Musiques jubilatoires pour un été à venir

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°566 Juin/Juillet 2001Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Chabrier

Chabrier

L’on éprouve par­fois le besoin irré­sis­tible de renon­cer à toute lec­ture sérieuse, y com­pris celle du jour­nal du soir, pour lire Pierre Dac, Alphonse Allais ou San Anto­nio ; de même il est des moments où il nous faut une musique qui nous détende et nous diver­tisse, ou plus pré­ci­sé­ment nous amuse. Et si nous gar­dons en toute cir­cons­tance cette exi­gence qui fait que nous ne sau­rions nous résoudre, quoi qu’il arrive, à écou­ter une musique que nous pour­rions mépri­ser, alors la solu­tion est toute trou­vée : Chabrier.

Cet auto­di­dacte, anti-aca­dé­miste, est le type même du musi­cien à la fois tru­cu­lent et sub­til, popu­laire et raf­fi­né, que l’on joue­rait aus­si bien dans un kiosque à musique que dans une salle de concert, qui fait le bon­heur d’une fan­fare muni­ci­pale comme celui d’une socié­té de musique. Et pour­tant ce contem­po­rain de Brahms a influen­cé aus­si bien Ravel et Debus­sy que Pou­lenc. C’est que pour cet Auver­gnat, lui-même per­son­nage hénaurme, la musique était un élé­ment de la simple joie de vivre, insé­pa­rable de la ten­dresse et de l’humour.

Michel Plas­son et l’Orchestre du Capi­tole de Tou­louse ont enre­gis­tré quelques-unes des œuvres les plus carac­té­ris­tiques de Cha­brier, les unes popu­laires et bien connues comme España, Bour­rée fan­tasque, Joyeuse Marche, les autres rares comme À la Musique ou le Lar­ghet­to pour cor et orchestre1. Un peu comme un film de Frank Capra, un remède infaillible contre la moro­si­té ou sim­ple­ment le vague à l’âme, à écou­ter avec une tar­tine beur­rée, du sau­cis­son, et un vin rouge sym­pa­thique et franc.

Samson François

Oui, Sam­son Fran­çois peut lui aus­si géné­rer la joie au pre­mier degré, lorsqu’il joue de manière enle­vée, sans ruba­to, sans roman­tisme, des œuvres propres à sus­ci­ter l’enthousiasme, comme le Troi­sième et le Cin­quième Concer­to de Pro­ko­fiev, les deux Concer­tos de Liszt, et même le Concer­to de Schu­mann, enre­gis­trés en 1959 et 1963 avec l’Orchestre Natio­nal et le Phil­har­mo­nia2. Les deux Concer­tos de Liszt sont joués comme ce qu’ils sont, des œuvres héroïques, faites pour mettre en valeur la vir­tuo­si­té de l’interprète, mais non dépour­vues de recherche… et de trouvailles.

Les concer­tos de Pro­ko­fiev sont d’une autre eau, deux arché­types de la “ Nou­velle sim­pli­ci­té ”, dont l’un, le Troi­sième, est un des grands concer­tos du XXe siècle : thèmes superbes, chan­tants, pia­no à la fois per­cu­tant et lyrique, orches­tra­tion très fine ; Sam­son Fran­çois le joue mieux que qui­conque, y com­pris Mar­tha Arge­rich, et lui confère ce carac­tère de joie dure et réso­lue qui nous transporte.

Quant au Concer­to de Schu­mann, c’est le concer­to roman­tique par excel­lence, d’abord sombre et fié­vreux et qui se ter­mine dans la joie. Sam­son Fran­çois, qui appa­rem­ment l’aimait avec réserve, l’expédie avec panache sur un tem­po inha­bi­tuel­le­ment rapide. Du coup, c’est un autre concer­to, brillant, enle­vé, joyeux d’un bout à l’autre.

Deux disques de Skarbo

À l’heure où l’édition dis­co­gra­phique fait l’objet, comme toutes les indus­tries “du conte­nu”, de concen­tra­tions à l’échelle mon­diale, la per­sé­vé­rance de notre cama­rade Jean-Pierre Ferey qui, à la tête de Skar­bo, est un des der­niers édi­teurs fran­çais et indé­pen­dants, mérite un grand coup de cha­peau. D’autant qu’il per­siste à avan­cer hors des sen­tiers bat­tus, comme en témoignent les deux der­niers disques de Skar­bo : les deux Qua­tuors de Jean Mar­ti­non3, par le Qua­tuor Ravel, et Flûte Pano­ra­ma, un flo­ri­lège de pièces pour flûte seule par Michel Debost4.

Jean Mar­ti­non est sur­tout connu comme l’un des grands chefs fran­çais de l’après-guerre. Son Qua­tuor n° 1 est une œuvre sin­gu­lière et magni­fique, poly­to­nale plus qu’atonale, assez dans l’esprit des qua­tuors de Bar­tok et de ceux de Chos­ta­ko­vitch. Le second est dodé­ca­pho­nique, d’un abord plus dif­fi­cile, mais non sans charme.

Michel Debost, un des très grands flû­tistes fran­çais avec Jean-Pierre Ram­pal et Maxence Lar­rieu, joue un très joli choix d’œuvres fran­çaises – Debus­sy, Honeg­ger, Ibert, Koe­chlin, Joli­vet, Oha­na, et aus­si Fer­roud et Boz­za, tous les deux beau­coup moins connus – qui toutes ont un élé­ment en com­mun : elles sont, au sens propre du terme, jubilatoires.

Bien sûr, la flûte, au timbre chaud et évo­ca­teur (agreste, antique, etc.), et le jeu clair de Michel Debost, y sont pour beau­coup. Mais aus­si, des com­po­si­teurs aus­si dif­fé­rents que Debus­sy et Honeg­ger ont clai­re­ment confié à la flûte des œuvres qui ne témoi­gnaient ni de leur inquié­tude méta­phy­sique ni de leur mal-être. Et nous pre­nons, à entendre ces œuvres, autant de plai­sir qu’ils ont dû en éprou­ver à les composer.

Vive la flûte !

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1. 2 CD EMI 5 74336 2.
2. 2 CD EMI 5 74324 2.
3. 1 CD SKARBO SK 4002.
4. 1 CD SKARBO SK 1993.

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