Itzhak PERLMAN : Une vie

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°708 Octobre 2015Rédacteur : Jean SALMONA (56)Editeur : 59 CD Warner, disponibles séparément.

Parvenu, comme on dit, à l’automne de sa vie, et même s’il est encore plein de pro­jets, un artiste se doit de se retourn­er et de mesur­er le chemin par­cou­ru. Et il éprou­vera, selon le cas, sat­is­fac­tion, fierté, regrets, etc.

© PETER ADAMIK LICENSED TO WARNER CLASSICS

Pour un inter­prète, ses enreg­istrements con­stituent des preuves inef­façables sur lesquelles, avant d’être jugé par la postérité, il se jugera lui-même.

Itzhak Perl­man a 70 ans cette année. Warn­er réédite les enreg­istrements réal­isés pour EMI, Era­to et Teldec : 59 vol­umes dont cer­tains de 2 ou 3 CD, 550 œuvres, grandes et petites, de 110 com­pos­i­teurs de Bach à Chostakovitch. Aucun vio­loniste n’a autant enreg­istré, ni Menuhin, ni Heifetz, ni Oïstrakh.

Devant une telle somme, on se sent d’abord écrasé et scep­tique : certes, Perl­man est un des très grands vio­lonistes con­tem­po­rains. Mais y a‑t-il une unité entre ces inter­pré­ta­tions ? Qu’est-ce qui dis­tingue Perl­man des autres grands inter­prètes des XXe-XXIe siè­cles ? En quoi est-il unique ?

Tout d’abord, on note l’extraordinaire con­cen­tra­tion de ses enreg­istrements sur les œuvres majeures du réper­toire, avec aus­si quelques raretés :

  • Bach : les qua­tre Con­cer­tos (y com­pris pour vio­lon et haut­bois) et l’intégrale des Sonates et Par­ti­tas pour vio­lon seul ;
  • Vival­di : Les Qua­tre Saisons et qua­tre des Con­cer­tos pour violon ;
  • Mozart : le Con­cer­to n° 3 ;
  • Beethoven : le Con­cer­to, les deux Romances, le Triple Con­cer­to (avec Yo-Yo Ma et Baren­boïm), l’intégrale des Trios avec piano (avec Ashke­nazy et Lynn Har­rell) et celle des Trios à cordes, œuvres de jeunesse peu jouées (avec Pin­chas Zuk­er­man à l’alto et Lynn Har­rell), la Sonate à Kreutzer (avec Argerich) ;
  • Brahms : le Con­cer­to, le Dou­ble Con­cer­to (avec Ros­tropovitch), l’intégrale des Trios avec piano et des Sonates et les Dans­es hon­grois­es (avec Ashke­nazy et Lynn Har­rell pour les Trios) ;
  • le Con­cer­to de Mendelssohn, les Con­cer­tos n° 1 et 2 de Max Bruch (le sec­ond très rarement joué) ;
  • Pagani­ni : le Con­cer­to n° 1 et les 24 Caprices ;
  • Tchaïkovs­ki : le Con­cer­to et la Séré­nade mélan­col­ique, le Trio avec piano « à la mémoire d’un grand artiste » (avec Ashke­nazy et Lynn Harrell) ;
  • les Con­cer­tos de Dvo­rak, de Glazounov, de Goldmark ;
  • les deux Con­cer­tos de Wieni­aws­ki, les Con­cer­tos 4 et 5 de Vieux­temps – des raretés ;
  • les Con­cer­tos de Sibelius, de Korn­gold, de Conus (autre rareté) ;
  • les Con­cer­tos de Prokofiev (les deux), de Khatch­a­touri­an, de Chostakovitch le Con­cer­to n° 1, le n° 2 de Bartok ;
  • les rares Con­cer­tos de Castel­n­uo­vo- Tedesco et de Ben-Haïm ;
  • de nom­breuses pièces de musique de cham­bre : la Sonate de Franck (avec Arg­erich), les Duos de Bar­tok (les 44), Prokofiev, Chostakovitch (avec Zuk­er­man), le Diver­ti­men­to et la Suite ital­i­enne de Stravin­s­ki (ver­sions orig­i­nales piano-vio­lon du Bais­er de la fée et de Pul­cinel­la), 4 CD de pièces de Kreisler ;
  • et de nom­breuses pièces qu’il serait trop long de citer ici, notam­ment de jazz avec André Prévin et de musique klezmer.

Nom­bre de ces enreg­istrements sont con­sid­érés comme des mod­èles abso­lus par les grands vio­lonistes de la nou­velle généra­tion comme Renaud Capuçon ou Maxime Vengerov.

Mais, au-delà de ce rôle de gourou du vio­lon mod­erne, que Perl­man ne revendique nulle­ment, de toutes ces inter­pré­ta­tions, qui s’étagent sur plusieurs dizaines d’années, se déga­gent une incroy­able unité et une con­stante. Bien sûr la tech­nique est tran­scen­dante, mais pra­tique­ment tous les vio­lonistes d’aujourd’hui pos­sè­dent une tech­nique parfaite.

Ce sont les couleurs d’une palette infinie, la chaleur du son et la sérénité de son jeu qui le ren­dent unique, quelle que soit l’œuvre jouée.

Pas de recherche de l’« épate » dans les pièces vir­tu­os­es, pas de vibra­to exces­sif à la tzi­gane pour sol­liciter l’auditeur : le lan­gage uni­versel d’un homme ten­dre, chaleureux et généreux qui s’adresse à d’autres hommes et leur com­mu­nique le bon­heur de la musique.

Au total, Itzhak Perl­man peut être con­tent de son bilan : il aura con­sacré sa vie à ren­dre les autres heureux.

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