Le système éducatif confronté à l’allongement de la scolarité obligatoire

Le système éducatif confronté à l’allongement de la scolarité obligatoire Ne laisser personne en dehors du chemin

Dossier : ExpressionsMagazine N°763 Mars 2021
Par Jacques DENANTES (49)
Par Hubert JACQUET (64)

La loi du 28 juil­let 2019 a pro­longé la sco­lar­ité oblig­a­toire jusqu’à 18 ans. Si aujourd’hui la plu­part des jeunes d’une classe d’âge pour­suiv­ent leurs études bien au-delà de 18 ans en accé­dant à l’enseignement supérieur, il reste chaque année de l’ordre de 100 000 jeunes qui ter­mi­nent leur for­ma­tion ini­tiale sans aucun diplôme, 40 % d’entre eux ayant entre 16 et 17 ans. L’importance de cette loi résulte de l’obligation qu’elle impose aux pou­voirs publics de les sco­laris­er tous jusqu’à 18 ans.

On par­lait depuis longtemps de reculer à 18 ans l’âge de la sco­lar­ité oblig­a­toire et, depuis presque aus­si longtemps, on se préoc­cu­pait de l’entrée sur le marché du tra­vail des jeunes sor­tis sans qual­i­fi­ca­tion du sys­tème sco­laire. En 1947, les auteurs du plan Langevin-Wal­lon pro­po­saient de porter à 18 ans l’âge de fin de la sco­lar­ité oblig­a­toire en se référant au Préam­bule de la Con­sti­tu­tion de 1946 selon lequel « la Nation garan­tit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle et à la cul­ture ». Cepen­dant, resté à 14 ans jusqu’en 1959, cet âge n’a ensuite été porté qu’à 16 ans. 

À par­tir des années 1970, les jeunes sans qual­i­fi­ca­tion ont ren­con­tré des dif­fi­cultés crois­santes pour entr­er sur le marché de l’emploi et, en 1981, sur propo­si­tion de Bertrand Schwartz, furent insti­tuées les mis­sions locales pour l’insertion pro­fes­sion­nelle et sociale des jeunes. Ils y trou­vent des con­seillers qui les aident à con­stituer un itinéraire d’accès à l’emploi en pas­sant par des formations. 

En 2009, les col­lèges, lycées et CFA (cen­tres de for­ma­tion d’apprentis) ont reçu l’instruction de trans­met­tre aux mis­sions locales les coor­don­nées des anciens élèves ou appren­tis par­tis sans diplôme, puis, en 2013, l’Éducation nationale a mis en place le réseau des Foquale (for­ma­tion, qual­i­fi­ca­tion, emploi) qui rassem­blent, dans le périmètre d’une académie, tous les acteurs du sys­tème édu­catif avec, pour objec­tif, de coor­don­ner les solu­tions de l’Éducation nationale dans le cadre du suivi parte­nar­i­al des décrocheurs sco­laires, un coor­don­na­teur assur­ant les rela­tions avec les mis­sions locales et les acteurs locaux (les agents des col­lec­tiv­ités locales et ceux des ser­vices soci­aux du département).

Une mission pour éclairer le travail législatif

Avant de pro­mulguer la loi qui pro­longeait à 18 ans l’âge de la sco­lar­ité oblig­a­toire, le Pre­mier min­istre a man­daté Sylvie Char­rière, députée de Seine-Saint-Denis, et Patrick Roger, con­seiller munic­i­pal de Stras­bourg et prési­dent de la mis­sion locale, pour enquêter et faire des propo­si­tions sur ses con­di­tions d’application. Nous avons large­ment util­isé ce rap­port dont les propo­si­tions sont fondées sur une analyse appro­fondie de la sit­u­a­tion des jeunes ter­mi­nant leur sco­lar­ité sans qualification.

Dans sa let­tre de mis­sion, le Pre­mier min­istre insiste sur la recherche et l’identification des jeunes qui sont soumis à l’obligation de for­ma­tion et la néces­sité de les ori­en­ter vers une solu­tion. Après un long tra­vail de ter­rain, les deux élus ont remis le 13 jan­vi­er 2020 un rap­port dont les propo­si­tions s’inscrivent dans le cadre d’un pro­gramme visant à prévenir et à récupér­er l’échec sco­laire. Ils exam­i­nent d’abord com­ment prof­iter de cet allonge­ment pour ren­forcer la préven­tion des sor­ties sans qual­i­fi­ca­tion du sys­tème sco­laire, puis ils pré­conisent la mise en œuvre d’une dynamique ter­ri­to­ri­ale pour repér­er et remet­tre dans le cir­cuit les jeunes qui ne se trou­vent ni en for­ma­tion, ni pourvus d’un emploi (les Neets, Not in Edu­ca­tion, Employ­ment or Train­ing), et ils en déduisent un plan d’action dans le cadre duquel mobilis­er l’ensemble des pou­voirs publics.

1. Renforcer la prévention des sorties sans qualification du système scolaire

Pour assur­er une organ­i­sa­tion plus effi­cace de la lutte con­tre le décrochage à l’intérieur du sys­tème édu­catif, le rap­port pro­pose de « clar­i­fi­er le paysage de la préven­tion et de la lutte con­tre le décrochage sco­laire » en inté­grant au sein des réseaux Foquale de chaque académie les mis­sions et les groupes de préven­tion mis en place locale­ment pour détecter et prévenir la dés­co­lar­i­sa­tion des élèves dans les col­lèges et les lycées. 

Dans le cadre de ces réseaux, il faut se préoc­cu­per de l’observation des sig­naux annon­ci­a­teurs du décrochage. Par­mi ces sig­naux, le prin­ci­pal est l’absentéisme, mais plusieurs académies ont mené des expéri­men­ta­tions d’inspiration cana­di­enne sur la détec­tion d’autres sig­naux, des sig­naux faibles, et elles ont assuré le suivi des jeunes par­mi lesquels ces sig­naux étaient détectés. 

Les rap­por­teurs soulig­nent que le pas­sage du col­lège au lycée est un moment charnière pour le décrochage. Ils ont recueil­li « de nom­breux témoignages de jeunes qui font remon­ter leur décrochage à une pre­mière ori­en­ta­tion frus­trée, le plus sou­vent en lycée pro­fes­sion­nel. Par manque de place dans la spé­cial­ité souhaitée, par inca­pac­ité à trou­ver un employeur pour con­clure un con­trat d’apprentissage, par des choix d’orientation qui n’ont pas été suff­isam­ment éclairés ou encore par néces­sité de rester dans l’établissement le plus proche de chez soi, chaque année de nom­breux jeunes se trou­vent affec­tés là où ils ne l’ont pas réelle­ment choisi. »

2. Mettre en œuvre une dynamique territoriale pour repérer et remettre les Neets dans le circuit

L’allongement à 18 ans de l’obligation sco­laire entraîne un accroisse­ment de la pop­u­la­tion con­cernée par cette nou­velle oblig­a­tion, dont les rap­por­teurs décom­posent la mise en œuvre en trois phases.

Pen­dant la phase du repérage, il s’agit d’identifier les jeunes qui restent soumis à l’obligation de for­ma­tion en util­isant des procé­dures de sig­nale­ment qui ali­mentent un sys­tème d’information, une base com­mu­nau­taire qui per­me­tte, entre mis­sions locales et réseaux Foquale, un tra­vail parte­nar­i­al sur un mail­lage de ter­ri­toires. Les mis­sions locales doivent jouer un rôle de pre­mier plan pour recueil­lir des infor­ma­tions sur la sit­u­a­tion des jeunes de 16–17 ans sor­tis du sys­tème sco­laire et pour pren­dre con­tact avec eux. Elles doivent être habil­itées à aller les chercher et à nouer des con­tacts avec les acteurs insti­tu­tion­nels et avec les asso­ci­at­ifs qui con­nais­sent les jeunes : ser­vices de préven­tion spé­cial­isée du départe­ment, cen­tres cul­turels et soci­aux, clubs sportifs…

Pen­dant la phase de rac­crochage, il s’agit ensuite d’entrer en con­tact avec les jeunes et avec leurs familles pour les con­va­in­cre d’un exa­m­en de leur sit­u­a­tion pou­vant débouch­er sur une solu­tion de for­ma­tion. En admet­tant qu’une part sig­ni­fica­tive d’entre eux pour­ra être ramenée sans trop de dif­fi­culté en for­ma­tion ini­tiale, il restera ceux en rup­ture avec toute démarche insti­tu­tion­nelle et il sera de la respon­s­abil­ité de tous les acteurs, les mis­sions locales en pre­mier plan, de les con­va­in­cre d’adhérer à une for­ma­tion qual­i­fi­ante. À l’appui de ce rôle don­né aux mis­sions locales, les rap­por­teurs pro­posent de les faire béné­fici­er d’un fonds Ambi­tion 16–18 qui leur per­me­tte de pro­pos­er des pré­for­ma­tions engageantes ou une pré­pa­ra­tion au per­mis de con­duire et aus­si d’attribuer des aides pour régler des prob­lèmes de loge­ment, de mobil­ité, de santé…

Enfin pen­dant la phase d’ori­en­ta­tion vers une solu­tion, il s’agit de pro­pos­er aux jeunes un par­cours de for­ma­tion et de les accom­pa­g­n­er jusqu’à l’obtention d’une qual­i­fi­ca­tion. Logique­ment, la pri­or­ité est don­née à la pour­suite de la for­ma­tion ini­tiale en sco­lar­ité ou en appren­tis­sage : il y a les lycées de la sec­onde chance où les décrocheurs peu­vent suiv­re des études. Mais, pour ceux qui refusent de retourn­er à l’école, il y a les dis­posi­tifs qui ont été créés pour remédi­er au chô­mage des jeunes, l’École de la deux­ième chance, l’Épide (étab­lisse­ment pour l’insertion dans l’emploi) géré par l’Armée, les écoles de pro­duc­tion, les for­ma­tions de l’Afpa, celles des Greta… 

3. Permettre une mise en œuvre efficace de ces trois phases grâce à un plan d’action engageant l’ensemble des pouvoirs publics

D’abord met­tre à la dis­po­si­tion des con­seillers de mis­sions locales un sys­tème d’informations sur tout ce qu’ils pour­raient pro­pos­er aux jeunes qu’ils accueil­lent. Les rap­por­teurs pro­posent de con­fi­er à l’Onisep (Office nation­al d’information sur les enseigne­ments et les pro­fes­sions) une mis­sion visant à réalis­er et à tenir actu­al­isée au niveau nation­al une base de don­nées con­tenant les infor­ma­tions disponibles sur l’ensemble des for­ma­tions ouvertes aux 16–18 ans (Édu­ca­tion nationale, enseigne­ment agri­cole, CFA, pré­for­ma­tions de Pôle emploi ou des régions, stages de for­ma­tion con­tin­ue…), cette base restant acces­si­ble à tous en open data

Organ­is­er con­join­te­ment, sous l’égide des direc­tions régionales du tra­vail et celle des autorités académiques, des for­ma­tions com­munes pour sen­si­bilis­er ensem­ble les agents des mis­sions locales, des réseaux Foquale et aus­si de Pôle emploi à la nou­velle oblig­a­tion de for­ma­tion et aux bonnes pra­tiques en matière d’accompagnement des jeunes en sit­u­a­tion de décrochage.

Rassem­bler les prin­ci­paux financeurs des mis­sions locales sous l’égide des préfets de départe­ment pour qu’ils s’accordent sur le mon­tant des moyens néces­saires pour assur­er le bon fonc­tion­nement des mis­sions locales en adéqua­tion avec les besoins des territoires.

Donner un large écho à ces dispositions

En con­clu­sion, les rap­por­teurs soulig­nent la néces­sité de don­ner une pub­lic­ité à cette mesure d’allongement du temps de la sco­lar­ité oblig­a­toire : « La con­sécra­tion, écrivent-ils, de l’obligation de for­ma­tion ne peut inter­venir à bas bruit tant elle con­stitue un change­ment pro­fond de par­a­digme (celui de la fatal­ité de l’échec), un défi de taille pour les pou­voirs publics et une chance pour les jeunes et leurs familles. »

Il est surtout impor­tant de suiv­re com­ment la puis­sance publique met en œuvre ces recom­man­da­tions et d’en mesur­er les effets pour adapter ces dis­po­si­tions en fonc­tion des résultats.

À cet égard, le plan « 1 jeune, 1 solu­tion » arrêté l’été dernier par le gou­verne­ment con­stitue une étape sig­ni­fica­tive et il nous fau­dra y revenir. 

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