Les pays en développement face au changement climatique

Dossier : Environnement : les relations Nord SudMagazine N°647 Septembre 2009
Par Jean LAMY

REPÈRES

REPÈRES
En 1997, la Con­ven­tion de Kyoto rat­i­fiée par 176 pays fix­ait des objec­tifs chiffrés de réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2012 pour 40 pays indus­tri­al­isés, dits de l’annexe 1 (et l’Union européenne dans son ensem­ble), l’objectif glob­al pour ces pays étant une réduc­tion de 5,2 % en 2012 par rap­port à 1990. Pour la péri­ode d’après 2012, un nou­veau régime inter­na­tion­al de lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique doit être arrêté fin 2009 lors de la 15e Con­férence des Par­ties de la Con­ven­tion-cadre des Nations unies pour le change­ment cli­ma­tique (CCNUCC) à Copenhague. 

La Con­ven­tion-cadre de 1992 pro­pose comme objec­tif de ” main­tenir un niveau de con­cen­tra­tion de gaz à effet de serre dans l’at­mo­sphère qui per­me­tte d’éviter toute inter­férence anthropique dan­gereuse sur le sys­tème cli­ma­tique ” : l’in­térêt de tous est d’éviter que la planète fran­chisse un seuil de réchauf­fe­ment moyen dan­gereux, estimé aujour­d’hui par les sci­en­tifiques à 2 °C, par rap­port au niveau préin­dus­triel. L’at­ten­tion se focalise toute­fois sur les marges de réduc­tion des émis­sions par­ti­c­ulières des États, ou de groupes d’É­tats, avec des con­sid­éra­tions économiques et poli­tiques qui pèsent face aux préoc­cu­pa­tions écologiques.

Les engage­ments financiers des pays dévelop­pés seront déterminants

Par­mi les pays indus­tri­al­isés, soumis à des objec­tifs chiffrés de réduc­tion à moyen terme, le débat est vif sur la com­pa­ra­bil­ité des efforts, notam­ment entre l’U­nion européenne et les États-Unis. Mais quand bien même ces pays se met­traient d’ac­cord sur des objec­tifs très ambitieux, cela ne sera pas suff­isant par rap­port à ce qui est néces­saire, d’un point de vue physique, pour attein­dre l’ob­jec­tif glob­al, si les autres pays ne réduisent pas égale­ment leurs émissions.

D’où la néces­sité d’as­soci­er le reste du monde, c’est-à-dire des ” pays en développe­ment “. Il est donc impor­tant, avant Copen­h­ague, d’avoir une vision claire et dif­féren­ciée des émis­sions rel­a­tives des uns et des autres, ain­si que de leur sit­u­a­tion respec­tive dans la négo­ci­a­tion. Car la négo­ci­a­tion sur le cli­mat, non sans rap­pel­er le dia­logue Nord-Sud de la fin du siè­cle dernier, tend aujour­d’hui à se cliv­er entre pays dévelop­pés et pays en développement.

Une situation spécifique et contrastée

La part des pays en développe­ment dans les émis­sions mon­di­ales de GES (28 MMt CO2 en 2006) est encore rel­a­tive­ment faible par rap­port à celle de la quar­an­taine de pays indus­tri­al­isés et en tran­si­tion de l’an­nexe 1 : ces derniers représen­tent encore 46 % des émis­sions et seule­ment 20 % de la pop­u­la­tion mon­di­ale ; les quelque 150 autres pays (80 % de la pop­u­la­tion mon­di­ale) représen­tent donc 54 % des émis­sions. Mais les pays en développe­ment ne for­ment pas un bloc homogène du point de vue des émis­sions. La sit­u­a­tion dif­fère grande­ment selon les pays et la réal­ité des chiffres oblige à dis­tinguer les grands pays émer­gents des autres pays en développe­ment. Par exem­ple, si l’on ajoute aux pays du G 8 (dont l’U­nion européenne, qui représente 14 % des émis­sions mon­di­ales), le vol­ume d’émis­sions du groupe des cinq pays émer­gents qui leur sont asso­ciés régulière­ment depuis quelques années (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Mex­ique), les émis­sions de cet ensem­ble à treize dou­blent et représen­tent près de 80 % des émis­sions mondiales.

La Chine et les États-Unis

On peut illus­tr­er cette sit­u­a­tion par­ti­c­ulière en men­tion­nant, par exem­ple, les deux pre­miers émet­teurs de GES aujour­d’hui, la Chine et les États-Unis, qui émet­tent cha­cun 20 % des émis­sions mon­di­ales, et qui sont pour­tant dans des sit­u­a­tions très dif­férentes dans la négo­ci­a­tion cli­mat : en Chine, pays non-annexe 1, les émis­sions ont aug­men­té de 152 % entre 1990 et 2006, tan­dis qu’aux États-Unis, pays de l’an­nexe 1, elles aug­men­taient de 17 % (l’Eu­rope des Vingt-Sept ayant vu pour sa part ses émis­sions baiss­er de 2 % pen­dant la même péri­ode). Ces dif­férences sont encore plus mar­quées lorsqu’on con­sid­ère les émis­sions de GES par habitant.

Répar­ti­tion par habitant
En 2006, la moyenne des émis­sions de CO2 par habi­tant dans les pays indus­tri­al­isés de l’an­nexe 1 s’étab­lis­sait à 16,1 t de CO2, soit env­i­ron qua­tre fois celle des pays non-annexe 1, pour une moyenne mon­di­ale de 4,3 t. Les com­para­isons par pays sont égale­ment instruc­tives : un Améri­cain émet encore 14 fois plus de GES qu’un Indi­en, 3,5 fois plus qu’un Chi­nois, 2 fois plus qu’un Européen (8,1 t de CO2 — chiffres 2006, source AIE). Avec 6,2 t de CO2, un Français émet certes trois fois moins qu’un habi­tant des États-Unis et 25 % de moins que la moyenne européenne (grâce notam­ment au parc élec­tronu­cléaire), mais encore six fois plus qu’un Indi­en et env­i­ron un tiers de plus que la moyenne mondiale.

Les émis­sions, en chiffres bruts ou par habi­tant, sont donc très dif­féren­ciées, non seule­ment entre pays indus­tri­al­isés et pays en développe­ment, mais aus­si au sein de cha­cun de ces deux groupes. Géo­graphique­ment, par­mi les pays en voie de développe­ment, plusieurs zones et pays appa­rais­sent dans des sit­u­a­tions spé­ci­fiques, dont la négo­ci­a­tion cli­mat ne peut pas faire abstrac­tion : l’Afrique con­tribue à moins de 8 % des émis­sions mon­di­ales, l’Amérique latine à 10,3 %, le Moyen-Ori­ent à près de 4 %, l’Asie étant dans une sit­u­a­tion con­trastée avec le cas par­ti­c­uli­er de la Chine (20 % des émis­sions), alors que les émis­sions du reste du con­ti­nent asi­a­tique sont rel­a­tive­ment peu importantes.

Un système de négociation différencié

Ces dif­férences mar­quées des niveaux d’émis­sions entre les pays, reflet de leur développe­ment économique, ne cor­re­spon­dent que très impar­faite­ment à la façon dont la négo­ci­a­tion sur le cli­mat est organ­isée à l’ONU, qui con­naît prin­ci­pale­ment, d’une part, comme on l’a vu plus haut, les pays indus­tri­al­isés et en tran­si­tion, soumis à des objec­tifs de réduc­tion à moyen terme de leurs émis­sions, d’autre part les pays en développe­ment, non soumis à de tels objec­tifs à moyen terme mais appelés à pren­dre d’autres formes d’engagement.

En Chine, les émis­sions ont aug­men­té de 152% entre 1990 et 2006

L’or­gan­i­sa­tion des négo­ci­a­tions en deux groupes con­duit de fait à accentuer le cli­vage entre pays en développe­ment et pays dévelop­pés, en gom­mant les dif­férences au sein de cha­cun des deux groupes, et en dilu­ant l’ex­i­gence d’une action com­mune équitable­ment répar­tie pour faire face à l’ob­jec­tif glob­al, qu’il s’ag­it vrai­ment de trans­former en objec­tif com­mun pour tous les pays, avec des formes d’en­gage­ment et d’ac­tion dif­féren­ciées suiv­ant la sit­u­a­tion spé­ci­fique de chaque pays.

Les pays les moins avancés

L’or­gan­i­sa­tion des travaux
L’ONU a créé deux groupes de dis­cus­sion dis­tincts : d’une part un groupe de tra­vail ad hoc chargé d’ex­am­in­er les engage­ments d’at­ténu­a­tion des pays ” Annexe I ” au titre du pro­to­cole de Kyoto (pays indus­tri­al­isés et en tran­si­tion ayant rat­i­fié le pro­to­cole) pour la péri­ode post-2012, et, d’autre part, un ” groupe de tra­vail sur les actions coopéra­tives de long terme “, ayant pour objet de définir un nou­veau régime glob­al de lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique, qui a voca­tion à s’ap­pli­quer à l’ensem­ble de la com­mu­nauté inter­na­tionale et dans lequel les pays en développe­ment sont invités à pren­dre des formes d’en­gage­ment spé­ci­fiques. Ce futur régime, qui s’ap­puiera sur la base juridique de la CCNUCC, pour­rait englober ou se sub­stituer au pro­to­cole de Kyoto. Les sujets dont doivent dis­cuter les Par­ties sont regroupés en 5 ” blocs ” : vision partagée, atténu­a­tion (c’est-à-dire réduc­tion des émis­sions), adap­ta­tion au change­ment cli­ma­tique, tech­nolo­gie et financement.

Les pays en développe­ment ne sont pas tous dans la même sit­u­a­tion face au change­ment cli­ma­tique. S’agis­sant de l’at­ténu­a­tion (la réduc­tion des émis­sions), les grands pays émer­gents représen­tent aujour­d’hui une part sig­ni­fica­tive dans le ” bud­get glob­al des émis­sions “, tan­dis que le vol­ume d’émis­sions reste mar­gin­al pour un nom­bre impor­tant d’autres pays en développe­ment. Cette dif­féren­ci­a­tion appa­raît égale­ment s’agis­sant de l’adap­ta­tion aux effets du change­ment cli­ma­tique, face auquel tous les pays en développe­ment ne sont pas égaux. Il suf­fit de penser à la sit­u­a­tion de cer­tains pays dans la caté­gorie des Pays moins avancés (PMA) qui, sans même avoir atteint un niveau d’ac­cès aux ressources énergé­tiques mod­ernes per­me­t­tant d’ac­célér­er le développe­ment, ont à faire face à la déser­ti­fi­ca­tion et à la raré­fac­tion des ressources en eau, avec tout ce qui en résulte. Ou encore au groupe des petits États insu­laires, pour qui un réchauf­fe­ment glob­al de 1 °C seule­ment men­ace la survie même, et non seule­ment le proces­sus de développe­ment. Ain­si, cer­tains pays en développe­ment, dont les émis­sions sont mar­ginales dans l’ef­fet de serre, sont plus vul­nérables aux effets du change­ment cli­ma­tique que d’autres pays — en développe­ment ou dévelop­pés : le futur régime inter­na­tion­al sur le cli­mat devra en tenir compte.

Répondre de façon équilibrée

Le prin­ci­pal enjeu reste de ” décar­bon­er ” davan­tage les économies des pays dévelop­pés et d’aider les pays en développe­ment à adopter des chemins de crois­sance moins inten­sifs en car­bone tout en aidant les PMA à s’adapter au change­ment cli­ma­tique. Cela sup­pose d’obtenir une vision partagée par tous de la néces­sité de lim­iter le réchauf­fe­ment à moins de 2 °C par rap­port à l’époque préin­dus­trielle, ce qui sig­ni­fie attein­dre le plus tôt pos­si­ble un ” pic mon­di­al des émis­sions ” et réduire celles-ci d’i­ci 2050 d’au moins 50 %. Autre préreq­uis : un engage­ment de tous les pays à s’en­gager résol­u­ment sur des plans de développe­ment moins inten­sifs en car­bone, avec des mesures qui puis­sent faire l’ob­jet de proces­sus de report­ing et de véri­fi­ca­tion. Pour les pays dévelop­pés, les objec­tifs seront une réduc­tion de leurs émis­sions de 25 à 40 % d’i­ci 2020 ; pour les pays en développe­ment, ils seront de faire évoluer la tra­jec­toire ten­dan­cielle de leurs émissions.

La notion fon­da­men­tale d’équili­bre doit être au cen­tre des négo­ci­a­tions des prochains mois. Tout d’abord équili­bre entre les engage­ments des pays dévelop­pés et ceux des pays en développe­ment, ce qui sup­pose de trou­ver un autre équili­bre — s’agis­sant des vol­umes d’émis­sions — entre les respon­s­abil­ités passées, la sit­u­a­tion actuelle et les ten­dances d’émis­sions des prochaines années. Mais cette recherche d’équili­bre spa­tial et tem­porel doit aus­si se traduire par une juste répar­ti­tion entre les ques­tions de lim­i­ta­tion des émis­sions (l’atténu­a­tion) et celles rel­a­tives à l’adap­ta­tion au change­ment cli­ma­tique. Ensuite équili­bre, voire équité, entre les efforts respec­tifs pour la mise en place d’une économie bas car­bone, ain­si que dans les mécan­ismes de finance­ment du régime à met­tre en place à par­tir de 2013.

Tous les pays en développe­ment ne sont pas égaux face à l’adaptation aux effets du change­ment climatique

À cet égard, les engage­ments financiers des pays dévelop­pés, et sans doute aus­si des pays émer­gents, pour accroître la sol­i­dar­ité avec les plus vul­nérables, seront déter­mi­nants pour obtenir un accord.

Ces dif­férents équili­bres résul­teront pour l’essen­tiel des com­pro­mis qui seront trou­vés entre les pays dévelop­pés (“ annexe 1 ”) et les pays en développe­ment. Il est essen­tiel d’avoir une vision fine de leurs sit­u­a­tions et de leurs besoins si l’on souhaite par­venir à Copen­h­ague à un accord sat­is­faisant engageant le monde vers le nou­veau par­a­digme énergie-cli­mat néces­saire pour assur­er la dura­bil­ité du développe­ment et du bien-être économique et social.

Un socle indispensable
Le principe des respon­s­abil­ités com­munes mais dif­féren­ciées en fonc­tion du niveau de développe­ment et d’émis­sions sera à la base de l’ac­cord glob­al : si l’ef­fort des pays indus­tri­al­isés doit être accru, celui des émer­gents doit être encour­agé ; les dif­férences entre pays en développe­ment, notam­ment sur le critère du PIB, devront être pris­es en compte dans leur con­tri­bu­tion à l’ef­fort col­lec­tif ; une véri­ta­ble sol­i­dar­ité devra s’in­stau­r­er avec les pays les plus vul­nérables au change­ment cli­ma­tique, avec des actions ren­for­cées et des finance­ments accrus pour l’adap­ta­tion et pour favoris­er le déploiement et le trans­fert des tech­nolo­gies, ces finance­ments devant venir, en par­tie, en com­plé­ment de l’aide publique au développe­ment tra­di­tion­nelle, ain­si qu’à tra­vers de nou­veaux mécan­ismes de financement.

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