Les plus grandes agglomérations en 2000

Les mégapoles du monde : quelques repères

Dossier : Les mégapolesMagazine N°606 Juin/Juillet 2005Par : Jean-Paul LANLY (57), ingénieur général honoraire du GREF

Les dénom­i­na­tions et déf­i­ni­tions util­isées en français pour les ” très grands étab­lisse­ments humains ” et leur développe­ment sont var­iées. En intro­duc­tion de son arti­cle “Réseaux et mégapoles : les nou­veaux défis” que l’on trou­vera plus avant dans ce numéro, Gabriel Dupuy passe en revue cer­taines d’en­tre elles : métro­pole, métrop­o­li­sa­tion, méga­pole, conur­ba­tion, aux­quelles on pour­rait ajouter méga­lopoles, méga­lopo­lis, ou même “métapo­lis ” (ce qui va au-delà de la ville, du cen­tre-ville). Nous nous en sommes tenus au terme de méga­pole calqué sur le terme util­isé par les anglo­phones de megacities.

TABLEAU 1
Évo­lu­tion des pop­u­la­tions totale et urbaine mondiales
Monde — Régions Pop­u­la­tion (mil­lards d’habitants) Accroisse­ment annuel (%)
1950 1975 2000 2015 1950–2000 2000–2015
POPULATION TOTALE
MONDE 2,52 4,07 6,06 7,21 1,75 1,17
Pays dévelop­pés 0,81 1,05 1,19 1,21 0,76 0,11
Pays en voie de développe­ment (PVD) 1,71 3,02 4,87 5,99 2,10 1,39
(dont) Pays moins avancés (PMA) 0,20 0,35 0,67 0,96 2,44 2,43
POPULATION URBAINE
MONDE 0,75 1,54 2,86 3,87 2,68 2,04
Pays dévelop­pés 0,45 0,73 0,90 0,95 1,40 0,36
Pays en voie de développe­ment (PVD) 0,30 0,81 1,96 2,92 3,73 2,69
(dont) Pays moins avancés (PMA) 0,01 0,05 0,17 0,33 5,02 4,52

Le seuil de pop­u­la­tion le plus sou­vent pro­posé est de 8 mil­lions d’habi­tants (c’est celui adop­té par les Nations unies), par­fois 10 mil­lions, par­fois seule­ment 5 mil­lions. Comme toutes les lim­ites, ces seuils sont utiles, notam­ment pour une com­préhen­sion glob­ale du phénomène de “mégapoli­sa­tion”, mais ils sont aus­si quelque peu arti­fi­ciels et arbi­traires, et devraient être mod­ulés en fonc­tion en par­ti­c­uli­er de l’époque et de la région con­sid­érées. Nous ver­rons d’ailleurs dans ce numéro qu’il est par­fois dif­fi­cile de dis­tinguer ce qui est spé­ci­fique aux très grandes aggloméra­tions ayant une pop­u­la­tion supérieure à ces seuils, de ce qui est com­mun à toutes les grandes agglomérations.

Une mégapolisation rapide

Le développe­ment rapi­de du proces­sus de “mégapoli­sa­tion” a sus­cité la créa­tion aux niveaux nation­al et inter­na­tion­al de groupes d’é­tude et de recherche spé­cial­isés tels que :

TABLEAU 2
urban­i­sa­tion de 1950 à 2015
Monde — Régions Population/population totale (%) Accroisse­ment annuel du ratio(%)
1950 1975 2000 2015 1950–2000 2000–2015
MONDE 29,8 37,9 47,2 53,7 0,92 0,86
Pays dévelop­pés 54,9 70,0 75,4 78,6 0,63 0,28
Pays en voie de développement 17,8 26,8 40,4 48,6 1,63 1,24
(dont) Pays moins avancés 7,4 14,7 25,6 34,5 2,51 2,01

TABLEAU 3
Pop­u­la­tion des très grandes agglomérations
1 — Par rap­port aux pop­u­la­tions totales (en %)
Monde — Régions Aggloméra­tions
>10M habitants
Aggloméra­tions > 8M habitants Aggloméra­tions > 5M habitants
1975 2015 1975 2015 1975 2015
MONDE 1,7 4,7 3,0 6,2 4,8 8,4
Pays dévelop­pés 3,4 5,9 6,8 7,4 9,2 9,6
Pays en voie de développement 1,1 4,5 1,7 6,0 3,2 8,1
(dont) Pays moins avancés 0,0 2,4 0,0 3,4 0,0 5,8

TABLEAU 4
Pop­u­la­tion des très grandes agglomérations
2 — Par rap­port aux pop­u­la­tions urbaines (en %)
Monde — Régions Aggloméra­tions
>10M habitants
Aggloméra­tions > 8M habitants Aggloméra­tions > 5M habitants
1975 2015 1975 2015 1975 2015
MONDE 4,4 8,8 7,9 11,6 12,7 15,6
Pays dévelop­pés 4,9 7,5 9,7 9,4 13,3 12,2
Pays en voie de développement 4 9,2 6,2 12,3 12,1 16,7
(dont) Pays moins avancés 7,4 7,0 0,0 10,0 0,0 17,0

Deux rap­ports réal­isés par le départe­ment des affaires économiques et sociales des Nations unies, l’un sur les per­spec­tives de la pop­u­la­tion mon­di­ale (révi­sion de 2002), et l’autre sur les per­spec­tives de l’ur­ban­i­sa­tion (révi­sion de 2001), et à par­tir desquels sont con­stru­its les tableaux suiv­ants, per­me­t­tent de se faire une idée suff­isam­ment pré­cise du développe­ment de l’ur­ban­i­sa­tion et de la “mégapoli­sa­tion” dans le monde au cours des cinquante dernières années et dans les dix années qui viennent.

On prévoit en 2015 une pop­u­la­tion mon­di­ale de 7,2 mil­liards d’êtres humains dont 3,9 mil­liards d’ur­bains (tableau 1). La pop­u­la­tion urbaine dans les pays en voie de développe­ment (PVD) con­tin­ue à aug­menter forte­ment entre 2000 et 2015 (près de 2,7 % par an, con­tre seule­ment moins de 0,4 % pour les pays développés).

L’évo­lu­tion de l’ur­ban­i­sa­tion entre 1950 et 2015 (tableau 2) mon­tre que, dans les pays dévelop­pés, la pro­por­tion d’ur­bains tend asymp­to­tique­ment vers 80 % env­i­ron, chiffre qui est celui de la France ; et que, par con­tre, dans les PVD, cette pro­por­tion, qui est net­te­ment inférieure, con­tin­ue de croître forte­ment, par­ti­c­ulière­ment dans les pays moins avancés (PMA).

Le tableau 3 mon­tre que la pro­por­tion des pop­u­la­tions des très grandes aggloméra­tions par rap­port aux pop­u­la­tions totales dou­ble de 1975 à 2015 (de 3 à 6,2 % pour les mégapoles de plus de 8 mil­lions d’habi­tants). Elle tend à pla­fon­ner dans les pays dévelop­pés, mais aug­mente très forte­ment dans les PVD, puisque, pour cette même caté­gorie de mégapoles, elle sera plus de trois fois supérieure en 2015 qu’en 1975.

Si l’on con­sid­ère les pop­u­la­tions des très grandes aggloméra­tions par rap­port aux pop­u­la­tions urbaines et non plus par rap­port aux pop­u­la­tions totales (tableau 4), on voit que les mégapoles de plus de 8 mil­lions d’habi­tants représen­teront plus de 12 % de la pop­u­la­tion urbaine des PVD en 2015, et celles de plus de 5 mil­lions d’habi­tants près de 17 %. L’ac­croisse­ment de ces pro­por­tions est for­cé­ment encore plus impres­sion­nant dans les PMA puisqu’ils ne comp­taient aucune aggloméra­tion de plus de 5 mil­lions d’habi­tants en 1975.

Le tableau 5 rend compte sta­tis­tique­ment du déplace­ment du phénomène de ” mégapoli­sa­tion ” du Nord vers le Sud. Jusque dans les années cinquante, les pays dévelop­pés pos­sè­dent la majorité des très grandes aggloméra­tions, dont la pop­u­la­tion tend aujour­d’hui à pla­fon­ner, sinon à décroître. Par con­tre, à par­tir de cette même péri­ode, le nom­bre et la taille des mégapoles du Sud vont croître forte­ment. Ain­si, dans le classe­ment des dix pre­mières aggloméra­tions mon­di­ales de 1950 à 2015, New York va pass­er de la pre­mière à la 7e place ; et, de pre­mière méga­pole du Sud en 1950 et 1975 (troisième plus grande aggloméra­tion à cette date), Shang­hai, dont la pop­u­la­tion n’a pour­tant cessé de croître, est main­tenant dépassée par plusieurs villes du monde en développe­ment, et rejointe par Dac­ca qui n’est apparue dans ce classe­ment qu’en 2000, et devrait être dans les toutes pre­mières en 2015.

TABLEAU 5
Les 10 plus grandes aggloméra­tions de 1950 à 2015 (en mil­lions d’habitants)
1950 M. ha 1975 M. hab 2000 M. hab 2015 M. hab
1 New York 12,3 Tokyo 19,8 Tokyo 26,4 Tokyo 27,2
2 Lon­dres 8,7 New York 15,9 Mex­i­co 18,1 Dac­ca 22,8
3 Tokyo 6,9 Shangaï 11,4 Sao Paulo 18,0 Bom­bay 22,6
4 Paris 5,4 Mex­i­co 10,7 New York 16,7 Sao Paulo 21,2
5 Moscou 5,3 Sao Paulo 10,3 Bom­bay 16,1 Del­hi 20,9
6 Shang­haï 5,3 Osa­ka (Kobe) 9,8 Los Ange­les 13,2 Mex­i­co 20,4
7 “Rhin-Ruhr” 5,3 Buenos Aires 9,1 Cal­cut­ta 13,1 New York 17,9
8 Buenos Aires 5,0 Los Ange­les 8,9 Shangaï 12,9 Jak­er­ta 17,3
9 Chica­go 4,8 Paris 8,9 Dac­ca 12,5 Cal­cut­ta 16,7
10 Cal­cut­ta 4,4 Pékin 8,5 Del­hi 12,4 Karachi 16,2
Soit seule­ment :
1 ville >10 M
1 ville de 8 à 10 M
6 villes de 5 à 8 M
+11e Lon­dres (8,2 M)
+11 villes entre 5 et 8M
(dont 4 en PVD)
+6 autres villes >10M
(dont 5 en PVD)
+ 8 villes entre 8 et 10M
(dont 5 en PVD et Paris)
+15 villes entre 5 et 8M
(dont 12 en PVD et Londres)
+11 autres villes >10M
(dont 9 en PVD)
+12 villes entre 8 et 10M
(dont 8 en PVD et Paris)
+25 villes entre 5 et 8M
(dont 21 en PVD et Londres)

La con­cen­tra­tion au Sud du phénomène de ” mégapoli­sa­tion ” se traduit aus­si dans l’évo­lu­tion des taux d’ac­croisse­ment annuel des très grandes aggloméra­tions entre 1975 et 2015 (tableau 6). On peut voir que ces taux sont faibles pour les mégapoles des pays dévelop­pés, élevés ou même très élevés (plus de 3,5 %, soit un dou­ble­ment en moins de vingt ans) pour celles des PVD.

TABLEAU 6
Taux d’accroissement annuel (%) de 1975 à 2015 de la pop­u­la­tion des 24 mégapoles de 2000 (>8 M habitants)
Aggloméra­tions 1975 à 2000 2000 à 2015 Aggloméra­tions 1975 à 2000 2000 à 2015 Aggloméra­tions 1975 à 2000 2000 à 2015
1 Tokyo 1,17 0,19 9 Dac­ca 7,26 4,07 17 Manille 2,79 1,57
2 Mex­i­co 2,12 0,82 10 Del­hi 4,22 3,51 18 Séoul 1,50 0,02
3 Sao Paulo 2,24 1,12 11 Buenos Aires 1,10 0,62 19 Paris 0,32 0,16
4 New York 0,21 0,47 12 Jakar­ta 3,37 3,04 20 Le Caire 1,79 1,33
5 Bom­bay 3,18 2,29 13 Osa­ka 0,45 0,00 21 T’ien-tsin 1,60 0,80
6 Los Ange­les 1,58 0,62 14 Pékin 0,96 0,49 22 Istan­bul 3,71 1,60
7 Cal­cut­ta 2,04 1,67 15 Rio de Janeiro 1,17 0,54 23 Lagos 6,28 4,16
8 Shang­haï 0,48 0,36 16 Karachi 3,76 3,25 24 Moscou 0,37 -

Les cartes des fig­ures 1 et 2 (élaborées par l’u­ni­ver­sité de Cologne à par­tir des mêmes rap­ports des Nations unies) illus­trent bien cette con­cen­tra­tion de la ” mégapoli­sa­tion ” dans le monde en développe­ment, par­ti­c­ulière­ment en Asie et, dans une moin­dre mesure, en Amérique latine.

Mégapolisation du Nord et mégapolisation du Sud

Le cas des très grandes villes du Nord tendrait à mon­tr­er que la ” mégapoli­sa­tion ” — que ce soit celle d’une seule aggloméra­tion ou de l’ensem­ble des très grandes villes d’un pays ou groupe de pays — con­naît au bout d’un cer­tain temps une inflex­ion. Sans doute en sera-t-il de même pour les métrop­o­les du Sud. Un exem­ple sou­vent cité à cet égard est celui de Mex­i­co. Sa pop­u­la­tion ayant crû au rythme moyen annuel de 5,3 % de 1950 à 1975 (2,9 à 10,7 mil­lions d’habi­tants), nom­breux étaient ceux dans les années qua­tre-vingt qui prédi­s­aient qu’elle dépasserait large­ment les 20 mil­lions d’habi­tants à la fin du siè­cle. Il n’en a rien été : en 2000, sa pop­u­la­tion était ” seule­ment ” de 18,1 mil­lions d’habi­tants et devrait être de 20,4 mil­lions en 2015 (soit des taux d’ac­croisse­ment moyens annuels de 2,1 % pour la péri­ode 1975–2000 et de 0,8 % entre 2000 et 2015).

De fait, l’ac­croisse­ment des très grandes villes est, en quelque sorte, la résul­tante du phénomène de “mégapoli­sa­tion à pop­u­la­tion totale con­stante” et de la crois­sance démo­graphique. Or comme il est claire­ment mon­tré dans le numéro de févri­er 2005 de La Jaune et la Rouge, notam­ment dans les arti­cles de C. Mar­chal, P. Bourci­er de Car­bon et Z. Ouadah-Bedi­di, nous ne sommes plus aujour­d’hui dans un con­texte ” d’ex­plo­sion démo­graphique “, mais bien de réduc­tion glob­ale de la natal­ité et de la fécon­dité que com­pense de moins en moins l’ac­croisse­ment de l’e­spérance de vie, y com­pris pour l’ensem­ble du monde en développe­ment (une illus­tra­tion proche de nous en étant l’évo­lu­tion démo­graphique au Maghreb). Ce con­texte général devrait atténuer à terme la rapid­ité du phénomène de “mégapoli­sa­tion” du Sud.

Il n’en demeure pas moins que la crois­sance actuelle du nom­bre et de la taille des très grandes aggloméra­tions soulève des ques­tions essen­tielles rel­a­tives à leur gou­ver­nance, à leur ges­tion et à celle de leurs réseaux de biens et de ser­vices ain­si qu’à la préven­tion des risques aux­quels elles sont exposées, ques­tions en par­tie revues dans les arti­cles qui suivent.

FIGURE 1
Les plus grandes aggloméra­tions en 2000
FIGURE 2
… et en 2015

Les plus grandes agglomérations en 2015
Source : MegaC­i­ty Task­Force de l’Union géo­graphique internationale.
http://www.megacities.uni-koeln.de/documentation

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