Un des centres d’accueil et d’orientation (CAO) pour réfugiés

Réfugiés : l’engagement citoyen n’est pas en crise

Dossier : ExpressionsMagazine N°729 Novembre 2017
Par Jérôme VIGNON (64)

La crise migra­toire qui secoue les classes poli­tiques euro­péennes depuis 2014 s’impose comme le défi de la décen­nie à venir. Mais loin de céder aux ten­ta­tions de repli, c’est l’engagement des citoyens en com­plé­ment de l’action de l’État qui a été et qui sera la clé du suc­cès de l’accueil et de l’intégration des migrants.

Des migrants à Calais
Un groupe de migrants atten­dant de quit­ter le camp dit de la « jungle » de Calais en novembre 2016. © EDWARD CRAWFORD / SHUTTERSTOCK.COM

L’ac­cueil par la popu­la­tion fran­çaise des migrants répar­tis sur le ter­ri­toire nation­nal dans les centres d’accueil et d’orientation (CAO), a été géne­ra­le­ment très favo­rable, sur­pre­nant les pou­voirs publics qui n’ont pas osé aller jusqu’au bout d’une logique coopé­ra­tive. Reste la ques­tion non réglée des mineurs iso­lés et le fait que cet afflux de migrants est durable.

Depuis quelques années l’afflux de can­di­dats réfu­giés tra­ver­sant la Médi­ter­ra­née dans les condi­tions les plus pré­caires s’est impo­sé comme un fait struc­tu­rant de l’actualité fran­çaise et européenne.

“ Tout laisse à penser que cet afflux est durable ”

Struc­tu­rant, car cet afflux a pro­vo­qué des réac­tions diverses pola­ri­sant les débats publics comme lors de nos der­nières élec­tions présidentielles.

Le fait migra­toire struc­ture aus­si notre ave­nir, parce que tout laisse à pen­ser que cet afflux est durable et qu’il va nous fal­loir comp­ter avec une pro­por­tion éle­vée de réfu­giés, par­mi le flux annuel récur­rent des immigrants.

Il ne s’agira pas seule­ment d’assurer un accueil d’urgence mini­mal, mais aus­si de veiller au suc­cès de l’intégration de migrants dont beau­coup ne seront pas en mesure de rejoindre, au moins rapi­de­ment, leur pays d’origine.

PREMIÈRES DÉCISIONS MINISTÉRIELLES

Il n’y a pas lieu dans le cadre de ce court aper­çu de rendre compte de la com­plexi­té des enjeux d’une telle situa­tion pour notre pays et pour l’Europe. Il suf­fi­ra de dire deux choses. Tout d’abord, le ministre de l’Intérieur de l’époque Ber­nard Caze­neuve a pris conscience dès son entrée en fonc­tion du chan­ge­ment auquel nous étions confrontés.

“ L’accueil réservé par la population française aux migrants a été dans sa très grande majorité favorable ”

Cela s’est tra­duit par des déci­sions signi­fi­ca­tives, dans le champ de ses res­pon­sa­bi­li­tés minis­té­rielles, par­mi les­quelles, entre autres, celle de créer plu­sieurs cen­taines de petits centres de répit, appe­lés centres d’accueil et d’orientation (CAO), répar­tis sur tout le ter­ri­toire natio­nal, où les migrants déli­vrés de la pres­sion des pas­seurs et de l’obsession de réus­sir un pas­sage clan­des­tin en Angle­terre pou­vaient cal­me­ment déci­der de faire le choix de deman­der l’asile en France.

En jan­vier 2017, 310 CAO répar­tis dans 84 dépar­te­ments accueillaient près de 10 000 per­sonnes, aux­quels s’ajoutaient 73 CAO conçus pour accueillir les jeunes mineurs non accompagnés.

Grâce aux CAO, 7 400 per­sonnes venant de Calais ont été mises à l’abri et près du double venant de la région Île-de-France entre octobre 2016 et jan­vier 2017.

EN MISSION POUR LE MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR

Il m’a été donné de vivre au plus près des associations humanitaires et du ministère de l’Intérieur le défi que représente pour les uns et les autres cette nouvelle donne migratoire. Cela s’est produit dans le cadre d’une mission de médiation qui me fut confiée entre 2014 et 2016, avec Jean Aribaud, préfet honoraire.
Il s’agissait de proposer des réponses durables à la situation dramatique vécue par les migrants sur le camp dit de la « jungle » de Calais. Nous devions ensuite imaginer les suites possibles de l’action des autorités publiques après que ce camp eut dû être définitivement évacué en octobre 2016 au cours d’une opération exemplaire.

LA QUESTION NON RÉGLÉE DES MINEURS ISOLÉS

Mal­gré leur ampleur, ces déci­sions res­taient et res­tent encore bien en des­sous des défis de l’accueil qui nous attendent, comme en témoigne une actua­li­té qui conti­nue d’apporter chaque jour son lot de dif­fi­cul­tés diverses, notam­ment pour ce qui touche les « mineurs iso­lés », c’est-à-dire des enfants âgés de moins de 18 ans et qui arrivent sans être accom­pa­gnés par un adulte, de plus en plus nom­breux en France et en Europe.

DES FRANÇAIS PLUS HOSPITALIERS QU’ON NE LE PENSAIT

Je sou­haite atti­rer l’attention de la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne sur un fait par­ti­cu­lier, à mon sens majeur et peut-être déci­sif pour l’avenir.

Contrai­re­ment à ce qu’avaient pu faire craindre quelques réac­tions d’hostilité mani­feste à l’encontre de l’installation des CAO au cours de l’année 2016, l’accueil réser­vé par la popu­la­tion fran­çaise aux migrants répar­tis par petites uni­tés de l’ordre de 30 à 50 per­sonnes a été dans sa très grande majo­ri­té favo­rable, au point que lorsque la fer­me­ture de cer­tains de ces centres ins­tal­lés pro­vi­soi­re­ment fut annon­cée par les pré­fets, des maires ont expri­mé leurs regrets.

Au-delà de l’action des asso­cia­tions huma­ni­taires che­vron­nées, de nom­breux citoyens ordi­naires ont appris à ren­con­trer, accueillir et connaître ces jeunes hommes et femmes venus de pays lar­ge­ment incon­nus de notre tradition.

Les res­pon­sables des grands réseaux d’accueil réunis dans un col­lec­tif d’évaluation des CAO admettent que cette soli­da­ri­té, sou­vent spon­ta­née, les a étonnés.

JRS WELCOME

Le Service jésuite des réfugiés a mis en place l’initiative « Welcome » dont le principe est d’offrir une hospitalité et un hébergement provisoire et gratuit au sein d’un réseau national de familles et de congrégations religieuses, pour une personne dont la demande d’asile est en cours de procédure et qui est laissée à la rue, faute de place dans le Dispositif national d’accueil.
Le réseau est présent dans 17 villes. Pour les personnes qui craignent de se lancer dans un engagement lourd, il est possible d’accueillir quelqu’un le temps d’un repas, d’un week-end ou pour des vacances.

DES POUVOIRS PUBLICS PUSILLANIMES

Sans doute téta­ni­sés par le contexte de la pré­si­den­tielle, impres­sion­nés peut-être par la rhé­to­rique xéno­phobe déployée par cer­tains cou­rants poli­tiques, les pou­voirs publics n’ont pas été jusqu’au bout d’une logique coopé­ra­tive autour des CAO.

Leur charte de fonc­tion­ne­ment n’a pas pris le risque d’instaurer dans chaque éta­blis­se­ment un comi­té de pilo­tage local, asso­ciant les ser­vices de l’État, les col­lec­ti­vi­tés locales, les opé­ra­teurs sociaux et les asso­cia­tions de bénévoles.

Pour­tant, c’est bien dans cette direc­tion qu’il convient de s’orienter désor­mais si l’on veut plei­ne­ment béné­fi­cier de l’effet de levier que pour­rait consti­tuer à l’avenir l’implication des citoyens ordi­naires, en com­plé­ment du rôle de l’État, face à la crise des réfugiés.

UNE RÉPONSE CITOYENNE REMARQUABLE

Cette crise, en France comme en Alle­magne, a pro­vo­qué une évo­lu­tion notable de ce qu’on peut appe­ler l’engagement citoyen.

Distraction en camp de réfugiés
Jan­vier 2016, des béné­voles viennent dis­traire les enfants du camp de réfu­giés de Grande-Synthe. © ANJO KAN / SHUTTERSTOCK.COM

Au-delà des grands opé­ra­teurs ges­tion­naires pour le compte de l’État (que sont notam­ment la Croix- Rouge, Emmaüs, France terre d’asile, la Fon­da­tion Appren­tis d’Auteuil et d’autres encore comme la Vie active à Calais), au-delà des asso­cia­tions mili­tantes et de « plai­doyer » (que sont en par­ti­cu­lier la Cimade, le Secours catho­lique, le Secours popu­laire, Méde­cins du monde ou comme à Calais, l’Auberge des Migrants, Salam…), de nou­velles ini­tia­tives asso­cia­tives se sont développées.

Elles visent à encou­ra­ger une rela­tion per­son­nelle entre migrants déra­ci­nés et citoyens en quête de sens et d’hospitalité.

C’est le cas de l’association SINGA (voir l’article de la JR n° 723) qui anime le pro­gramme Calm (Comme à la Mai­son) des­ti­né aux per­sonnes ayant le sta­tut de réfu­gié en vue d’un héber­ge­ment chez un par­ti­cu­lier, ou de Wel­come en France qui déve­loppe l’accueil en famille pour des séjours de courte durée de per­sonnes en situa­tion régu­lière et dans l’attente d’une déci­sion sur l’octroi ou non de l’asile en France.

Cette soli­da­ri­té ne se déploie pas que dans les petites villes : à Paris, la mai­rie du 18e arron­dis­se­ment a su mobi­li­ser plu­sieurs cen­taines de béné­voles qui dis­tri­buent chaque semaine des vête­ments, par­ti­cipent au cours de langue ou prennent sim­ple­ment un café avec les héber­gés du nou­veau centre de pre­mier accueil situé bou­le­vard Ney.

LA RENCONTRE DE DEUX MONDES

Tels sont de véri­tables « faits por­teurs d’avenir », au sens de la pros­pec­tive de Gas­ton Ber­ger. Ils contiennent en germe une trans­for­ma­tion de l’action sociale qui peut être déci­sive pour la réus­site du pro­ces­sus d’intégration que les pou­voirs publics ne sont pas en mesure de réus­sir seuls.

“ Encourager une relation personnelle entre migrants déracinés et citoyens en quête de sens ”

Ils peuvent aus­si faire bas­cu­ler une socié­té qui a des rai­sons d’être crain­tive, vers une vraie voie d’avenir. Selon Mar­ce­la Vil­la­lo­bos-Cid, coor­don­na­trice du pôle hos­pi­ta­li­té de Wel­come en France, « cette expé­rience d’hospitalité réci­proque per­met à deux mondes de se ren­con­trer, celui des deman­deurs d’asile avec celui des habi­tants de ce pays.

C’est parce que nous pas­sons du temps ensemble que nous pou­vons dépas­ser nos pré­ju­gés. C’est parce que nous par­ta­geons des moments ensemble que nous construi­sons une mémoire col­lec­tive et que nous décou­vrons une com­mune humanité. »

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