’Eureka Park ont encore un pro­duit sus­cep­tible d’évoluer. Le public passe dans les allées (comme un enfant dans un maga­sin de jouets), à la recherche des inno­va­tions utiles ou amu­santes, et donne son pré­cieux avis. 

Le CES est aus­si un très bon moyen de se faire connaître, ce qui est essen­tiel avant une levée de fonds… Enfin, cela créée un esprit de groupe, une cohé­sion entre start-up, ce qui est bien agréable. 

Et du label FrenchTech ?

Le label French­Tech est extrê­me­ment utile aus­si : il est inter­na­tio­na­le­ment recon­nu que les ingé­nieurs fran­çais sont créa­tifs, de très bon niveau, plu­ri­dis­ci­pli­naires. Le label per­met de « poin­ter » les socié­tés qui ont a prio­ri cette créativité. 

Une com­mu­ni­ca­tion très effi­cace a été faite autour de cela, si bien que, au CES, les visi­teurs venaient spé­ci­fi­que­ment voir les allées de la French­Tech. Triste consé­quence, nous avons été copiés, et il y a main­te­nant d’autres Coun­try­Techs, ce qui dilue un peu notre message… 

Cela fait plus de cinq ans que Air Serenity existe.
Comment gère-t- on une start-up dans la durée ?

La téna­ci­té paye, l’entêtement tue. Une bonne par­tie de ces années a été consa­crée à la R & D, pour « finir » le pro­duit qui sor­tait des labo­ra­toires de l’X. C’est une période où il faut savoir opti­mi­ser ses dépenses, jon­gler entre l’important et l’essentiel, détec­ter rapi­de­ment les mau­vaises voies et ne pas s’entêter. Ce n’est qu’une ques­tion de bon sens frugal… 

Est-ce compatible avec le mode de croissance rapide qu’on constate aux US ?

La crois­sance rapide que l’on constate aux US est sou­vent « logi­cielle » : une idée de ser­vice appa­raît, et le but de la start-up est d’imposer sa marque avant que les concur­rents ne la copient. La start-up gran­dit grâce à des ren­forts mar­ke­ting coû­teux (qui masquent par­fois la vacui­té du service…). 

“ La ténacité paye, l’entêtement tue ”

Air Sere­ni­ty se fonde sur du maté­riel : nous maî­tri­sons une vraie tech­no­lo­gie, bre­ve­tée, dif­fi­ci­le­ment copiable. Nous pen­sons avoir plu­sieurs années d’avance tech­no­lo­gique sur nos concur­rents. Notre enjeu est donc de prendre une part signi­fi­ca­tive d’un mar­ché exis­tant ; c’est un mode de crois­sance plus lent qu’aux US, mais – j’espère – plus pérenne : vaut-il mieux être Dys­on ou Twitter ? 

La posture des climatosceptiques favorise-t-elle le type de produit que tu vends ?

Je n’aime guère cette ques­tion parce qu’elle est bonne… La réponse est clai­re­ment OUI mais l’éthique passe – pour moi – lar­ge­ment avant le busi­ness. Donc : oui, le réchauf­fe­ment cli­ma­tique – dont je pense qu’il est ampli­fié par l’attentisme des cli­ma­tos­cep­tiques – favo­rise nos pro­duits : l’air est de moins en moins sain, l’aération des bâti­ments est d’autant plus coû­teuse en cli­ma­ti­sa­tion, et d’autant moins utile… 

Donc la puri­fi­ca­tion d’air prend tout son sens. Mais je pré­fé­re­rais tel­le­ment que per­sonne n’ait besoin de notre produit… 

M. Coutière & J. Youssef au CES - Air Serenity

M. Coutière & J. Youssef - Air Serenity

Mat­thieu Cou­tière & Joseph Youssef

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