Que faut-il enseigner ? La question du socle commun

Dossier : De l'écoleMagazine N°613 Mars 2006
Par Pierre-André PÉRISSOL (66)

Certes l’é­cole a obtenu en seule­ment une généra­tion de remar­quables résul­tats : le nom­bre de bache­liers est passé de 11 % en 1960 à 63 % en 1995. Mais depuis cette date, les résul­tats stag­nent. Plus grave peut-être encore : l’é­cole s’est révélée impuis­sante à résor­ber des sit­u­a­tions d’échec sco­laire. Aujour­d’hui, 15 % des élèves sont lais­sés sur le bord de la route et 150 000 élèves sor­tent sans rien du sys­tème éducatif.

Par ailleurs, les per­for­mances des élèves français dans les éval­u­a­tions inter­na­tionales se situent tout juste dans la moyenne. Lors des deux enquêtes du Pro­gramme inter­na­tion­al pour le suivi des acquis (PISA) lancées par l’OCDE auprès des élèves de quinze ans, la France se classe au treiz­ième rang. Juste dans la moyenne, donc.

Je rap­pelle ici que l’é­val­u­a­tion PISA s’in­téresse en pri­or­ité aux com­pé­tences mobil­isant des con­nais­sances. C’est-à-dire à l’ap­ti­tude à met­tre en œuvre un cer­tain nom­bre de proces­sus fon­da­men­taux, dans des sit­u­a­tions très divers­es, aléa­toires, générale­ment dif­férentes des sit­u­a­tions sco­laires. Et ce, en s’ap­puyant sur la com­préhen­sion glob­ale de con­cepts clés plutôt que sur l’ac­cu­mu­la­tion de con­nais­sances spé­ci­fiques. Or, les per­for­mances moyennes des élèves français dans PISA s’ex­pliquent par une maîtrise insuff­isante des com­pé­tences instru­men­tales de base.

Face à cette sit­u­a­tion, il est indis­pens­able de définir une ambi­tion pour l’é­cole : celle-ci doit amen­er tous les enfants à la réus­site. Pas la même bien sûr, mais à une réus­site de base com­mune à tous — la maîtrise d’un socle com­mun de fon­da­men­taux — et une réus­site pro­pre à cha­cun — la décou­verte de sa voie d’ex­cel­lence sur laque­lle il ira le plus loin possible.

Ain­si, l’en­seigne­ment s’or­gan­is­erait autour d’un socle com­mun de fon­da­men­taux que 100 % des élèves devraient avoir acquis à l’is­sue de leur sco­lar­ité oblig­a­toire, donc à la fin du col­lège, et d’en­seigne­ments com­plé­men­taires diver­si­fiés, choi­sis comme voie pro­pre à chaque élève.

Tout passe d’abord par la déf­i­ni­tion du con­tenu du socle com­mun de fon­da­men­taux, qui regroupe les con­nais­sances mais aus­si les com­pé­tences qu’il est indis­pens­able de maîtris­er en fin d’é­cole pri­maire puis de col­lège, pour pour­suiv­re ses études quelle que soit la voie emprun­tée, pour faire face à quar­ante années de vie pro­fes­sion­nelle, pour assumer sa vie de citoyen.

C’est l’ex­er­ci­ce auquel s’est attelée une mis­sion d’in­for­ma­tion par­lemen­taire que j’ai eu l’hon­neur de présider, qui a large­ment audi­tion­né, et dont le rap­port est con­sultable sur http://www.assemblee-nationale.fr/ 12/rap-info/i2247.asp.

Nous avons tout d’abord souhaité insis­ter sur le fait que si les con­nais­sances sont évidem­ment indis­pens­ables et leur acqui­si­tion une pri­or­ité, les capac­ités à utilis­er les­dites con­nais­sances sont déterminantes.

Atten­tion ! Il ne s’ag­it pas d’op­pos­er con­nais­sances et com­pé­tences ! Les sec­on­des se dévelop­pant au tra­vers de l’ap­pren­tis­sage des pre­mières, cette pseu­do-rival­ité est absurde. Toute­fois, telle ou telle com­pé­tence ne peut se dévelop­per que si elle con­stitue une pri­or­ité explicitée.

Prenons pour exem­ple l’ac­qui­si­tion de la lec­ture et de l’écri­t­ure, sorte de b.a.-ba essen­tiel puisqu’elle con­di­tionne les autres acqui­si­tions. Il y a les con­nais­sances — savoir par­ler, lire et écrire — et les com­pé­tences — pou­voir com­mu­ni­quer dans sa langue. Et ain­si, pou­voir met­tre en mots sa pen­sée, com­pren­dre que l’on peut domin­er ses émo­tions, écouter l’autre, com­mu­ni­quer de façon appro­priée dans des con­textes var­iés, orale­ment ou par écrit, choisir un lan­gage per­ti­nent en ten­ant compte de l’in­ten­tion, du con­texte et des des­ti­nataires, ajuster la com­mu­ni­ca­tion en fonc­tion de la réac­tion de l’autre, for­muler ses argu­ments ou un ques­tion­nement, etc.

Il est ressor­ti des audi­tions et des témoignages recueil­lis une pri­or­ité accordée à cer­taines com­pé­tences sur lesquelles l’ac­cent n’au­rait prob­a­ble­ment pas été mis à ce point voici seule­ment quelques années. Après le savoir com­mu­ni­quer dans sa langue, en voici quelques exemples :

Savoir travailler en équipe, coopérer avec autrui, “vivre ensemble”.

Il s’ag­it notam­ment de la capac­ité d’é­couter et de respecter le point de vue de l’autre, d’ex­primer et de faire-val­oir son opin­ion de façon con­struc­tive, de tra­vailler en équipe et en réseau, de con­tribuer à résoudre un con­flit. Bref, d’at­tein­dre un objec­tif en con­juguant les forces de cha­cun. Ce qui passe par la com­préhen­sion des codes de con­duite et des usages dif­férents des siens propres.

Se forger un esprit critique, savoir valider, analyser, trier l’information.

Il s’ag­it là de savoir tenir compte des faits, de faire la part de ses émo­tions, de recourir à l’ar­gu­men­ta­tion logique, de rel­a­tivis­er ses con­clu­sions en fonc­tion du con­texte, d’ac­cepter de faire une place au doute. Ici, l’ap­pren­tis­sage des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion (TIC) prend tout son sens : out­re les indis­pens­ables con­nais­sances tech­niques, c’est l’ap­ti­tude à rechercher, valid­er et tri­er l’in­for­ma­tion que l’on apprend.

Savoir se repérer dans le temps et l’espace.

Tout élève achevant sa sco­lar­ité oblig­a­toire doit savoir se repér­er dans le fonc­tion­nement de la société qui l’en­toure, dans l’e­space géo­graphique, his­torique, cul­turel, insti­tu­tion­nel français, européen, mon­di­al. L’ob­jec­tif général est de for­mer des citoyens adap­tés à leur temps et leur envi­ron­nement, avec une vision claire du monde dans lequel ils vivent.

Développer son potentiel à apprendre.

Ce sont les apti­tudes à se motiv­er face à la démarche d’ap­pren­dre, à auto-éval­uer sa pro­pre capac­ité à réalis­er une tâche, à organ­is­er son tra­vail, à avoir acquis un cer­tain degré d’au­tonomie. Mais aus­si à dévelop­per un bon niveau d’es­time de soi.

Savoir assumer ses responsabilités, participer, s’impliquer, s’engager, s’orienter, mener un projet.

Il s’ag­it là d’une recon­nais­sance de l’in­térêt général, de l’ac­cep­ta­tion de devoirs au-delà des droits. Mais aus­si de la capac­ité à se pren­dre en charge, à s’en­gager, à pren­dre des déci­sions et à les assumer, à choisir, à pren­dre des initiatives.

Bien évidem­ment, les com­pé­tences que je cite n’en­lèvent rien au rôle pri­mor­dial des con­nais­sances. Elles vont de pair et de con­cert avec la néces­sité pour tous les élèves de maîtris­er cor­recte­ment les savoirs fondamentaux.

Et surtout, ces com­pé­tences s’ac­quièrent au tra­vers des appren­tis­sages effec­tués dans les dif­férentes matières. Qu’il s’agisse de la langue orale, écrite, des dis­ci­plines sci­en­tifiques, mais aus­si tech­nologiques, his­toriques, sportives ou artis­tiques. Encore faut-il décloi­son­ner les dis­ci­plines… Mais là-dessus, le con­stat est presque unanime.

Il faut égale­ment veiller à val­oris­er les divers­es formes d’in­tel­li­gence. La cul­ture sco­laire est encore très mar­quée par une dom­i­nante intel­lectuelle, priv­ilé­giant l’ab­strac­tion au risque de rejeter un grand nom­bre. Toutes les autorités sci­en­tifiques audi­tion­nées ont insisté avec force pour rééquili­br­er les approches induc­tives et déduc­tives, pour pren­dre en compte les intel­li­gences tech­niques et manuelles, pour faire plus appel à la créa­tiv­ité, à l’innovation.

Et puis, si l’on veut que ces con­tenus soient réelle­ment acquis par tous les élèves à l’is­sue de leur sco­lar­ité oblig­a­toire, il sera indis­pens­able de per­son­nalis­er les temps et les modes d’ap­pren­tis­sage. Les enfants sont dif­férents dans le rythme de leur pro­gres­sion, dans les ressorts de leur moti­va­tion, dans leur matu­rité, dans leurs talents.

Or, l’é­cole prend insuff­isam­ment en compte cette diver­sité, notam­ment de rythme. L’ac­qui­si­tion du socle com­mun con­sti­tu­ant la pri­or­ité, chaque élève doit pou­voir con­sacr­er, à l’in­térieur du cadre sco­laire, le temps qui lui est néces­saire pour en acquérir une maîtrise cor­recte. Per­son­nal­i­sa­tion des temps d’ap­pren­tis­sage, mais aus­si per­son­nal­i­sa­tion des pra­tiques péd­a­gogiques pour tenir compte des divers­es formes d’intelligence.

Enfin, je suis con­va­in­cu que la déf­i­ni­tion des “savoirs enseignés à l’é­cole” devra être con­certée pour être partagée : c’est la con­di­tion pour qu’elle soit demain mise en œuvre. Dès lors, la déf­i­ni­tion du con­tenu du socle fon­da­men­tal com­mun devra recevoir une légitim­ité démoc­ra­tique. Il s’ag­it là de ce que la Nation demande à son école de trans­met­tre à tous ses enfants. On touche là à la com­péti­tiv­ité de notre économie, à la cohé­sion de notre société, à l’avenir de notre pays, à l’i­den­tité de notre Nation. Le Par­lement a donc par­ti­c­ulière­ment voca­tion à en débat­tre et à en valid­er les grands éléments

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