Un des centres d’accueil et d’orientation (CAO) pour réfugiés

Réfugiés : l’engagement citoyen n’est pas en crise

Dossier : ExpressionsMagazine N°729 Novembre 2017
Par Jérôme VIGNON (64)

L’ac­cueil par la pop­u­la­tion française des migrants répar­tis sur le ter­ri­toire nation­nal dans les cen­tres d’accueil et d’orientation (CAO), a été gén­erale­ment très favor­able, sur­prenant les pou­voirs publics qui n’ont pas osé aller jusqu’au bout d’une logique coopéra­tive. Reste la ques­tion non réglée des mineurs isolés et le fait que cet afflux de migrants est durable. 

Depuis quelques années l’afflux de can­di­dats réfugiés tra­ver­sant la Méditer­ranée dans les con­di­tions les plus pré­caires s’est imposé comme un fait struc­turant de l’actualité française et européenne. 

“ Tout laisse à penser que cet afflux est durable ”

Struc­turant, car cet afflux a provo­qué des réac­tions divers­es polar­isant les débats publics comme lors de nos dernières élec­tions présidentielles. 

Le fait migra­toire struc­ture aus­si notre avenir, parce que tout laisse à penser que cet afflux est durable et qu’il va nous fal­loir compter avec une pro­por­tion élevée de réfugiés, par­mi le flux annuel récur­rent des immigrants. 

Il ne s’agira pas seule­ment d’assurer un accueil d’urgence min­i­mal, mais aus­si de veiller au suc­cès de l’intégration de migrants dont beau­coup ne seront pas en mesure de rejoin­dre, au moins rapi­de­ment, leur pays d’origine.

PREMIÈRES DÉCISIONS MINISTÉRIELLES

Il n’y a pas lieu dans le cadre de ce court aperçu de ren­dre compte de la com­plex­ité des enjeux d’une telle sit­u­a­tion pour notre pays et pour l’Europe. Il suf­fi­ra de dire deux choses. Tout d’abord, le min­istre de l’Intérieur de l’époque Bernard Cazeneuve a pris con­science dès son entrée en fonc­tion du change­ment auquel nous étions confrontés. 

“ L’accueil réservé par la population française aux migrants a été dans sa très grande majorité favorable ”

Cela s’est traduit par des déci­sions sig­ni­fica­tives, dans le champ de ses respon­s­abil­ités min­istérielles, par­mi lesquelles, entre autres, celle de créer plusieurs cen­taines de petits cen­tres de répit, appelés cen­tres d’accueil et d’orientation (CAO), répar­tis sur tout le ter­ri­toire nation­al, où les migrants délivrés de la pres­sion des passeurs et de l’obsession de réus­sir un pas­sage clan­des­tin en Angleterre pou­vaient calme­ment décider de faire le choix de deman­der l’asile en France. 

En jan­vi­er 2017, 310 CAO répar­tis dans 84 départe­ments accueil­laient près de 10 000 per­son­nes, aux­quels s’ajoutaient 73 CAO conçus pour accueil­lir les jeunes mineurs non accompagnés. 

Grâce aux CAO, 7 400 per­son­nes venant de Calais ont été mis­es à l’abri et près du dou­ble venant de la région Île-de-France entre octo­bre 2016 et jan­vi­er 2017. 

EN MISSION POUR LE MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR

Il m’a été donné de vivre au plus près des associations humanitaires et du ministère de l’Intérieur le défi que représente pour les uns et les autres cette nouvelle donne migratoire. Cela s’est produit dans le cadre d’une mission de médiation qui me fut confiée entre 2014 et 2016, avec Jean Aribaud, préfet honoraire.
Il s’agissait de proposer des réponses durables à la situation dramatique vécue par les migrants sur le camp dit de la « jungle » de Calais. Nous devions ensuite imaginer les suites possibles de l’action des autorités publiques après que ce camp eut dû être définitivement évacué en octobre 2016 au cours d’une opération exemplaire.

LA QUESTION NON RÉGLÉE DES MINEURS ISOLÉS

Mal­gré leur ampleur, ces déci­sions restaient et restent encore bien en dessous des défis de l’accueil qui nous atten­dent, comme en témoigne une actu­al­ité qui con­tin­ue d’apporter chaque jour son lot de dif­fi­cultés divers­es, notam­ment pour ce qui touche les « mineurs isolés », c’est-à-dire des enfants âgés de moins de 18 ans et qui arrivent sans être accom­pa­g­nés par un adulte, de plus en plus nom­breux en France et en Europe. 

DES FRANÇAIS PLUS HOSPITALIERS QU’ON NE LE PENSAIT

Je souhaite attir­er l’attention de la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne sur un fait par­ti­c­uli­er, à mon sens majeur et peut-être décisif pour l’avenir.

Con­traire­ment à ce qu’avaient pu faire crain­dre quelques réac­tions d’hostilité man­i­feste à l’encontre de l’installation des CAO au cours de l’année 2016, l’accueil réservé par la pop­u­la­tion française aux migrants répar­tis par petites unités de l’ordre de 30 à 50 per­son­nes a été dans sa très grande majorité favor­able, au point que lorsque la fer­me­ture de cer­tains de ces cen­tres instal­lés pro­vi­soire­ment fut annon­cée par les préfets, des maires ont exprimé leurs regrets. 

Au-delà de l’action des asso­ci­a­tions human­i­taires chevron­nées, de nom­breux citoyens ordi­naires ont appris à ren­con­tr­er, accueil­lir et con­naître ces jeunes hommes et femmes venus de pays large­ment incon­nus de notre tradition. 

Les respon­s­ables des grands réseaux d’accueil réu­nis dans un col­lec­tif d’évaluation des CAO admet­tent que cette sol­i­dar­ité, sou­vent spon­tanée, les a étonnés. 


Plusieurs cen­taines de cen­tres d’accueil et d’orientation (CAO) ont été créés en octo­bre 2016.

JRS WELCOME

Le Service jésuite des réfugiés a mis en place l’initiative « Welcome » dont le principe est d’offrir une hospitalité et un hébergement provisoire et gratuit au sein d’un réseau national de familles et de congrégations religieuses, pour une personne dont la demande d’asile est en cours de procédure et qui est laissée à la rue, faute de place dans le Dispositif national d’accueil.
Le réseau est présent dans 17 villes. Pour les personnes qui craignent de se lancer dans un engagement lourd, il est possible d’accueillir quelqu’un le temps d’un repas, d’un week-end ou pour des vacances.

DES POUVOIRS PUBLICS PUSILLANIMES

Sans doute tétanisés par le con­texte de la prési­den­tielle, impres­sion­nés peut-être par la rhé­torique xéno­phobe déployée par cer­tains courants poli­tiques, les pou­voirs publics n’ont pas été jusqu’au bout d’une logique coopéra­tive autour des CAO. 

Leur charte de fonc­tion­nement n’a pas pris le risque d’instaurer dans chaque étab­lisse­ment un comité de pilotage local, asso­ciant les ser­vices de l’État, les col­lec­tiv­ités locales, les opéra­teurs soci­aux et les asso­ci­a­tions de bénévoles. 

Pour­tant, c’est bien dans cette direc­tion qu’il con­vient de s’orienter désor­mais si l’on veut pleine­ment béné­fici­er de l’effet de levi­er que pour­rait con­stituer à l’avenir l’implication des citoyens ordi­naires, en com­plé­ment du rôle de l’État, face à la crise des réfugiés. 

UNE RÉPONSE CITOYENNE REMARQUABLE

Cette crise, en France comme en Alle­magne, a provo­qué une évo­lu­tion notable de ce qu’on peut appel­er l’engagement citoyen. 

Distraction en camp de réfugiés
Jan­vi­er 2016, des bénév­oles vien­nent dis­traire les enfants du camp de réfugiés de Grande-Syn­the. © ANJO KAN / SHUTTERSTOCK.COM

Au-delà des grands opéra­teurs ges­tion­naires pour le compte de l’État (que sont notam­ment la Croix- Rouge, Emmaüs, France terre d’asile, la Fon­da­tion Appren­tis d’Auteuil et d’autres encore comme la Vie active à Calais), au-delà des asso­ci­a­tions mil­i­tantes et de « plaidoy­er » (que sont en par­ti­c­uli­er la Cimade, le Sec­ours catholique, le Sec­ours pop­u­laire, Médecins du monde ou comme à Calais, l’Auberge des Migrants, Salam…), de nou­velles ini­tia­tives asso­cia­tives se sont développées. 

Elles visent à encour­ager une rela­tion per­son­nelle entre migrants dérac­inés et citoyens en quête de sens et d’hospitalité.

C’est le cas de l’association SINGA (voir l’arti­cle de la JR n° 723) qui ani­me le pro­gramme Calm (Comme à la Mai­son) des­tiné aux per­son­nes ayant le statut de réfugié en vue d’un héberge­ment chez un par­ti­c­uli­er, ou de Wel­come en France qui développe l’accueil en famille pour des séjours de courte durée de per­son­nes en sit­u­a­tion régulière et dans l’attente d’une déci­sion sur l’octroi ou non de l’asile en France. 

Cette sol­i­dar­ité ne se déploie pas que dans les petites villes : à Paris, la mairie du 18e arrondisse­ment a su mobilis­er plusieurs cen­taines de bénév­oles qui dis­tribuent chaque semaine des vête­ments, par­ticipent au cours de langue ou pren­nent sim­ple­ment un café avec les hébergés du nou­veau cen­tre de pre­mier accueil situé boule­vard Ney. 

LA RENCONTRE DE DEUX MONDES

Tels sont de véri­ta­bles « faits por­teurs d’avenir », au sens de la prospec­tive de Gas­ton Berg­er. Ils con­ti­en­nent en germe une trans­for­ma­tion de l’action sociale qui peut être déci­sive pour la réus­site du proces­sus d’intégration que les pou­voirs publics ne sont pas en mesure de réus­sir seuls. 

“ Encourager une relation personnelle entre migrants déracinés et citoyens en quête de sens ”

Ils peu­vent aus­si faire bas­culer une société qui a des raisons d’être crain­tive, vers une vraie voie d’avenir. Selon Marcela Vil­lalo­bos-Cid, coor­don­na­trice du pôle hos­pi­tal­ité de Wel­come en France, « cette expéri­ence d’hospitalité réciproque per­met à deux mon­des de se ren­con­tr­er, celui des deman­deurs d’asile avec celui des habi­tants de ce pays. 

C’est parce que nous pas­sons du temps ensem­ble que nous pou­vons dépass­er nos préjugés. C’est parce que nous parta­geons des moments ensem­ble que nous con­stru­isons une mémoire col­lec­tive et que nous décou­vrons une com­mune humanité. » 

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