Quatre récitals de Lang Lang

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°740 Décembre 2018
Par Marc DARMON (83)

Au Royal Albert Hall, à Versailles, Gershwin, Liszt

Le Chi­nois Lang Lang est désor­mais un des pianistes les plus célèbres au monde. Il est aus­si un des artistes clas­siques les plus présents en vidéo et nous allons ain­si com­menter plusieurs pub­li­ca­tions récentes de ce qu’il faut bien appel­er un phénomène.

Il est bien con­nu que l’école chi­noise de piano forme tous les ans des mil­lions de pianistes, et il est sta­tis­tique­ment naturel que nom­bre de ces pianistes fassent une grande car­rière inter­na­tionale. Sont très demandés et enreg­istrent très régulière­ment trois d’entre eux : Yun­di Li (appelé désor­mais sim­ple­ment Yun­di), l’impressionnante Yuja Wang et Lang Lang. Tous les trois ont la car­ac­téris­tique de com­bin­er très grande vir­tu­osité et véri­ta­ble sen­ti­men­tal­ité. Mais Lang Lang est celui qui pousse ces spé­ci­ficités le plus loin. Il débute le piano à deux ans à peine, après avoir vu le fameux Bugs Bun­ny mas­sacr­er la Sec­onde Rhap­sodie de Liszt, et se pro­duit pour son pre­mier réc­i­tal à cinq ans.

Un élé­ment com­mun à tous les DVD com­men­tés ici est que ce qu’il y a à voir est aus­si impres­sion­nant que ce que l’on entend. Véri­ta­ble show­man, Lang Lang attache une très grande impor­tance à son atti­tude, son allure, l’éclairage, la mise en scène de son jeu, ses inter­ac­tions avec le pub­lic, les cadres dans lesquels il se fait filmer. Tan­tôt le regard dans le vide soigneuse­ment tra­vail­lé, tan­tôt les yeux fer­més sem­blant chercher sa con­cen­tra­tion au fond de son cœur, tan­tôt cabotin souri­ant prenant par les yeux le pub­lic à témoin, alter­nant vir­tu­osité infer­nale et sen­ti­men­tal­ité par­fois à la lim­ite du mau­vais goût, il fait qu’on ne peut rester indif­férent à ses concerts.

Bien sûr, tout cela ne serait qu’accessoire, voire anec­do­tique, s’il n’y avait une incroy­able qual­ité musi­cale. Le pre­mier DVD où l’on a ren­con­tré Lang Lang est celui des for­mi­da­bles mas­ter class­es que Daniel Baren­boïm a réal­isé il y a dix ans sur les sonates de Beethoven auprès de jeunes promet­teurs (il y avait égale­ment David Kadouch et Jonathan Biss, belle bro­chette de futures stars). Il faut voir Baren­boïm médusé regarder Lang Lang jouer un mou­ve­ment entier de la Sonate Appas­sion­a­ta, lui tour­nant les pages de la par­ti­tion, avant de dire « c’est très beau, très intéres­sant, vous apportez couleur et grandeur, mais ce n’est pas du tout ça… » et de repren­dre le même mou­ve­ment en faisant presque sys­té­ma­tique­ment le con­traire des effets de Lang Lang. Lang Lang recon­naît qu’en Chine on tra­vaille beau­coup la vir­tu­osité dig­i­tale, mais pas le style.

Dans son con­cert au Roy­al Albert Hall de Lon­dres, Lang Lang a choisi unique­ment Mozart (trois sonates) et Chopin (4 bal­lades). Ce DVD est peut-être celui qui représente le plus ce que Lang Lang apporte à la vie musi­cale aujourd’hui, sa capac­ité à rem­plir et ren­dre silen­cieuse une telle salle, créer une véri­ta­ble hys­térie lors des applaud­isse­ments et des bis (une marche turc dia­bolique), un choix de réper­toire on ne peut plus clas­sique mais avec une façon de jouer mod­erne au sens où elle attire à la musique de nou­veaux audi­teurs. Mod­erne ? Pas si sûr. En fait, on se prend à penser, pen­dant la par­tie Mozart et la par­tie Chopin de ce con­cert, que ce mélange de vir­tu­osité extraver­tie, de sen­ti­men­tal­ité séduc­trice, voire de caboti­nage n’est peut-être pas si loin de ce que devaient être Chopin et Mozart jouant leurs pro­pres œuvres, Mozart pour impres­sion­ner la cour de Vienne, Chopin pour faire som­br­er les auditri­ces des salons parisiens.

Impres­sion­nant égale­ment le con­cert entière­ment filmé dans la galerie des Glaces de Ver­sailles (Scher­zos de Chopin et Les Saisons de Tchaïkovs­ki), le con­cert de 2010 à Vienne où Lang Lang mélange un Beethoven mûri, Iberia d’Albéniz et l’injouable Sep­tième Sonate de Prokofiev. Très recom­mandé aus­si le DVD Gersh­win à la gloire de New York (avec du Bern­stein et du Cop­land !), filmé de façon extrême­ment mod­erne au Lin­coln Cen­ter. Et que dire du con­cert Liszt pyrotech­nique (une Cam­panel­la d’anthologie, un Sospiro mag­nifique­ment maniéré, une Séré­nade de Schu­bert émou­vante, etc.) très impressionnant ?

Un artiste à part, décidément !



Qua­tre DVD ou Blu-ray Sony 

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