Général Olry

Le général René Olry (X1900) vainqueur de la bataille des Alpes de juin 1940

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°758 Octobre 2020
Par Philippe FLEURY (59)
Par Max SCHIAVON

Qua­tre-vingts ans se sont écoulés depuis « l’étrange défaite » de 1940. Le sou­venir de ce douloureux événe­ment ne doit pas occul­ter la vic­toire de l’armée des Alpes en juin 1940 face aux Ital­iens mais aus­si aux Alle­mands. L’honneur de la France a en effet été sauvé par le général Olry (X1900), com­man­dant de l’armée des Alpes à par­tir du 5 décem­bre 1939 et jusqu’au 25 juin 1940.

Admis à l’X en 1900, René Olry était fils d’Albert Olry, X de la pro­mo 1866 et ingénieur en chef des Mines. Il opte pour l’artillerie en 1902 et com­mence une bril­lante car­rière mil­i­taire. Sa con­duite pen­dant la Pre­mière Guerre mon­di­ale lui a valu cinq cita­tions dont deux à l’ordre de l’armée. Élève à l’École supérieure de guerre, puis détaché au Cen­tre des hautes études mil­i­taires, il est chargé de plusieurs mis­sions inter­na­tionales et de divers com­man­de­ments en métro­pole. Il est nom­mé général de brigade le 16 avril 1932. Général de corps d’armée en 1936, il com­mande en 1937 la XVe région à Mar­seille. À la tête du 15e corps d’armée dans les Alpes du Sud le 2 sep­tem­bre 1939, il se voit con­fi­er l’armée des Alpes le 5 décem­bre 1939 avant qu’il soit pro­mu général d’armée le 10 févri­er 1940.

Le contexte de la drôle de guerre

Neuf cents généraux com­posent le haut com­man­de­ment de l’armée de terre en 1939–1940, dont 190 poly­tech­ni­ciens. Par­mi ceux-ci, cinq généraux d’armée : Blan­chard et Condé, qui com­man­dent respec­tive­ment la Ire et la IIIe armée, Col­son, chef d’état-major de l’armée, Doumenc, major général des armées, enfin Olry, placé à la tête de l’armée des Alpes. 

Le 1er sep­tem­bre, le gou­verne­ment ital­ien proclame sa non-bel­ligérance, ce qui sig­ni­fie que l’Italie n’entrera pas immé­di­ate­ment dans le con­flit, mais se réserve pour la suite. Aus­si, dès la fin sep­tem­bre, lorsqu’il acquiert la cer­ti­tude que l’Italie demeur­era dans l’expectative, le Grand Quarti­er général, qui manque de troupes pour le front du Nord-Est, débute les prélève­ments dans le Sud-Est. Les effec­tifs passent en trois mois de 600 000 hommes à 190 000 hommes dont seule­ment 85 000 com­bat­tants, aux ordres du général Olry, un spé­cial­iste du théâtre alpin depuis le début des années 1930.

Pour ne rien arranger, les 3 divi­sions d’infanterie (DI) qui com­plè­tent les 4 secteurs défen­sifs et for­ti­fiés (Rhône, Savoie, Dauphiné, Alpes-Mar­itimes) sont com­posées presque exclu­sive­ment de réservistes ayant fait leur ser­vice mil­i­taire dans les années 1920 ou au début des années 1930, donc ayant besoin d’être à nou­veau formés.

Les préparatifs

Olry s’attache avec beau­coup d’opiniâtreté à amélior­er leur poten­tiel et à les ren­dre capa­bles de men­er un com­bat défen­sif à par­tir du print­emps. Il a réfléchi depuis huit ans à la défense des Alpes : il n’est plus ques­tion d’envisager une offen­sive en Ital­ie comme cer­taines études français­es le prévoy­aient avant-guerre. Les com­bats devront se dérouler à prox­im­ité de la fron­tière, sur une ligne organ­isée, avec des avant-postes et des sec­tions d’éclaireurs skieurs (SES) qui ralen­tiront l’ennemi, par ailleurs pilon­né méthodique­ment par l’artillerie, avant qu’il se heurte à la ligne prin­ci­pale de résistance.

Pour attein­dre son objec­tif, il lui faut forg­er l’outil de com­bat dont il estime avoir besoin. Tout d’abord, il fait repren­dre l’instruction indi­vidu­elle et col­lec­tive. Il décide de créer des Cen­tres d’instruction pour tous les spé­cial­istes (trans­met­teurs, armes col­lec­tives, etc.). Il s’agit d’éviter la rou­tine voire l’hibernation des unités pour, au con­traire, entretenir la vigueur, la dis­ci­pline et le moral. Le général Olry s’attache égale­ment à per­fec­tion­ner la ligne prin­ci­pale de résis­tance, tant que les tem­péra­tures per­me­t­tent de pour­suiv­re les travaux en haute mon­tagne. Il prévoit aus­si d’assurer sa défense dans la pro­fondeur : une deux­ième posi­tion à base de destruc­tions pré­parées à l’avance devra per­me­t­tre de retarder l’ennemi s’il parvient à percer la ligne prin­ci­pale de résistance.

Si au print­emps 1940 l’Italie est tou­jours non-bel­ligérante, Olry, dans tous les ordres qu’il donne, agit comme si la guerre allait se déclencher les jours suiv­ants. Il n’a reçu aucune ori­en­ta­tion ou direc­tive de l’échelon supérieur mais place son armée sous ten­sion, prête à agir.

Un organisateur hors pair

À par­tir de début mai, les unités français­es sont poussées vers les crêtes fron­tières et la haute mon­tagne. Olry veut être prêt à repouss­er une attaque ital­i­enne, mais il cherche aus­si, en prenant cette déci­sion, à ce que les unités se défassent le plus tôt pos­si­ble des mau­vais­es habi­tudes de con­fort pris­es dans les val­lées. Après le 10 mai et l’attaque alle­mande foudroy­ante qui se pro­duit, il fait accélér­er les pré­parat­ifs de tous ordres. La ten­sion est désor­mais pal­pa­ble au PC de l’armée à Valence. Entre le 20 et le 30 mai, le com­man­dant de l’armée des Alpes peaufine son dis­posi­tif. Il décide de sa pro­pre ini­tia­tive de réqui­si­tion­ner plusieurs dizaines d’autobus sup­plé­men­taires afin de pou­voir trans­fér­er plus facile­ment des unités d’un secteur à l’autre, selon les cir­con­stances. Le dis­posi­tif d’alerte des unités de l’avant est activé à compter du 25 mai. 

Enfin, durant les dix jours qui précè­dent le con­flit, la pré­pa­ra­tion s’accélère encore. Le 1er juin, les dis­posi­tifs de déraille­ment des trains venant d’Italie sont mis en place. Men­ton est évac­ué en total­ité à par­tir du 3 juin. À par­tir du 6, c’est toute l’armée qui prend l’alerte, et non plus seule­ment les postes d’observation et unités de l’avant.

Quel bilan tir­er du com­porte­ment du chef de l’armée des Alpes durant cette drôle de guerre ? Le général Olry fait preuve d’une hau­teur de vue inhab­ituelle et domine incon­testable­ment les événe­ments. S’il ne désobéit jamais, il prend de larges ini­tia­tives sans en référ­er au niveau supérieur qu’il sait peu intéressé aux prob­lèmes de son armée. Les ordres, instruc­tions et direc­tives qu’il donne mon­trent qu’il prend toutes ses respon­s­abil­ités en s’affranchissant sou­vent des procé­dures. Sans doute cette sit­u­a­tion, loin de lui peser, le sat­is­fait-elle car il con­naît ses tal­ents d’organisateur et aime dis­pos­er d’autonomie. Enfin, il a con­fi­ance dans son étoile, car tout lui a don­né rai­son jusqu’alors.

“La défaite du Nord-Est qui nous atteint
n’est pas la nôtre.”

L’affrontement

Mus­soli­ni déclare la guerre à la France le 10 juin dans la soirée. Compte tenu de la sit­u­a­tion cat­a­strophique qui pré­vaut dans le Nord-Est, Olry va plus que jamais être livré à lui-même. Dans la nuit du 10 au 11 juin, la fron­tière est ren­due her­mé­tique à toute attaque motorisée par des destruc­tions opérées sur tous les itinéraires prin­ci­paux. Durant les dix pre­miers jours les deux armées s’observent et se jau­gent puis, le 21 juin, l’attaque générale se déclenche, menée frontale­ment dans tous les secteurs par plus de 210 000 hommes. L’assaillant, mal pré­paré morale­ment et matérielle­ment, sans plans pré­conçus, doit impro­vis­er et se heurte à une défense très étudiée qu’il ne réus­sit pas à rompre. Le bien-fondé de l’organisation adop­tée par le général Olry appa­raît en pleine lumière.

La tactique contre le danger allemand

En revanche, il doit impro­vis­er une défense face aux Alle­mands qui vont, à brève échéance, men­ac­er les arrières de son armée, le principe retenu étant de ne prélever aucune for­ma­tion se trou­vant face aux Ital­iens. Con­crète­ment, le général Olry décide de créer de nou­velles unités de marche à par­tir des dépôts et des unités qui reflu­ent dans la val­lée du Rhône. Il prévoit la mise en place, à court terme, non pas d’une mais de trois lignes de défense suc­ces­sives, qui per­me­t­tront de se repli­er et de men­er des coups d’arrêt, même si l’ennemi parvient à percer en un point donné.

Grâce à ces mesures la valeur de trois divi­sions légères d’infanterie sont mis­es sur pied, soit au total un peu plus de 22 200 com­bat­tants, aux ordres de généraux expéri­men­tés qu’il a lui-même choi­sis. Le résul­tat obtenu dépasse toutes les prévisions.

Le 21 juin, il adresse à ses sub­or­don­nés une instruc­tion per­son­nelle et secrète (IPS) dans laque­lle il explique com­ment il voit la sit­u­a­tion et donne ses ordres. Son armée, sta­tique, est placée dans une pos­ture plein est, face à l’Italie, elle doit y rester mal­gré le dan­ger alle­mand qui sur­git. Pour s’opposer à ce dernier, il va utilis­er prin­ci­pale­ment les unités de marche qu’il vient de con­stituer. Puis il pour­suit par ces mots lourds de sens : « La défaite du Nord-Est qui nous atteint n’est pas la nôtre. Vis-à-vis de l’Italie, qui est notre adver­saire nor­mal, que nous con­tenons à 1 con­tre 4, je veux que nous gar­dions le front haut. » Aus­si ordonne-t-il à ses sub­or­don­nés, s’ils venaient à être encer­clés par les Ital­iens et les Alle­mands, de se ren­dre à ces derniers, car il ne veut pas que les Ital­iens, qu’il sait bat­tus, s’approprient une gloire à moin­dres frais.

Une victoire méconnue

La suite est con­nue. À l’heure de l’armistice, les Ital­iens seront par­venus en quelques endroits seule­ment à abor­der la posi­tion de résis­tance française, en ayant subi de très lour­des pertes : 37 morts côté français, 631 côté ital­ien. Face aux Alle­mands, le général Olry réus­sira in extrem­is à con­serv­er sa ligne de résis­tance sur le Rhône et l’Isère. Mal­gré d’ultimes ten­ta­tives dans les jours qui précè­dent l’armistice, la Wehrma­cht n’arrivera pas à entr­er ni dans Greno­ble, ni dans Annecy.

Une autre des qual­ités qu’on peut incon­testable­ment lui recon­naître est l’opiniâtreté. En effet, le com­man­dant de l’armée des Alpes se mon­tre imper­turbable, rien ne le faisant dévi­er de la mis­sion qu’il s’est fixée. Sans beau­coup de moyens sur ce théâtre sec­ondaire, il a dû impro­vis­er dès sa prise de com­man­de­ment pour per­me­t­tre à son armée de fonc­tion­ner et de rem­plir ses mis­sions. Sa réus­site n’en est que plus exemplaire.

Olry fut, de loin, un des meilleurs généraux de cette triste cam­pagne. Loin des yeux des chefs mil­i­taires occupés dans le nord du pays, et aus­si de la bureau­cratie éta­tique, il a béné­fi­cié d’une marge d’initiative qui lui a per­mis d’exploiter à fond ses immenses qual­ités d’organisateur et de chef mil­i­taire. Pré­co­ce­ment dis­paru en 1944, il n’a mal­heureuse­ment pas lais­sé dans l’histoire la trace qu’il mérite. Il est d’autant plus impor­tant de les présen­ter aujourd’hui, que ces qual­ités cor­re­spon­dent aus­si à celles que les chefs d’entreprise devront met­tre en œuvre dans la guerre économique qui s’annonce tou­jours plus vir­u­lente. La com­para­i­son entre les sit­u­a­tions des deux fronts illus­tre, au-delà de ces qual­ités, l’importance d’un envi­ron­nement poli­tique ou admin­is­tratif moins con­traig­nant, une fois l’objectif fixé.


Pour en savoir plus : Le front des Alpes : une armée invaincue

http://max-schiavon-histoire.doomby.com/pages/content/juin-1940-la-guerre-des-alpes.html

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