La science et l’avenir de l’homme

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°608 Octobre 2005Par : Sous la direction scientifique de Dominique LECOURTRédacteur : Jacques BOURDILLON (45)

Mar­cel Ger­mon nous pro­pose un grand-angle sur l’avenir par­ti­cu­liè­re­ment réus­si avec quatre tables rondes sur le thème de la science. De quels ave­nirs s’agit-il ? Celui de la socié­té, celui de l’espèce humaine, celui de la pla­nète, avec en prime celui de notre bon­heur col­lec­tif. Ce dos­sier a été éla­bo­ré sous la direc­tion de Domi­nique Lecourt, avec le concours de cher­cheurs, phi­lo­sophes, indus­triels et res­pon­sables poli­tiques, au total une ving­taine de par­ti­ci­pants de grande qua­li­té, par­mi les­quels Phi­lippe Kou­rils­ky (62), Fede­ri­co Mayor, Domi­nique Schnap­per, Ber­nard Kouch­ner et Ray­mond Barre.

J’y ai trou­vé sur­tout une contri­bu­tion à la lutte contre la déses­pé­rance actuelle et la peur de l’incertain, à la défense de la science à une époque où elle est dénon­cée sou­vent avec viru­lence par les esprits les plus culti­vés, à un retour à la vie qui ne peut s’opérer sans prise de risque, à la relance d’une aide au Tiers-monde, à la recherche de nou­veaux pro­jets pour la France et l’Europe.

Danièle Her­vieu-Léger rap­pelle que les tra­di­tions reli­gieuses peuvent ali­men­ter deux dis­cours oppo­sés : celui d’une vision catas­tro­phiste de la science, celui d’une croyance en la toute-puis­sance de la science. Elle estime par ailleurs que le vieux com­bat entre science et reli­gion n’est pas ter­mi­né : aujourd’hui encore, cer­tains sys­tèmes reli­gieux ins­tru­men­ta­lisent la science pour confor­ter leurs théories.

Quelques par­ti­ci­pants ne cachent pas leur inquié­tude face à cet ave­nir incer­tain et choi­sissent clai­re­ment le camp de la pré­cau­tion.

Pas­cal Picq ne sou­haite pas que l’idée d’évolution soit syno­nyme de pro­grès, et ne sou­haite pas que l’homme conti­nue de se poser en “maître et pos­ses­seur de la nature”.

Pierre-Hen­ri Gouyon s’oppose à l’introduction des bio­tech­no­lo­gies dans l’alimentation et dans l’agriculture (notam­ment parce que Mon­san­to y trouve son pro­fit), et va jusqu’à dire que les arra­cheurs de champs d’OGM ne sont peut-être pas les per­sonnes les plus frileuses.

Domi­nique Bourg, qui craint les effets dom­ma­geables des tech­no­lo­gies nou­velles sur l’environnement et la san­té, vou­drait limi­ter le “ pou­voir du scien­ti­fique ”. Domi­nique Bourg avait fait l’éloge de la tech­nique il y a dix ans dans un livre que j’avais beau­coup aimé, L’homme arti­fice, dans lequel il rap­pe­lait que c’est grâce aux outils et autres arte­facts qu’il a lui-même confec­tion­nés que l’homme est par­ve­nu à s’arracher à l’animalité. Il m’a sem­blé que son auteur est deve­nu bien pru­dent avec le temps, et j’ai un peu la nos­tal­gie du Domi­nique Bourg des années qua­tre­vingt- dix, anthro­po­cen­trique, et audacieux.

Les autres, pour la plu­part, sachant par­fai­te­ment que l’on ne peut vivre sans risques, choi­sissent le camp de l’audace.

Étienne Klein refuse de mettre en doute les idéaux fon­da­teurs de notre civi­li­sa­tion et défi­nit notre socié­té comme une socié­té du risque.

Phi­lippe Kou­rils­ky estime que le monde poli­tique est beau­coup trop igno­rant des pro­blèmes de la science, et pas assez convain­cu de ses approches inno­vantes ; pour lui, la source du déve­lop­pe­ment se trouve dans la connais­sance, il regrette que nous vivions dans le monde du “temps court ” alors que le déve­lop­pe­ment et les vraies réformes sup­posent un “ temps long ”. Il consi­dère que l’abus du prin­cipe de pré­cau­tion consti­tue une réac­tion d’esquive.

Pierre Léna milite pour une meilleure édu­ca­tion sus­cep­tible de faire com­prendre l’intérêt de la science et l’utilité de la tech­nique, et rap­pelle que Gali­lée dis­tri­bua sa fameuse “ lunette ” aux Flo­ren­tins, pour qu’ils puissent “ juger par eux-mêmes ” ; il fait l’éloge de l’initiative de Georges Char­pak “ La main à la pâte ”.

Alain Pro­chiantz qui admire la vita­li­té intel­lec­tuelle de la science anglo-saxonne se fait le porte-parole d’une relance de la recherche scien­ti­fique en Europe.

Je pro­po­se­rai trois conclu­sions emprun­tées à Nico­las Bave­rez, Ber­nard Kouch­ner et Ray­mond Barre.

La révo­lu­tion tech­no­lo­gique a été et demeure une source duale de pro­grès et de risques majeurs, mais à face à cela, l’Europe conti­nen­tale se défi­nit par cinq vides : un vide démo­gra­phique, un vide stra­té­gique, un vide démo­cra­tique, un vide éco­no­mique et social, un vide scien­ti­fique, le tout assor­ti d’une aver­sion pour le risque et l’innovation… Il est grand temps de réagir.

Il faut aider les pays du Tiers-monde qui font par­tie inté­grante de notre ave­nir : l’éradication de la variole à l’échelle de la pla­nète a été un écla­tant suc­cès de la mon­dia­li­sa­tion (et de la science).

Le bon­heur col­lec­tif sup­pose que l’on réa­lise ensemble des pro­jets : quels que soient ses défauts, la IVe Répu­blique en a réa­li­sé beau­coup, sous la Ve nous avons fait face aux chocs pétro­liers en construi­sant des cen­trales nucléaires. La France du XXIe siècle man­que­rait-elle de projets ?

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