Transport routier décarboné Hyliko

Hyliko : vers un transport routier de marchandises décarboné

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Ovarith TROEUNG
Par Florent BERGERET

La plate­forme de mobil­ité Hyliko, créée par la société d’investissement indus­triel Kouros, est un des précurseurs dans le trans­port de marchan­dis­es par véhicules hydrogène en France. Quelles sont les per­spec­tives de développe­ment de cette fil­ière ? Entre­tien avec Ovarith Troe­ung, directeur général d’Hyliko, et Flo­rent Berg­eret, prési­dent d’Hyliko et directeur de la stratégie et des investisse­ments de Kouros France.

À l’origine d’Hyliko, il y a Kouros. Pouvez-vous nous dire quel a été le rôle de cette société d’investissement industriel dans la naissance d’Hyliko ?

Kouros est une société d’investissement indus­triel créée en 2018 et dont la stratégie est cen­trée sur la décar­bon­a­tion de la mobil­ité lourde, notam­ment grâce à l’hydrogène. Depuis 4 ans, Kouros a apporté son sou­tien à plusieurs sociétés inno­vantes et pour la plu­part français­es, sur toute la chaîne de valeur hydrogène, de la pro­duc­tion jusqu’aux usages.

Dans le domaine des infra­struc­tures, Kouros est notam­ment action­naire, aux côtés d’Air Liq­uide, Total­En­er­gies et Toy­ota, d’HYSETCO, pre­mier dis­trib­u­teur d’hydrogène car­bu­rant en France et solu­tion de mobil­ité zéro émis­sion (véhicule et hydrogène) pour les chauf­feurs de taxis et de VTC. Dans le domaine des tech­nolo­gies, Kouros a investi dans Nawa Tech­nolo­gies (société française spé­cial­isée dans les super­con­den­sa­teurs et bat­ter­ies à base de nan­otubes de car­bone ver­ti­cale­ment alignés), Ergo­sup (spé­cial­iste français de l’électrolyse à très haute pres­sion), Haffn­er Ener­gy (société française con­ce­vant des équipements de pro­duc­tion d’hydrogène par ther­mol­yse de bio­masse) et Ver­ti­cal Aero­space (fab­ri­cant bri­tan­nique de VTOL).

À côté des investisse­ments dans des sociétés exis­tantes, Kouros a égale­ment créé deux sociétés : Hyliko et Car­bon­loop. Cette dernière pro­duit d’une part du syn­gas pour l’industrie, une alter­na­tive renou­ve­lable et décar­bonée au gaz naturel, et d’autre part de l’hydrogène pour Hyliko. 

Quelle est l’origine de cette décarbonation qui va au-delà de la neutralité carbone ?

En juil­let 2019, Kouros a été séduite par la tech­nolo­gie de pro­duc­tion d’hydrogène à par­tir de bio­masse dévelop­pée par Haffn­er Ener­gy car elle per­met de val­oris­er une ressource locale, abon­dante et peu onéreuse (les résidus de la fil­ière du bois) pour pro­duire de l’hydrogène et aus­si car elle génère égale­ment un copro­duit : le biochar. Grâce à sa très grande porosité, le biochar per­met, en agri­cul­ture, de réduire les apports en eau et en engrais. Par ailleurs, le biochar séquestre sous forme solide et sta­ble pen­dant plus de mille ans près de la moitié du car­bone présent dans la bio­masse, ce qui per­met donc de pro­duire du syn­gas ou de l’hydrogène avec un bilan car­bone négatif. Le biochar est recon­nu par le GIEC comme un des puits de car­bone les plus per­ti­nents pour attein­dre la neu­tral­ité carbone. 

Comment se positionne Hyliko en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre ?

Hyliko est une plate­forme de mobil­ité des­tinée à décar­bon­er le trans­port routi­er de marchan­dis­es, lequel con­tribue aux émis­sions du secteur des trans­ports qui représen­tent aujourd’hui près de 25 % des émis­sions de gaz à effet de serre. 

Le trans­port routi­er de marchan­dis­es con­tribue forte­ment aux émis­sions, et le marché fait face à une aug­men­ta­tion de la demande de trans­port routi­er liée à l’augmentation de l’activité des plate­formes de com­man­des et de livrai­son en ligne, de plus en plus sol­lic­itées. Or, la seule manière de décar­bon­er véri­ta­ble­ment dans ce domaine, au-delà d’améliorer l’efficacité énergé­tique des moteurs, c’est d’utiliser des car­bu­rants propres.

Hyliko se pro­pose de con­tribuer à cet objec­tif en pro­posant aux trans­porteurs une offre inté­grée : un poids-lourd hydrogène à pile à com­bustible en leas­ing (avec le ser­vice et la main­te­nance asso­ciés) et un réseau de sta­tions hydrogène pour rav­i­tailler les camions. Le client se voit égale­ment trans­fér­er des crédits car­bone car comme dit précédem­ment, lors de la pro­duc­tion de l’hydrogène, nous avons pu créer un puits de carbone.

Quels sont les grands enjeux de votre développement ?

Dans la mesure où nous jouons le rôle d’un agré­ga­teur de ser­vices, nous avons deux enjeux prin­ci­paux. D’abord, pro­pos­er un camion à pile à com­bustible. Aujourd’hui, il y en a très peu en Europe : ceux qui exis­tent sont pour la plu­part en exploita­tion en Suisse. La pre­mière étape est de pou­voir les assem­bler en petite série, sur la base d’une tech­nolo­gie de groupe moto­propulseur hydrogène dévelop­pée avec l’un de nos partenaires.

Nous recher­chons ensuite des accords avec des con­struc­teurs engagés dans la con­cep­tion et la pro­duc­tion de véhicules hydrogène pour pro­pos­er à nos clients une gamme très large, selon leurs usages et leurs préférences.

Le deux­ième enjeu con­siste à met­tre en place le réseau de sta­tions hydrogène. Nous sommes en train de tra­vailler au déploiement de sta­tions de pro­duc­tion et de dis­tri­b­u­tion d’hydrogène, sur un mod­èle décen­tral­isé. Nous allons les installer au plus près des ter­ri­toires pour per­me­t­tre aux trans­porteurs de pou­voir se rav­i­tailler, le but étant de déploy­er un hub hydrogène qui pour­rait servir à d’autres usages et à d’autres util­isa­teurs, comme les col­lec­tiv­ités. Le biochar pro­duit à par­tir de bio­mass­es col­lec­tées locale­ment sera com­mer­cial­isé vers le ter­ri­toire agri­cole local, dans une économie cir­cu­laire. Ce deux­ième enjeu dépasse donc la mise en place de sta­tions de pro­duc­tion et de dis­tri­b­u­tion d’hydrogène.

Le troisième enjeu est de pou­voir répon­dre à la demande de ces trans­porteurs et de leurs don­neurs d’ordres, en présen­tant un bilan car­bone neu­tre, voire négatif dans l’équation globale.

Quelle est votre vision de l’avenir de la filière ?

Entre aujourd’hui et 2030, l’hydrogène va s’imposer comme l’un des car­bu­rants pro­pres pour la mobil­ité lourde, comme l’énergie élec­trique va s’imposer pour la mobil­ité domes­tique. La Com­mis­sion européenne a annon­cé qu’elle s’attendait à avoir un parc cir­cu­lant de 60 000 véhicules hydrogène à cet hori­zon, ce qui représente une belle per­spec­tive de développe­ment étant don­née la sit­u­a­tion actuelle.

De nom­breux con­struc­teurs se posi­tion­nent pour met­tre à la route des poids-lourds hydrogène à par­tir de 2025, et il y a beau­coup de nou­veaux entrants, notam­ment en Alle­magne où la fil­ière est très dévelop­pée, grâce à des mécan­ismes d’incitation. L’offre de véhicules va donc pou­voir s’élargir. Avec des asso­ci­a­tions européennes du secteur, nous esti­mons qu’à l’horizon 2030 il faudrait entre 1 000 et 2 500 sta­tions hydrogène pour per­me­t­tre les dif­férents usages des mobilités.

Par ailleurs, il faut aus­si not­er que le par­a­digme tra­di­tion­nel de la répar­ti­tion entre élec­trique et hydrogène est en train de chang­er. Alors que l’on avait ten­dance à attribuer à l’électrique les cour­tes et moyennes dis­tances, et les longues dis­tances à l’hydrogène, on s’aperçoit que l’hydrogène est égale­ment adap­té aux usages à forte inten­sité énergé­tique. C’est le cas, par exem­ple, de poids-lourds dis­posant d’une grue sur leur plateau arrière pour charg­er et décharg­er les matéri­aux qu’ils trans­portent, et qui deman­dent donc à pou­voir dis­pos­er d’énergie à haute intensité.

Le sujet majeur pour nous, c’est de pass­er à l’échelle indus­trielle, et de réduire ain­si les coûts. À l’horizon 2030, Hyliko vise 10 % du marché des poids lourds hydrogène en Europe. Il faut donc dépass­er le cadre des démon­stra­teurs, pro­duire à l’échelle des piles à com­bustibles, des élec­trol­y­seurs, des ther­mol­y­seurs et des sta­tions de dis­tri­b­u­tion, chercher à met­tre en place des instal­la­tions de plus en plus grandes. La puis­sance publique a ici de toute évi­dence un rôle à jouer dans l’organisation des écosys­tèmes, sur l’orientation des développe­ments indus­triels, mais aus­si dans l’appui et le sou­tien financier aux usages.

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