Le commerce mondial au risque de l’environnement

Dossier : Environnement : les relations Nord SudMagazine N°647 Septembre 2009
Par Gabrielle MARCEAU

Les opin­ions exprimées dans ce texte sont per­son­nelles à l’au­teur et ne lient ni les mem­bres ni le Secré­tari­at de l’OMC.

REPÈRES
L’OMC est avant tout un forum dans lequel les gou­verne­ments négo­cient des règles visant à prévenir les restric­tions au com­merce et à empêch­er cer­taines actions pro­tec­tion­nistes. Les négo­ci­a­tions se déroulent sous forme de cycles. Dans le cycle actuel de Doha, l’agenda con­tient plus d’une ving­taine de sujets différents.
Au sein des comités de l’OMC (comité sur l’agriculture, comité sur les sub­ven­tions, etc.), les gou­verne­ments dis­cu­tent et pren­nent des déci­sions con­cer­nant la mise en oeu­vre des règles accep­tées en com­mun. Les mem­bres doivent noti­fi­er les lois et autres instru­ments régle­men­taires affec­tant les échanges commerciaux.
Lorsque des dif­férends survi­en­nent entre mem­bres, les gou­verne­ments ont la pos­si­bil­ité de les soumet­tre à l’Organe de règle­ment des dif­férends, sorte de « tri­bunal » interne en deux instances.
Enfin le Secré­tari­at de l’OMC offre aux mem­bres un appui sous forme d’expertise et de formation.

Entrée en vigueur en 1995, l’OMC (con­tin­u­a­trice des actions de l’an­cien GATT) dis­pose de com­pé­tences prin­ci­pale­ment com­mer­ciales et con­tient essen­tielle­ment des règles et dis­ci­plines à des­ti­na­tion des gou­verne­ments à l’ex­clu­sion des par­ti­c­uliers et entre­pris­es. Lorsque des entre­pris­es font face à des prob­lèmes com­mer­ci­aux causés par d’autres gou­verne­ments, ces entre­pris­es doivent se plain­dre auprès de leur pro­pre gou­verne­ment qui, s’il le juge per­ti­nent, pour­ra soulever la ques­tion bilatérale­ment avec le gou­verne­ment con­cerné, porter le débat dans les forums de l’OMC, ou, si néces­saire, pour­suiv­re le gou­verne­ment qui aurait adop­té une loi, un règle­ment, ou une pra­tique con­traire aux règles de l’OMC.

L’Or­gan­i­sa­tion a qua­tre grandes fonc­tions et offre des forums pour la négo­ci­a­tion, l’ad­min­is­tra­tion des accords négo­ciés et la sur­veil­lance de leur mise en oeu­vre, le règle­ment des dif­férends entre les mem­bres et la for­ma­tion technique.

Favoriser le commerce en combattant le protectionnisme

Une équipe réduite mais efficace
Le Secré­tari­at de l’OMC est très petit et très effi­cace : entre 500 et 700 per­son­nes ; son bud­get est de moins du tiers de celui de l’OCDE. Le Secré­tari­at a formelle­ment très peu de pou­voirs, mais informelle­ment son exper­tise dans des sujets poin­tus lui per­met d’avoir une cer­taine influ­ence par l’in­ter­mé­di­aire des propo­si­tions des mem­bres et des prési­dents des groupes de négo­ci­a­tions et de travail.

L’ob­jec­tif prin­ci­pal des règles de l’OMC est de favoris­er le com­merce en facil­i­tant l’ou­ver­ture des marchés et en inter­dis­ant cer­taines actions pro­tec­tion­nistes, tout en per­me­t­tant aux gou­verne­ments de don­ner la pri­or­ité à des objec­tifs non com­mer­ci­aux, tels que la pro­tec­tion de l’environnement.

Ces règles con­ti­en­nent des principes fon­da­men­taux appelés ” oblig­a­tions d’ac­cès au marché ” qui sont : l’oblig­a­tion de respecter les max­i­mums tar­i­faires négo­ciés pour chaque pro­duit ; l’oblig­a­tion d’éviter toute dis­crim­i­na­tion entre marchan­dis­es sim­i­laires importées (clause de la nation la plus favorisée) et entre marchan­dis­es importées et nationales sim­i­laires (oblig­a­tion du traite­ment nation­al) ; et l’in­ter­dic­tion de main­tenir à la fron­tière des quo­tas et autres restric­tions quan­ti­ta­tives non justifiées.

L’oblig­a­tion du traite­ment nation­al est cer­taine­ment une règle fon­da­men­tale du sys­tème juridique OMC au titre de laque­lle les gou­verne­ments s’en­ga­gent à ne pas traiter les marchan­dis­es importées de façon moins favor­able que les marchan­dis­es nationales ” sim­i­laires “. Bien que son appli­ca­tion demeure déli­cate, les gou­verne­ments restent autorisés à dis­tinguer des marchan­dis­es sim­i­laires en se fon­dant sur l’une des jus­ti­fi­ca­tions énon­cées dans les dis­po­si­tions d’ex­cep­tions de l’ar­ti­cle XX et donc à les traiter dif­férem­ment sur le plan commercial.

Cray­on et crayon
Qu’en­tend-on par ” marchan­dis­es sim­i­laires ” ? Deux crayons physique­ment iden­tiques sont-ils ” sim­i­laires ” si l’un est fab­riqué en vio­la­tion des normes min­i­males de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement et que, à l’in­verse, l’autre a respec­té les règles du développe­ment durable ? L’in­stance de règle­ment des dif­férends de l’OMC a répon­du de la manière suiv­ante : lorsque deux marchan­dis­es sont en con­cur­rence, elles sont pré­sumées sim­i­laires et doivent a pri­ori être traitées sans dis­crim­i­na­tion sur un marché donné.

Bœuf aux hormones
Un exem­ple d’ap­pli­ca­tion du principe de cohérence est celui du bœuf aux hor­mones. Un pays ne respectera pas le principe de cohérence s’il inter­dit les impor­ta­tions de bœuf aux hor­mones au motif qu’il con­sid­ère ces dernières dan­gereuses, alors qu’il tolère la présence de ces mêmes hor­mones dans d’autres viandes.

Faire prévaloir des objectifs environnementaux

L’ar­ti­cle XX du GATT pose les excep­tions per­me­t­tant aux mem­bres de l’OMC de déroger, par exem­ple, à la règle du traite­ment nation­al afin de pour­suiv­re des objec­tifs fondés notam­ment sur la pro­tec­tion de la san­té, l’en­vi­ron­nement ou bien encore la moral­ité publique.

En inter­pré­tant de façon “évo­lu­tive” cet arti­cle, et en soulig­nant notam­ment la référence expresse à l’ob­jec­tif du “développe­ment durable” énon­cé dans le préam­bule de l’OMC, le tri­bunal de l’OMC a posé les principes de réc­on­cil­i­a­tion entre com­merce et san­té, mais égale­ment com­merce et envi­ron­nement. Les principes jurispru­den­tiels dégagés ont per­mis d’as­soci­er oblig­a­tions com­mer­ciales et la pro­tec­tion de l’environnement.

Il est en effet un principe spé­ci­fique à l’OMC que les excep­tions, dont celles touchant à l’en­vi­ron­nement, ne doivent pas être inter­prétées stricte­ment. Elles sont aus­si impor­tantes que les oblig­a­tions générales et en cas de lit­ige, le tri­bunal devra s’as­sur­er qu’un ” équili­bre ” est main­tenu entre les intérêts com­mer­ci­aux et envi­ron­nemen­taux. Chaque pays demeure libre de déter­min­er le ” niveau de pro­tec­tion ” désiré, sous réserve de demeur­er ” cohérent ” et de s’ab­stenir de restric­tions déguisées et de protectionnisme.

Les États peu­vent égale­ment main­tenir des stan­dards nationaux plus élevés que les stan­dards inter­na­tionaux sous réserve de jus­ti­fi­ca­tion. Un principe essen­tiel veut que les mesures nationales con­formes et com­pat­i­bles avec les stan­dards inter­na­tionaux exis­tants (négo­ciés dans des forums spé­cial­isés) soient pré­sumées com­pat­i­bles avec les règles de l’OMC, même si elles sont restric­tives pour le com­merce. Il s’ag­it là encore d’une appli­ca­tion du principe de cohérence

Ne pas traiter les marchan­dis­es importées de façon moins favor­able que les marchan­dis­es nationales « similaires »

En effet, à l’OMC, se négo­cient essen­tielle­ment et qua­si-exclu­sive­ment des réduc­tions de droits de douane et de sub­ven­tions ; les stan­dards inter­na­tionaux et autres normes inter­na­tionales sont négo­ciés dans d’autres forums d’ex­perts comme le Codex ou l’ISO. L’OMC donne cepen­dant aux stan­dards inter­na­tionaux une valeur juridique impor­tante : quand un mem­bre applique et respecte les normes et stan­dards inter­na­tionaux exis­tants, son action est pré­sumée com­pat­i­ble avec les règles de l’OMC même si elle restreint le com­merce international.

Quant au test de com­pat­i­bil­ité, une mesure nationale, a pri­ori con­traire aux règles de base du GATT-OMC, peut être jus­ti­fiée aux ter­mes de l’ar­ti­cle XX si elle ” est apte à con­tribuer matérielle­ment à la réal­i­sa­tion de la poli­tique visée — comme la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement “. L’im­por­tance de la valeur — san­té publique, envi­ron­nement, etc. — pro­tégée par la mesure nationale est cru­ciale dans la déter­mi­na­tion de la com­pat­i­bil­ité de même mesure avec les règles de l’OMC. Par exem­ple dans le con­flit France-Cana­da sur l’ami­ante, le tri­bunal a statué que la pro­tec­tion de la san­té était la plus grande valeur humaine.

Un cas d’école
Dans l’af­faire Brésil-CE — Pneus rechapés, l’Or­gane d’ap­pel a con­staté que l’in­ter­dic­tion par le Brésil d’im­porter des pneus rechapés était ” à même d’ap­porter une con­tri­bu­tion impor­tante à la réal­i­sa­tion de son objec­tif ” à savoir la réduc­tion des vol­umes de pneus de rebut qui peu­vent avoir des effets très néfastes sur l’en­vi­ron­nement et la san­té. Alors même que la mesure con­testée n’é­tait pas idéale, le tri­bunal a néan­moins con­staté que les solu­tions de rechange pro­posées par la CE, qui avaient un car­ac­tère essen­tielle­ment cor­rec­tif (mesures de ges­tion et d’élim­i­na­tion des déchets), n’é­taient pas de véri­ta­bles sub­sti­tuts à l’in­ter­dic­tion d’im­porter, qui seule pou­vait empêch­er l’ac­cu­mu­la­tion de tels pneus. Le tri­bunal a recon­nu que cer­tains prob­lèmes com­plex­es liés à l’en­vi­ron­nement peu­vent être traités unique­ment au moyen d’une poli­tique glob­ale com­prenant de mul­ti­ples mesures inter­dépen­dantes. Il a souligné que les résul­tats obtenus grâce à cer­taines actions — par exem­ple des mesures adop­tées en vue de lut­ter con­tre le réchauf­fe­ment de la planète et le change­ment du cli­mat — peu­vent unique­ment être éval­ués avec le recul néces­saire. Il est dif­fi­cile de con­cevoir un test qui donne plus d’im­por­tance au droit des mem­bres de pro­téger l’environnement.

Enfin, il est égale­ment impor­tant de soulign­er qu’aux ter­mes de l’ar­ti­cle XX les mem­bres qui veu­lent pro­téger l’en­vi­ron­nement doivent tenir compte du niveau de développe­ment de chaque mem­bre expor­ta­teur. L’ar­ti­cle XX exige que les pays présen­tant les mêmes ” con­di­tions ” soient traités de façon sim­i­laire ; ces con­di­tions se réfèrent égale­ment au niveau de développe­ment des mem­bres. Dans l’af­faire USA — Crevettes, les mesures améri­caines inter­dis­ant les impor­ta­tions de crevettes en prove­nance de pays qui n’avaient pas de poli­tiques visant la pro­tec­tion des tortues ont été jus­ti­fiées au regard de l’ar­ti­cle XX. Cette jus­ti­fi­ca­tion a été admise à con­di­tion que les pays en développe­ment expor­ta­teurs de crevettes puis­sent pêch­er selon leurs pro­pres méth­odes (dif­férentes de la méth­ode améri­caine) et que des flex­i­bil­ités addi­tion­nelles soient mis­es en place pour autoris­er les pêcheurs qui s’é­taient uni­latérale­ment imposé le respect de ces exi­gences, même en l’ab­sence de mesures nationales, de pou­voir exporter leurs crevettes à des­ti­na­tion des États-Unis.

Entre protectionnisme et protection

Une posi­tion claire du tribunal
Rap­pelons la déci­sion du tri­bunal de l’OMC dans la pre­mière affaire qui con­cer­nait l’en­vi­ron­nement. Le Brésil et leV­enezuela avaient pour­suivi les États-Unis pour avoir adop­té un règle­ment sur la pol­lu­tion qui traitait plus sévère­ment l’essence importée que l’essence pro­duite nationale­ment. Les États-Unis ont per­du à cause de cette dis­crim­i­na­tion non jus­ti­fiée mais le tri­bunal ajou­ta à la fin de son rap­port que sa déci­sion ne sig­nifi­ait pas que la capac­ité de tout mem­bre de l’OMC de pren­dre des mesures pour pro­téger l’en­vi­ron­nement était en cause.

En con­clu­sion, l’OMC s’oc­cupe essen­tielle­ment du com­merce, mais recon­naît que les gou­verne­ments doivent égale­ment pour­suiv­re d’autres objec­tifs, dont celui du ” développe­ment durable “. En cas de lit­ige, le rôle prin­ci­pal de l’OMC est de véri­fi­er que la mesure nationale con­testée par un autre mem­bre soit jus­ti­fi­able en ce qu’elle pro­tège effec­tive­ment l’environnement.

Les excep­tions ne doivent pas être inter­prétées strictement

L’OMC cherche à détecter et à inter­dire le pro­tec­tion­nisme, tout en per­me­t­tant cer­taines ” pro­tec­tions “, comme le droit de pro­téger l’en­vi­ron­nement. La fron­tière entre pro­tec­tion­nisme et pro­tec­tion peut cepen­dant être ténue. Il appar­tient aux pays d’en dis­cuter et de négoci­er dans les forums per­ti­nents de l’OMC. En cas de désac­cord, il revien­dra au tri­bunal de l’OMC de tranch­er et de décider si les jus­ti­fi­ca­tions invo­quées par le pays qui restreint le com­merce sont valides et appliquées de bonne foi. D’une manière générale, la pra­tique des États con­firme qu’il leur est aisé de favoris­er les échanges tout en pro­tégeant l’environnement.

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