Un sac emblèmatique Louis Vuitton, le Speedy, intégrant des écrans AMOLED

Le luxe à la croisée du digital, de l’omnicanalité et de la relation client

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°756 Juin 2020
Par Yves CAUCHON (97)

Le boom numérique est à la fois un défi et une oppor­tu­nité pour les maisons du groupe LVMH. Leurs sup­ply chain s’adaptent et se dig­i­talisent pour mieux y répon­dre. Le point avec Yves Cau­chon (97) Directeur des opéra­tions de Fen­ty au sein du groupe LVMH.

“Grâce à l’omnicanalité, nos supply chain ont pu assurer une continuité du business
en redirigeant les commandes online vers des points de stock
restés ouverts pendant le confinement.”

Comment le monde du luxe s’approprie-t-il le digital ?

L’industrie du luxe n’a pas été un ear­ly adopter du dig­i­tal. Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, le luxe est bâti sur une idée de rareté et d’exclusivité qui sem­ble en con­tra­dic­tion avec inter­net, où tout est acces­si­ble au plus grand nom­bre. En out­re, le luxe prête une impor­tance cap­i­tale à l’expérience client dans nos bou­tiques. La céré­monie de vente est un élé­ment essen­tiel de notre rela­tion client.

Enfin, nous com­mer­cial­isons des pro­duits d’un savoir-faire et d’une qual­ité d’exception. Touch­er un cuir extra­or­di­naire, sen­tir une fra­grance, déguster un grand cru sont autant d’expériences sen­suelles que le dig­i­tal n’offre pas (en tout cas, pas encore).

Cepen­dant, poussées par l’évolution des modes de con­som­ma­tion, les maisons de lux­es se sont appro­priées le dig­i­tal pro­gres­sive­ment ces dernières années.

Petit à petit, le luxe a appris à déploy­er le numérique et tous ses aspects. Con­crète­ment, le numérique se retrou­ve aujourd’hui :

  • Dans la rela­tion client, par la dig­i­tal­i­sa­tion de l’expérience client et son omni­canal­ité : depuis la décou­verte de la mar­que et de son offre pro­duit via son web­site jusqu’à l’achat et le ser­vice après-vente ;
  • Dans l’innovation produit ;
  • Dans les proces­sus métiers : les out­ils du numérique sont util­isés pour opti­miser nos proces­sus, notam­ment dans la sup­ply chain end-to-end.

En 2018, le groupe LVMH a réal­isé près de 3.5 mil­liards d’euros de ventes online. Les pro­jec­tions étab­lis­sent que l’e‑commerce attein­dra 20 % à 25 % du secteur en 2025–2030. Le dig­i­tal n’est plus une idée, bien une réal­ité pour LVMH.

Quel est le positionnement de LVMH dans ce cadre ?

Pen­dant la dernière décen­nie, LVMH a con­sid­érable­ment investi pour men­er sa trans­for­ma­tion dig­i­tale. Le dig­i­tal est un ter­rain idéal d’expression des valeurs du groupe, à savoir la créa­tiv­ité, l’excellence et l’esprit d’entreprise. En 2015, le groupe a recruté son Chief Dig­i­tal Offici­er, en la per­son­ne de Ian Rogers, venu directe­ment d’Apple. Cela a con­tribué à ren­forcer la dynamique dig­i­tale du groupe.

Quelques illus­tra­tions con­crètes récentes : en 2017, nous avons créé le « LVMH Inno­va­tion Award » qui dis­tingue chaque année une start-up présen­tée sur le LAB LVMH, au sein du salon Viva Tech­nol­o­gy. Ces start-ups intè­grent notre mai­son des start-ups LVMH au sein de Sta­tion F à Paris, le plus grand incu­ba­teur au monde. En 2018, nous avons lancé 24S.com, un site marc­hand mul­ti­mar­ques, désor­mais mar­ket­place. Cette année, la mai­son TAG Heuer vient de lancer la 3e généra­tion de sa mon­tre con­nec­tée, qui com­bine le savoir-faire d’exception de la mon­tre suisse à la tech­nolo­gie la plus avancée. Enfin, pen­dant le con­fine­ment, des show­rooms virtuels ont été mis en place chez Louis Vuit­ton dans des temps records pour per­me­t­tre aux équipes du monde entier de décou­vrir les nou­velles col­lec­tions et plac­er des commandes.

Comment cela se traduit-il au niveau de la supply chain ? Et qu’en est-il de l’évolution de l’expérience client ?

Par­tons de l’omnicanal : la dichotomie entre le monde physique et le dig­i­tal n’a plus lieu d’être. Le client aujourd’hui peut choisir par exem­ple de décou­vrir en ligne la nou­velle col­lec­tion, d’y réserv­er un pro­duit avant d’aller l’essayer en bou­tique. Les maisons aujourd’hui ont toutes inté­gré cette dimen­sion d’omnicanalité dans l’expérience client. Il s’agit d’offrir à nos clients l’expérience la plus flu­ide pos­si­ble, online ou offline, tout en main­tenant nos stan­dards d’excellence. Pour la sup­ply chain, cela implique que le stock présent dans un point de vente n’est plus sim­ple­ment disponible pour le client dudit point de vente mais égale­ment pour le client en ligne voire pour le client d’un autre point de vente, le tout en temps réel.

L’omnicanalité a donc imposé à la sup­ply chain de revoir sa poli­tique de ges­tion de stock et des com­man­des. Cela néces­site une data sales et stock très fiable, disponible en temps réel dans les sys­tèmes, ain­si qu’un traite­ment com­plexe de cette data. Enfin, sur un plan opéra­tionnel, quand un client achète en ligne, son seul con­tact physique avec la mar­que se pro­duit au moment de la livrai­son. Nous avons tous eu des expéri­ences de livrai­son non sat­is­faisantes. Le groupe attache une atten­tion très par­ti­c­ulière à l’expérience de livrai­son client et développe des méth­odes de livrai­son à la hau­teur de l’excellence de nos maisons. Mais l’omnicanalité est égale­ment une oppor­tu­nité pour la sup­ply chain et se présente comme une véri­ta­ble solu­tion à des prob­lé­ma­tiques excep­tion­nelles. Prenons la crise san­i­taire que nous tra­ver­sons. Grâce à l’omnicanalité, nos sup­ply chain ont pu assur­er une con­ti­nu­ité du busi­ness en redirigeant les com­man­des online vers des points de stock restés ouverts pen­dant le con­fine­ment. Cela a été le cas chez Fen­di par exem­ple et aurait été impos­si­ble il y a quelques années.

Quelles sont les perspectives qui en découlent pour un groupe aux activités aussi variées que LVMH, et plus particulièrement pour Fenty ?

Le groupe pos­sède 75 maisons au sein de 6 secteurs d’activités dif­férents et garan­tit aux maisons une grande autonomie. C’est vrai a for­tiori pour leur stratégie dig­i­tale. Il n’y a donc pas une réponse unique à la ques­tion posée. Chaque mai­son maîtrise sa pro­pre stratégie dig­i­tale, car le monde bouge à grande vitesse.

Pour par­ler de Fen­ty : c’est une start-up au sein du groupe qui a été pen­sée comme une entre­prise Dig­i­tal-First, une « Instabrand ». Les ventes sont essen­tielle­ment réal­isées en ligne, la com­mu­ni­ca­tion exclu­sive­ment dig­i­tale via les réseaux soci­aux et la com­mer­cial­i­sa­tion des pro­duits en mode « see now, buy now » (c’est-à-dire sans défilé ou présen­ta­tion des pro­duits plusieurs mois avant leur com­mer­cial­i­sa­tion). Cette start-up illus­tre par­faite­ment la volon­té et les moyens que se donne le groupe pour tester toutes les voies qu’offre le digital.

Quels sont les principaux enjeux et défis liés au digital dans la supply chain ?

D’abord, faire de bons choix sur les sujets à inves­tiguer : qu’est-ce-qui est sig­ni­fi­catif et per­ti­nent pour mon affaire ? La sup­ply chain 4.0 (la sup­ply chain à haute teneur dig­i­tale) est un ter­rain vaste d’expérimentation et il est facile de pass­er du temps sur un sujet non per­ti­nent. Ensuite, notre monde de plus en plus dig­i­tal­isé génère un vol­ume de data de plus en plus impor­tant. Un clair défi de la sup­ply chain est de sélec­tion­ner et process­er ces data de manière à pro­duire des analy­ses intel­li­gi­bles et per­me­t­tre la meilleure prise de déci­sion possible.

Comme notre envi­ron­nement économique est volatil et incer­tain, ces pris­es de déci­sions doivent se faire à une fréquence beau­coup plus rapi­de qu’auparavant. Désor­mais, la maille de temps pour les déci­sions de plan­ning est la semaine. Pour ce faire, nous explorons l’utilisation de nou­velles tech­nolo­gies comme le machine learning.

Cepen­dant, nous croyons fon­da­men­tale­ment que ce sont les hommes et les femmes tra­vail­lant dans les ser­vices de sup­ply chain qui font la dif­férence. L’enjeu est de recruter les meilleurs.

Quels sont les axes que vous avez choisis de privilégier à ce niveau pour les années à venir ?

Nos maisons tra­vail­lent sur des élé­ments de la sup­ply chain 4.0, en fonc­tion de l’intérêt pour leur busi­ness mod­èle respec­tif : big data et machine learn­ing, IoT pour une meilleure traça­bil­ité des flux amont et aval, blockchain pour assur­er traça­bil­ité et authen­tifi­ca­tion des produits…

La sup­ply chain dans nos maisons est une fonc­tion en con­stante évo­lu­tion, à l’importance crois­sante et au cœur des déci­sions busi­ness. Un domaine par­fait pour les X en quête d’innovation, à l’âme d’entrepreneur et aimant les belles choses ! 

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