La science au service des sportifs

Dossier : TrajectoiresMagazine N°751 Janvier 2020
Par Hervé KABLA (84)

En 2018 Romain Lab­bé (M15) et Jean-Philippe Bouch­er (2015) ont créé Phyling pour dévelop­per des cap­teurs de force inté­grés à l’équipement sportif, qui per­me­t­tent un retour en temps réel et une analyse de don­nées utiles à l’amélioration des per­for­mances et à la préven­tion des blessures.

Quelle est l’activité de Phyling ? 

Phyling accom­pa­gne les entraîneurs, les sportifs de haut niveau et les chercheurs dans la col­lecte et l’analyse des don­nées utiles à l’amélioration des per­for­mances et à la préven­tion des blessures. Notre solu­tion allie cap­teurs de force inté­grés à l’équipement sportif, retour en temps réel et analyse de don­nées. L’idée est de mon­tr­er aux entraîneurs ce qui est invis­i­ble, notam­ment les forces en jeu lors d’un mou­ve­ment, par exem­ple la force exer­cée par un rameur sur sa rame. Tra­vailler sur ces élé­ments per­met aux ath­lètes d’objectiver leur pra­tique et d’améliorer leurs performances. 

L’un des pre­miers cap­teurs que nous avons conçus est une queue de détente instru­men­tée pour le tir, dévelop­pée pour l’équipe de France de pen­tathlon mod­erne qui l’utilise quo­ti­di­en­nement à l’entraînement. L’entraîneur s’en sert pour visu­alis­er le geste de ses ath­lètes et véri­fi­er leur répéta­bil­ité. Au rug­by, nous avons un brevet sur un cram­pon instru­men­té per­me­t­tant de mesur­er les forces à l’interface entre le ter­rain et la chaus­sure et de faire de la préven­tion de blessure en direct. 

Comment vous est venue l’idée ?

L’idée a émergé pen­dant nos thès­es au lab­o­ra­toire Lad­HyX à l’École poly­tech­nique sous la direc­tion de Christophe Clan­et. Nous avons tous les deux tra­vail­lé sur la physique de l’aviron, ce qui nous a amenés à ren­con­tr­er des entraîneurs et sportifs de haut niveau. La tech­nolo­gie que nous avions dévelop­pée et notre savoir-faire dans le domaine de la mesure d’effort intéres­saient beau­coup les sportifs. Nous avons ain­si com­mencé à tra­vailler sur deux pro­jets : le tir et le rug­by et, avant la fin de nos thès­es, nous avions déjà 30 000 euros de devis signés pour des pre­miers prototypes. 

Quel est le parcours des fondateurs ? 

Romain est diplômé de l’ENS de Cachan en mécanique et Jean-Philippe de l’X avec une spé­cial­i­sa­tion en mécanique des flu­ides. Nous avons suivi le même mas­tère de mécanique des flu­ides et avons ensuite réal­isé nos thès­es au Lad­HyX, où nous avons beau­coup tra­vail­lé ensem­ble. Inven­tif et créatif, Romain est excel­lent pour imag­in­er et fab­ri­quer de nou­veaux cap­teurs et de nou­velles solu­tions tech­niques. Avec un pro­fil plus « matheux » et rigoureux, Jean-Philippe est, lui, chargé de la par­tie analyse de don­nées et retour utilisateur. 

Qui sont les concurrents ? 

Nous avons assez peu de con­cur­rents directs sur le marché du sport de haut niveau, car très peu d’entreprises pro­posent des cap­teurs d’effort adap­tés. Cer­taines entre­pris­es offrent la pos­si­bil­ité d’analyser la per­for­mance à par­tir d’enregistrements vidéo ou de mesures ciné­ma­tiques sou­vent obtenues avec des accéléromètres. Mais ces solu­tions plutôt grand pub­lic sont délais­sées par les sportifs de haut niveau en rai­son de leur manque de pré­ci­sion et de fiabilité. 

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ? 

D’octobre 2018 à mars 2019, nous avons été accélérés à X‑Up. Nous avons ain­si béné­fi­cié d’un accom­pa­g­ne­ment de très grande qual­ité sur les ques­tions autour de la créa­tion, de la ges­tion d’entreprise et de la pro­priété intel­lectuelle. Phyling a offi­cielle­ment été créée fin novem­bre 2018. Et, en févri­er 2019, nous avons livré nos pre­miers cap­teurs. Nous avons aus­si béné­fi­cié d’une aide de la BPI en juin 2019, qui nous a per­mis de clore une pre­mière phase de développe­ment technique. 

Aux USA, de nombreux sports font un usage massif des données. Est-ce le cas en Europe ?

La col­lecte et l’analyse de don­nées dans le sport sont moins dévelop­pées en Europe qu’aux USA et de façon iné­gale. Le Roy­aume-Uni est par exem­ple con­nu pour avoir beau­coup investi dans ce domaine, notam­ment pen­dant la pré­pa­ra­tion des JO de Lon­dres. En France, le domaine est en plein essor. Mais l’utilisation des don­nées dans le sport de haut niveau reste assez faible à cause du manque de don­nées per­ti­nentes et d’outils adaptés.

L’usage intensif de data ne risque-t-il pas de tuer l’intérêt des compétitions ? 

Je ne le pense pas. Dans le sport de haut niveau, il s’agit d’une course per­pétuelle aux records. La data donne ain­si des out­ils sup­plé­men­taires aux sportifs et aux coachs pour bat­tre de nou­veaux records. Cepen­dant, l’humain reste au cœur de l’action. La data ne fera pas dis­paraître les exploits ou les défaillances. 

… et de signer la fin de carrière des entraîneurs et coaches sportifs ? 

Je ne le pense pas non plus. Notre solu­tion ne se sub­stitue pas à l’entraîneur mais l’aide à adapter ses entraîne­ments. La rela­tion entraîneur-entraîné est extrême­ment impor­tante dans le sport de haut niveau et il est illu­soire de vouloir la rem­plac­er. Mais, grâce à la data, le méti­er d’entraîneur est amené à évoluer, avec notam­ment des for­ma­tions pour utilis­er au mieux ces out­ils très puissants. 

Y a‑t-il des applications pour les contrôles antidopage ? 

Pour le moment, nous tra­vail­lons essen­tielle­ment sur des appli­ca­tions de suivi de per­for­mance et de préven­tion des blessures. Mais on peut facile­ment imag­in­er que les mesures de nos cap­teurs, par exem­ple en cyclisme avec les pédales instru­men­tées que nous avons dévelop­pées ou en avi­ron grâce à nos rames instru­men­tées, pour­raient servir à détecter des per­for­mances anor­males et être util­isées pour cibler des con­trôles antidopage. 

L’homme augmenté est-il l’avenir du sport ? 

Le sportif aug­men­té existe déjà, en par­ti­c­uli­er dans le sport par­a­lympique. Les mon­tres con­nec­tées sont de plus en plus util­isées dans le milieu sportif. Cette ten­dance va très cer­taine­ment se pour­suiv­re car le milieu du sport, par essence, est un réel domaine d’innovation.

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