L’année de formation humaine et militaire : des expériences “ inestimables ”

Dossier : ExpressionsMagazine N°554 Avril 2000Par : Hervé CORBÉ

L’année de for­ma­tion humaine et mil­i­taire au sein d’organismes civils ou mil­i­taires, c’est d’abord la décou­verte d’une ville, d’un milieu pro­fes­sion­nel. Que ce soit au tra­vers du sou­tien sco­laire en Zone d’éducation pri­or­i­taire, de l’animation dans les asso­ci­a­tions “L’Enfant à l’hôpital ”, “ La Main à la pâte ” ou “ Arts et Développe­ments ”, les poly­tech­ni­ciens décou­vrent les dif­fi­cultés du quo­ti­di­en : ils con­sta­tent les échecs, qu’ils soient sco­laires, famil­i­aux ou pro­fes­sion­nels. Ces ser­vices deman­dent, selon le colonel André, une cer­taine “ force morale, un don de soi qui n’est pas offert à tous, ain­si que des qual­ités de juge, d’animateur tout autant que de psy­cho­logue ”.

Piliers d’angles

L’association Piliers d’Angles, basée à Paris, cherche à réin­sér­er des jeunes délin­quants en les impli­quant sur des chantiers de travaux publics. Les élèves poly­tech­ni­ciens, chefs de chantier, diri­gent des jeunes exclus par l’échec sco­laire, et des moins jeunes, par le chô­mage ou l’alcoolisme.

Jean-Noël Vidal, inté­gré cette année dans l’association, a d’abord tra­vail­lé deux mois comme ouvri­er. Il a alors décou­vert le monde des chantiers, monde incon­nu pour lui. Après s’être beau­coup trompé, avoue-t- il, sur les délais dans ces pre­miers devis, il explique : “J’ai appris à pinailler avec les clients, et tenir compte de la per­son­nal­ité de nos employés. Le rela­tion­nel, sur le ter­rain, est cap­i­tal. Mais dans l’association, le tra­vail avec les bénév­oles néces­site aus­si de la patience.”

Sur le chantier, Jean-Noël dis­cute avec les ouvri­ers, éval­ue avec eux le temps de fini­tion. En ren­trant, il con­fie : “ À nav­iguer entre les chantiers, les journées devi­en­nent éprou­vantes mais si je le pou­vais, je resterais là tout le temps. On y apprend telle­ment de choses, que ce soit au niveau pra­tique ou humain. ”

La Main à la pâte

L’opération La Main à la pâte a été lancée en 1996, à l’initiative du pro­fesseur Georges Charpak, prix Nobel de physique 1992, d’Yves Quer­ré, ancien DGAE de l’X et de Pierre Léna, tous trois mem­bres de l’Académie des sci­ences. Elle favorise l’enseignement des sci­ences à l’école pri­maire. En classe, les ani­ma­teurs, dont les élèves poly­tech­ni­ciens, organ­isent des expéri­ences sci­en­tifiques avec des moyens très sim­ples (à voir sur le site : www.inrp.fr/lamap/).

Prin­ci­pale dif­fi­culté : la rel­a­tive incom­préhen­sion entre les insti­tu­teurs d’une part et les académi­ciens qui sont à l’origine des pro­jets d’autre part. L’élève poly­tech­ni­cien doit com­pos­er avec les envi­ron­nements de cha­cun : réal­ité de la classe d’un côté, et haute sphère intel­lectuelle de l’autre.

Comme l’expliquait très bien l’une des X 99 par­tic­i­pant à cette asso­ci­a­tion : “ Le pro­jet de départ est excel­lent mais son appli­ca­tion n’est pas tou­jours émise de manière con­crète par les académi­ciens. Le mes­sage reçu par les insti­tu­teurs demeure confus. ”

Jeunes équipes de travail (JET)

Les étab­lisse­ments des Jeunes équipes de tra­vail (JET) ont été créés il y a douze ans par l’amiral Brac de la Per­rière pour accueil­lir des jeunes délin­quants après leur pre­mière con­damna­tion. Il souhaitait met­tre en place une alter­na­tive à la prison dans une struc­ture mil­i­taire. Il avait con­staté le manque essen­tiel de repères chez ces jeunes. Doré­na­vant, les juges peu­vent pro­pos­er, à cer­tains jeunes, des cen­tres de réin­ser­tion JET en lieu et place de la prison.

Incor­porés pour trois mois, ces jeunes sont occupés par dif­férentes tâch­es : entre­tien des espaces verts, des bâti­ments, déblayage des chemins, mais aus­si foot­ing et sports col­lec­tifs. La mus­cu­la­tion reste leur activ­ité préférée.

Les jeunes suiv­ent aus­si des for­ma­tions pro­fes­sion­nelles et surtout (c’est l’un des prin­ci­paux attraits de ce stage) ils peu­vent pass­er le per­mis de conduire.

Les poly­tech­ni­ciens sou­ti­en­nent les jeunes sco­laire­ment et, en tant que chefs d’équipes, ils doivent égale­ment appren­dre à gér­er un groupe.

Pour Math­ieu Poulet, X 98, cette expéri­ence fut extrême­ment for­ma­trice. Il a décou­vert au tra­vers des dis­cus­sions avec les jeunes “ la face cachée ” des sys­tèmes judi­ci­aires et péni­ten­ti­aires. Les retours sont for­mi­da­bles car “ on s’est occupé d’eux comme jamais aupar­a­vant ”. De son côté, cette expéri­ence l’a trans­for­mé : “ Elle m’a apporté respon­s­abil­ité et con­fi­ance en moi. Je me sens en par­ti­c­uli­er beau­coup mieux pour abor­der une inter­ven­tion face à une équipe de travail. ”

Huit mois en prison

La Brigade des sapeurs-pom­piers de Paris (BSPP)

À l’arrière du four­gon, les vis­ages des jeunes pom­piers sont ten­dus. Pour­tant quelques min­utes aupar­a­vant, l’atelier de pre­miers sec­ours se déroulait dans la bonne humeur.

Sur le feu qui a lieu dans un entre­pôt, Arnaud de la Fos­se Marin (X 99) doit diriger la manoeu­vre pour la pre­mière fois. C’est en effet son pre­mier jour de garde en tant que chef d’équipe.

Après les pre­mières con­stata­tions, notam­ment une odeur tenace de pro­duit chim­ique, Arnaud doit faire “le tour du feu” pour éval­uer les pos­si­bil­ités d’extension de l’incendie. Son inquié­tude aug­mente : la pièce située à côté con­tient de la colle et du bois, tan­dis que der­rière se trou­ve une imprimerie. Sur les con­seils de l’adjudant Bel­bachir, Arnaud fait appel à un sec­ond four­gon. Finale­ment, l’incendie reste con­finé à la pièce, grâce aux murs anti-feu.

Le cen­tre de pom­piers d’Aulnay-sous- Bois fait par­tie de la 13e com­pag­nie de la BSPP. Les pom­piers de Paris sont, avec les marins pom­piers de Mar­seille, les seuls pom­piers mil­i­taires de France. Leur orig­ine remonte au XVIIe siè­cle après le grand incendie de Paris. Situés au milieu des cités d’Aulnay-sous- Bois, les pom­piers sont eux aus­si con­fron­tés à la vio­lence des ban­lieues sous la forme de poubelles ou de voitures enflam­mées. L’assistance à per­son­ne occupe une grande par­tie de leur temps d’intervention.

Pour Arnaud, cette expéri­ence est “ ines­timable ”. Venu de la Mar­tinique pour ren­tr­er en class­es pré­para­toires à Paris, il ne con­nais­sait pas du tout le monde des ban­lieues. Le con­tact avec les autres mem­bres de la brigade, que ce soit le cap­i­taine de com­pag­nie ou les sapeurs est excel­lent. “ La cohé­sion est indis­pens­able ici, encore plus qu’ailleurs. Si le temps me le per­met, j’aimerais bien devenir pom­pi­er volontaire. ”

Nou­veauté par­mi les ser­vices civils pro­posés aux X 99 : deux poly­tech­ni­ciens ont été affec­tés à la mai­son d’arrêt de Fleury-Mér­o­gis. Alain Her­mann s’occupe de sou­tien sco­laire et de la créa­tion d’un jour­nal interne. Là encore, les réal­ités sont for­ma­tri­ces. Alain Her­mann a notam­ment sen­ti que les rap­ports étaient quelque­fois très ten­dus entre les détenus et les gar­di­ens de prison.

Arts et développements

Dans les quartiers nord de Mar­seille, l’association Arts et développe­ments pro­pose aux jeunes la pra­tique de la pein­ture. Les artistes pein­tres, accom­pa­g­nés d’animateurs, débar­quent avec pinceaux, gouach­es et grandes feuilles blanch­es au pied des immeubles. Les enfants vien­nent, s’essayent à la pein­ture. Ils peu­vent ramen­er chez eux leurs “ œuvres ” mais les lais­sent sou­vent à l’association qui col­lec­tionne ain­si des dessins d’enfants depuis dix ans.

Les ani­ma­teurs, par­mi lesquels se trou­vent des poly­tech­ni­ciens, les accom­pa­g­nent, les con­seil­lent et les encour­a­gent. Les ate­liers sont suiv­is d’un débrief­ing durant lequel les mem­bres de l’association analy­sent les réac­tions des enfants et leur évolution.

Pour se famil­iaris­er avec la pein­ture, les poly­tech­ni­ciens sont for­més trois heures par semaine à l’école des Beaux-arts. Là encore, la décou­verte du monde de la pein­ture d’un coté et des quartiers nord de Mar­seille de l’autre favorise l’ouverture d’esprit des X.

Éducation nationale

Les ser­vices civils en col­lèges et lycées de Zone d’éducation pri­or­i­taire, qu’ils soient à Mul­house, Toulouse, ou à Saint-Denis, con­fron­tent les poly­tech­ni­ciens à l’échec sco­laire et au prob­lème de l’intégration.

Là aus­si, ils décou­vrent des dif­fi­cultés d’encadrement, par exem­ple les atti­tudes opposées d’un pro­viseur et de son adjoint en lycée pro­fes­sion­nel : “ Alors que le pre­mier descend régulière­ment dans les ate­liers, note un poly­tech­ni­cien, et con­naît rel­a­tive­ment bien les élèves (avec qui le con­tact passe bien), le sec­ond reste dans son bureau la plu­part du temps.

Résul­tat : quand il descend dans les ate­liers, il est paniqué par l’ambiance qui y règne et il lui arrive sou­vent de coller des class­es entières. ”

Les tables rondes

Les tables ron­des organ­isées par la DFHM (Direc­tion de la for­ma­tion humaine et mil­i­taire de l’École) au mois de jan­vi­er de l’année de for­ma­tion humaine et mil­i­taire rassem­blent quelques-uns des élèves dis­séminés aux qua­tre coins de la France, pour assur­er la con­ti­nu­ité de l’esprit de pro­mo­tion acquis à Barcelonnette.

C’est aus­si l’occasion de faire le point sur l’activité de l’année en cours. Par­mi les griefs des élèves fig­urent l’absence sou­vent remar­quée des dirigeants sur le ter­rain et l’absence d’évaluation des pro­jets menés. Sauront-ils s’en sou­venir quand ils seront ingénieurs ?

Les élèves évo­quent égale­ment l’importance du “ côté rela­tion­nel ” de leur tra­vail. Alain Her­mann par­le ain­si de “ mosaïque de per­son­nes très dif­férentes qui nous amène à user de beau­coup de psy­cholo­gie”. De façon encore plus mar­quée, Jean-Noël Vidal con­state dans ses rap­ports avec les bénév­oles : “On ne peut pas être froid et unique­ment pro­fes­sion­nel avec les gens ; l’affectif entre énor­mé­ment en compte et c’est sou­vent dif­fi­cile à gérer. ”

Le lieu­tenant-colonel Francesci, com­man­dant de la pro­mo­tion 99, observe chez ses élèves “beau­coup plus d’autonomie, de respon­s­abil­i­sa­tion, de mat­u­ra­tion qu’à Barcelon­nette, où ils venaient nous voir pour nous deman­der tout et n’importe quoi ”. Il insiste sur le but péd­a­gogique de cette année et sur l’importance du rela­tion­nel dans le tra­vail. Aux élèves qui s’occupent d’échec sco­laire, il affirme : “ C’est une plaie ter­ri­ble pour la société actuelle et vous devez y réfléchir très sérieuse­ment, pas seule­ment du point de vue pro­fes­sion­nel, mais aus­si pour votre rôle de futurs parents. ”

Enfin, il ne faut pas oubli­er les élèves qui effectuent leur ser­vice au sein des dif­férents corps de l’armée, qu’ils com­man­dent des sec­tions, nav­iguent sur des bateaux ou sur­veil­lent des bases. Eux aus­si assu­ment des respon­s­abil­ités et diri­gent des équipes d’adultes… on en oublie qu’ils sont âgés d’une ving­taine d’années.

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