Les Annales de l’École de Paris

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°592 Février 2004Par : Volume IX coordonné par Michel BERRY (63)Rédacteur : Serge SOUDOPLATOFF (73)

La langue française est une langue mou­vante, riche d’ambiguïtés, de faux amis, de con­tre­sens et de sens oubliés. Con­sid­érons par exem­ple l’expression “une bou­tique bien acha­landée ”. On y entend aujourd’hui une bou­tique où il y a beau­coup de pro­duits, alors qu’étymologiquement c’est un endroit où il y a beau­coup de cha­lands, c’est-à-dire beau­coup de clients, ce qui n’est en rien synonyme.

Ce n’est pas dans les débats de l’École de Paris que l’on trou­verait de telles grossières erreurs : la langue y est belle, les débats y sont justes et pré­cis, la séman­tique y est osée mais appro­priée et le verbe y est riche.

Rien que la lec­ture de la table des matières de ce IXe vol­ume nous entraîne dans un tour­bil­lon séman­tique pro­pre à notre cul­ture française où, si l’action n’est pas for­cé­ment tou­jours val­orisée, le verbe autour de l’action reste un con­stant plaisir.

Les math­é­ma­tiques sont “ élé­gantes ”, les réus­sites “un peu folles ”, la richesse est “ un mirage ”, les NTIC sont “ une pro­thèse ”. Les recherch­es mutent, de belles his­toires d’amour ont lieu entre les firmes et les ter­ri­toires, les entre­pre­neurs sont opposés aux pom­piers, les économies sont sol­idaires, les empires basés sur la bonne chère. On se promène avec bon­heur de ter­roir en ter­ri­toire, de Parthenay à Mont­mi­rail en pas­sant par le pays picard, Namur et Hol­ly­wood. On bâtit des cathé­drales pour chang­er le monde et réus­sir la mix­ité sociale. Finale­ment, on va faire une pause au ciné­ma le Balzac, his­toire de se con­va­in­cre que le ciné­ma est bien un lieu de vie culturelle.

De la lec­ture de la table des matières à celle du con­tenu, lui-même, il n’y a qu’un petit pas pour l’homme. Se pose alors le grave débat pour le lecteur : par quoi com­mencer ? Bien sûr, il y a une struc­ture pour nous aider à nous promen­er dans ce vol­ume, mais nous sommes un peu comme devant le menu d’un très grand restau­rant, ce ne sont pas les têtes de rubrique : “ entrée ”, “ viande ”, “ pois­son ” et “ dessert ” qui nous aident à choisir avec facil­ité, car dans chaque chapitre de ce IXe vol­ume tout nous attire, tout nous met l’eau à la bouche…

Que faire ? Utilis­er une méth­ode math­é­ma­tique rigoureuse, par exem­ple explor­er le pre­mier exposé, puis le deux­ième, puis le troisième, jusqu’à la fin du livre ? Ou bien utilis­er la méth­ode de Monte-Car­lo : ouvrir le livre au hasard en espérant tomber pile sur une page entre deux exposés et recom­mencer la méth­ode en pari­ant de ne jamais tomber deux fois sur le même chapitre ? Ou bien, méth­ode plus mar­ket­ing que math­é­ma­tique, deman­der à un ami de vous guider ? Ou alors, méth­ode de man­age­ment, envoy­er un email ou même un SMS d’urgence à Michel Berry : “ Que dois-je lire dans le tome IX, réponse immé­di­ate souhaitée, merci. ”

Mais quelle impor­tance ? Quelle que soit la méth­ode d’entrée en matière, quel que soit l’article par lequel nous com­mençons, dès la pre­mière sec­onde de lec­ture de l’exposé, dès les pre­miers mots, la mar­que de fab­rique de l’École de Paris nous saute aux yeux : nous y sommes physiquement !

Cette manière d’écrire les comptes ren­dus, ten­ant à la fois du lan­gage écrit et du lan­gage oral, nous rep­longe instan­ta­né­ment dans l’atmosphère physique de la réu­nion, et nous amène à recréer cet envi­ron­nement unique, même si nous n’y étions pas présents, et nous fait encore plus appréci­er la grande qual­ité de l’exposé.

Dès la pre­mière phrase, nous nous retrou­vons dans la salle. Nous imag­i­nons les par­tic­i­pants, nous retraçons le rit­uel de présen­ta­tion de cha­cun en une phrase directe et droite au but : “ Un tel, directeur des ressources humaines de l’entreprise tartem­pi­on ”, “ Un tel, con­sul­tant en man­age­ment ”, “ Une telle, chercheuse en ges­tion ”, avec l’étape oblig­ée qui mar­que la moitié du tour de table, quel que soit l’ordre d’icelui, dex­tr­o­gyre ou lév­o­gyre : “ Michel Berry, École de Paris ”. Un rit­uel de présen­ta­tion qui n’est pas sans évo­quer celui de l’accord des musi­ciens de l’orchestre avant le con­cert, prélude indis­pens­able à l’attention de l’auditoire.

Men­tale­ment, nous nous les recréons tous. Les habitués bien sûr, qua­si­ment tou­jours à la même place, et par­mi eux l’intemporel Pro­fesseur, dont le ton de voix si fam­i­li­er nous revient aus­sitôt en mémoire : “ Riv­e­line, École des mines ”.

Nous nous sur­prenons presque à lire à haute voix le compte ren­du. Nous imag­i­nons les regards ten­dus, l’écoute sacrée de l’auditoire, la ten­sion qui monte lorsque la fin de l’exposé approche, et que nous pour­rons enfin lever le doigt vers un Michel Berry, imper­turbable, notant sur une feuille de papi­er l’ordre des mains lev­ées. Car s’il est un rit­uel sacré à l’École de Paris, c’est bien celui de la parole : elle est ordon­née, et gare à celui qui ne respecte pas cela, il est vite remis à sa place ; votre hum­ble servi­teur en par­le en con­nais­sance de cause, ayant par­fois com­mis le péché de l’impatience…

C’est parce que nous sommes dans un monde où les échanges sont devenus la valeur fon­da­men­tale, que nous adorons tous ce moment mag­ique des dia­logues. Nous en retrou­vons un écho écrit dans les Annales, où le mot “Exposé” bien encadré anticipe le mot “ Débat ”, entre les mêmes deux traits, prélude à la dis­cus­sion qui intro­duit l’italique dans le texte, et qui, de struc­turée au début, devient foi­son­nante à la fin de la séance, parce que sur le fron­ton de l’École de Paris il y a écrit : “ Le man­age­ment est une affaire sérieuse, il faut en débat­tre ”, et que nous sommes venus, et que nous lisons les Annales, sans aucun autre but.

Mer­ci aux ora­teurs de grande qual­ité du IXe vol­ume, à leurs rich­es exposés, de nous don­ner matière à pren­dre dans les débats qui s’ensuivent notre plaisir pro­fond. Mer­ci aux “ Inter­venants ”, à tous ces “ Int. ”, per­son­nages impor­tants et var­iés des comptes ren­dus de l’École de Paris, de débat­tre si pas­sion­né­ment de ces choses sérieuses. Mer­ci aux rap­por­teurs de si bien savoir nous faire recréer par l’écrit toute l’atmosphère des séances, comme si nous y avions participé.

Mer­ci, Michel Berry, vol­ume après vol­ume, de con­tin­uer de nous offrir ce lieu avec de si beaux pro­duits, cet endroit tou­jours si bien achalandé

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