Le Chemin de Charles

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°550 Décembre 1999Par : François DELIVRÉ (67)Rédacteur : Hélène REUSS (sœur de Paul Reuss, 60)

Voici un livre éton­nant, sur­prenant comme une tour­mente. Le titre n’a l’air de rien, il est sage comme un cahi­er d’écolier, Le Chemin de Charles, et le prélude nous intrigue : est-ce le rêve de l’auteur lorsque, en tabli­er gris, il jouait à la guerre à l’ombre du don­jon de Vincennes ?

Mais voilà que le spec­ta­cle s’anime, le théâtre d’ombres passe au pre­mier plan et nous nous retrou­vons au pre­mier rang, mêlés aux acteurs d’une épopée invraisem­blable, où les coups de théâtre alter­nent avec les coups bas : 1940, Charles de Gaulle.

Plus moyen de faire arrière, nous sommes embar­qués, par l’ampleur du style et la vigueur des mots, dans un voy­age à la fois his­torique et intérieur à la recherche du “héros ”. Celui du livre, c’est Charles de Gaulle. Mais en vérité, le seul héros qui fascine François Deliv­ré c’est le héros intérieur qui som­meille au coeur de tout être humain, si banale soit apparem­ment sa vie.

L’auteur nous emmène aux som­bres heures de mai­juin 1940, lorsque la France écrasée par l’armée alle­mande cher­chait à com­pren­dre, à se repren­dre, et chance­lait chaque jour davan­tage. S’appuyant sur une solide recherche his­torique, mais en la mag­nifi­ant de son intu­ition et de son lyrisme, il nous fait voy­ager avec le même tal­ent entre les événe­ments intimes et les grandes fresques nationales. Obser­vant en secret les grands de ce monde, nous lisons leurs pen­sées secrètes et sommes témoins de leur générosité et de leurs lâchetés. Leurs paroles son­nent comme des impré­ca­tions ou des murmures.

Par quel strat­a­gème l’auteur a‑t-il pu recon­stru­ire les paroles échangées, comme s’il les avait lui-même notées comme un secré­taire con­scien­cieux ? Com­ment a‑t-il pu retrou­ver les ricane­ments du Führer, les bougonnements de Churchill, les impa­tiences de Charles de Gaulle ?

Com­ment peut-il nous faire ressen­tir la peur qui tenaille les sol­dats de Dunkerque et le désar­roi des civils sur la route de l’exode, lui qui n’était pas encore de ce monde ? Com­ment lui sont venues ces scènes oniriques où les fan­tômes ren­con­trent les vivants ? Com­ment a‑t-il pu évo­quer la toute-puis­sance de Dieu, spec­ta­teur de la folie des hommes, et lui don­ner la parole dans cette invraisem­blable et pour­tant réelle céré­monie des vain­cus à Notre- Dame, le 20 mai 1940 ?

Quar­ante-deux tableaux se suc­cè­dent, d’où émerge avec de plus en plus de vigueur la stature de Charles de Gaulle, sym­bole de ceux qui savent s’emparer de leur des­tin quand celui-ci passe à portée de main.

Le Chemin de Charles n’est pas le énième livre hagiographique sur le Chef de la France libre, mais la descrip­tion, de l’intérieur, de ce qu’est une démarche héroïque. Et nous sen­tons dans les quelques inter­mèdes extraits des mémoires de guerre du cap­i­taine Deliv­ré, son père, toute la ten­dresse respectueuse pour un héros de l’ombre emporté dans une guerre qui l’emporte.

Le tal­ent de François Deliv­ré, c’est de nous con­va­in­cre par cette lec­ture écla­tante que nous sommes tous des héros en puis­sance, héros de l’ombre ou de lumière selon notre des­tinée, mais tous capa­bles de pren­dre si néces­saire notre pro­pre chemin d’héroïsme.

Le Chemin de Charles étonne, mais si vous acceptez de vous laiss­er décon­cert­er, vous n’oublierez cer­taine­ment pas cette Chan­son de geste des Temps modernes.

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