Inserm : l’organisme leader de la recherche en santé depuis 60 ans

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°793 Mars 2024
Par Didier SAMUEL

Didier Samuel, pré­sident de l’Inserm depuis le 1er février 2023, revient sur le rôle phare et emblé­ma­tique de l’Inserm dans le pay­sage de la recherche en san­té en France et à une échelle euro­péenne et mon­diale depuis plus de 60 ans.

Alors que l’Inserm fête son 60e anniversaire, quels sont sa place et son poids dans le paysage de la recherche en France ?

L’Inserm est l’organisme natio­nal de recherche publique dédié exclu­si­ve­ment à la recherche dans le domaine du bio­mé­di­cal et de la san­té. Son action vise prin­ci­pa­le­ment à mener et faire évo­luer la recherche en san­té pour amé­lio­rer la san­té des patients.

L’Inserm est ain­si le 1er orga­nisme de recherche bio­mé­di­cale en Europe avec une pré­sence dans tous les domaines de la recherche en san­té. Dans ce cadre, nous avons noué des liens avec l’ensemble de notre éco­sys­tème : les uni­ver­si­tés, les autres orga­nismes de recherche, les acteurs du soin, notam­ment les CHU et les centres de lutte contre le cancer…

L’Inserm regroupe près de 260 uni­tés mixtes de recherche. Cha­cune d’entre elles a un par­te­na­riat avec une uni­ver­si­té. C’est aus­si une qua­ran­taine de centres d’investigation cli­nique en co-pilo­tage ou en co-label avec un CHU, la Direc­tion Géné­rale de l’Offre de Soins (dépen­dant du Minis­tère de la San­té et de la Pré­ven­tion), ain­si qu’une qua­ran­taine d’unités mixtes ser­vices, qui sont des pla­te­formes, géné­ra­le­ment mixtes avec l’université ou d’autres par­te­naires, comme le CNRS.

L’Inserm regroupe ain­si près de 9 000 cher­cheurs et tech­ni­ciens répar­tis dans nos uni­tés de recherche en propre. Au glo­bal, cela repré­sente près de 15 000 cher­cheurs qui tra­vaillent dans des uni­tés de recherche que nous diri­geons. Le bud­get annuel de l’Inserm est d’environ 1,2 mil­liard d’euros.

L’Inserm a éga­le­ment véri­ta­ble­ment un pied dans l’innovation, par l’action de sa filiale de trans­fert de tech­no­lo­gie, Inserm Trans­fert, qui est une enti­té de droit pri­vée déte­nue à 100 % par l’Inserm et dont le rôle est de valo­ri­ser la recherche aca­dé­mique. Nous por­tons, par ailleurs, plus de 2 100 familles de bre­vets. Nous sommes le 2e dépo­sant euro­péen dans le sec­teur phar­ma­ceu­tique et le 3e dans le sec­teur des biotechnologies.

Enfin, l’Inserm a un rôle d’alerte et de veille sani­taire, mais aus­si de conseil scien­ti­fique sur les mala­dies infec­tieuses émer­gentes auprès de l’État et des déci­deurs publics au tra­vers de son agence interne, l’ANRS MIE (l’Agence Natio­nale de Recherches sur le Sida et les Hépa­tites virales et les Mala­dies Infec­tieuses Émergentes).

Qu’est-ce que ce positionnement transdisciplinaire implique ?

Nous avons rôle d’orchestration et d’organisation des uni­tés de recherche en san­té sur le ter­ri­toire avec nos par­te­naires uni­ver­si­taires. Pour ce faire, nous déve­lop­pons des stra­té­gies natio­nales de recherche où nous prio­ri­sons les grands thèmes de recherche. Dans ce cadre, nous sommes à la fois un opé­ra­teur de recherche et, récem­ment, comme volon­té du Pré­sident de la répu­blique et de nos minis­tères de tutelle, une agence de pro­gram­ma­tion natio­nale sur la recherche en san­té. Dans ce cadre, nous inter­ve­nons comme pilote ou co-pilote des pro­grammes natio­naux de recherche (Pro­grammes et équi­pe­ments prio­ri­taires de recherche : PEPR) qui ont été mis en place dans le cadre de France 2030. Nous en coor­don­nons ou copi­lo­tons, avec nos par­te­naires les autres orga­nismes de recherche natio­naux, actuel­le­ment 8 sur des thé­ma­tiques dif­fé­rentes et impor­tantes : les mala­dies infec­tieuses émer­gentes, la bio­thé­ra­pie et bio­pro­duc­tion, la nutri­tion, le micro­biote en san­té, la san­té des femmes autour de l’infertilité et de l’endométriose, le numé­rique en san­té, la psy­chia­trie. Nous ambi­tion­nons de nous posi­tion­ner sur deux nou­veaux pro­grammes d’envergure : l’identité cel­lu­laire et les orga­noïdes ou organe sur puce.

L’Inserm est donc au cœur de la recherche en san­té, et contri­bue signi­fi­ca­ti­ve­ment à sa coor­di­na­tion à une échelle natio­nale. Ce posi­tion­ne­ment his­to­rique a été ren­for­cé dans le cadre de la nou­velle mis­sion que l’État nous a récem­ment confiée. En tant qu’agence de pro­gramme, il s’agit pour l’Inserm de coor­don­ner de manière plu­ri-par­te­na­riale la recherche avec l’ensemble de nos par­te­naires et par­ties prenantes.

Au cours des dernières années, nous avons aussi assisté à un regain d’intérêt pour la recherche médicale. Qu’avez-vous pu observer à votre niveau ?

La pan­dé­mie a été un véri­table choc pour la popu­la­tion fran­çaise. Toute la socié­té a pris conscience de l’impact d’une crise sani­taire qui peut para­ly­ser le monde entier pen­dant plu­sieurs mois, et avoir des consé­quences humaines, socié­tales et éco­no­miques majeures.

Ce constat a contri­bué à repla­cer la recherche bio­mé­di­cale, qui avait été délais­sée, au cœur des pré­oc­cu­pa­tions. Dans cette conti­nui­té, le gou­ver­ne­ment a mené plu­sieurs actions struc­tu­rantes comme la Loi de pro­gram­ma­tion de la recherche de 2020. Grâce à cette loi, notre bud­get a été aug­men­té ce qui nous a per­mis de nou­velles com­pé­tences, de reva­lo­ri­ser les salaires, de créer des chaires professorales…

En paral­lèle, le plan France 2030 a un volet entier dédié à la san­té avec la créa­tion de l’Agence de l’Innovation en San­té, la mise en place d’un finan­ce­ment spé­ci­fique sur la san­té, la créa­tion des ins­ti­tuts hos­pi­ta­liers uni­ver­si­taires et des réseaux hos­pi­ta­liers uni­ver­si­taires, de cinq bio­clus­ters, qui ont voca­tion à accé­lé­rer la valo­ri­sa­tion de la recherche aca­dé­mique et la trans­po­si­tion de la recherche aca­dé­mique en médi­ca­ment, en dis­po­si­tif et, in fine, de rap­pro­cher la sphère publique et privée…

En parallèle, le secteur de la HealthTech se structure et se développe de plus en plus en France. Comment l’Inserm s’inscrit-il dans ce cadre ?

L’Inserm s’inscrit tota­le­ment dans cette dyna­mique. Notre filiale Inserm Trans­fert a jus­te­ment été créée il y a déjà une ving­taine d’années pour valo­ri­ser et créer de la valeur autour des recherches aca­dé­miques. Nous déployons ain­si diverses actions afin d’accompagner les cher­cheurs qui déposent des bre­vets ou qui créent une start-up pour valo­ri­ser leurs tra­vaux. Nous faci­li­tons aus­si la mise en rela­tion des start-up ain­si créées avec des inves­tis­seurs, pour faire avan­cer leur pro­jet et, in fine, ame­ner plus vite sur le mar­ché leurs pro­duits, ser­vices ou médi­ca­ments. À date, nous avons les pre­miers résul­tats pour six médi­ca­ments que nous avons contri­bué à mettre sur le mar­ché. Néan­moins, mal­gré ses efforts pour valo­ri­ser la recherche aca­dé­mique, la France accuse tou­jours un retard consi­dé­rable à une échelle mon­diale, il faut donc pour­suivre l’effort d’investissement et de redé­ploie­ment à nou­veau mené depuis quelques années.

L’Inserm est aus­si for­te­ment impli­quée dans les pôles uni­ver­si­taires d’innovation qui viennent d’être label­li­sés par l’État. L’Inserm est ain­si fon­da­teur ou par­te­naire d’une quin­zaine de ces pôles.

Nous sommes aus­si un des membres fon­da­teurs du Pari­San­té Cam­pus qui regroupe les prin­ci­paux acteurs du monde et de l’écosystème Heal­th­Tech numé­rique. Cette ini­tia­tive est une illus­tra­tion concrète du rap­pro­che­ment entre les enti­tés aca­dé­miques et indus­trielles au ser­vice du déve­lop­pe­ment et du ren­for­ce­ment de la HealthTech.

Quel regard portez-vous sur la place des nouvelles technologies ? Et dans ce cadre, quelles sont les pistes que vous explorez ?

Depuis quelques années, nous assis­tons à un déve­lop­pe­ment assez impres­sion­nant, voire expo­nen­tiel, des tech­no­lo­gies de la san­té : la don­née, le numé­rique, l’intelligence arti­fi­cielle, les algo­rithmes, la simu­la­tion, avec les jumeaux numé­riques… Pour accom­pa­gner ce mou­ve­ment de fond, nous capi­ta­li­sons sur notre ins­ti­tut thé­ma­tique scien­ti­fique autour de la tech­no­lo­gie de la san­té. Nous avons, en par­te­na­riat avec d’autres orga­nismes natio­naux de recherche, un PEPR inti­tu­lé numé­rique en san­té, un PEPR sur les orga­noides et un troi­sième sur les bio­thé­ra­pies, des domaines à l’interface entre la recherche médi­cale pure et les nou­velles tech­no­lo­gies de déve­lop­pe­ment d’anticorps et de bioproduits.

Dans la conti­nui­té de la pan­dé­mie, nous avons éga­le­ment assis­té à la créa­tion de syner­gies nou­velles entre les cher­cheurs en san­té, d’une part, et les ingé­nieurs, les mathé­ma­ti­ciens, les bio-géné­ti­ciens, les experts de l’IA, les phy­si­ciens… afin d’explorer ce que les sciences peuvent appor­ter à la recherche en san­té et aux sciences du vivant de manière géné­rale. Aujourd’hui, il y a ain­si de plus en plus de pas­se­relles entre ces domaines au ser­vice du monde de la recherche en san­té et, in fine, des patients.

À l’Inserm, c’est une dyna­mique que nous encou­ra­geons et que nous sou­hai­tons ren­for­cer afin de déve­lop­per des appli­ca­tions cli­niques à forte valeur ajou­tée. Dans cette logique, nous avons notam­ment lan­cé le pro­gramme d’impulsion, inti­tu­lé pro­cé­dures chi­rur­gi­cales et inter­ven­tion­nelles du futur, doté de 1,5 mil­lion d’euros, ou encore le pro­gramme d’impulsion Neu­ro Tech, qui est à la croi­sée des neu­ros­ciences et des tech­no­lo­gies d’imagerie et d’analyse des signaux cérébraux.

Actuellement, quels sont les principaux enjeux auxquels votre secteur est confronté ?

Alors que nous fêtons notre 60e anni­ver­saire, en cette période de forte effer­ves­cence scien­ti­fique, aca­dé­mique et tech­no­lo­gique, l’Inserm se doit de réaf­fir­mer son rôle de chef de file de la recherche en san­té en France, mais aus­si de ren­for­cer son action à un niveau inter­na­tio­nal. Dans ce cadre, nous par­ti­ci­pons acti­ve­ment à la créa­tion de l’agence de pro­gram­ma­tion de la recherche en san­té, en col­la­bo­ra­tion avec nos par­te­naires. L’idée est de mettre en place de nou­veaux pro­grammes de recherche en san­té, tout en pour­sui­vant l’ensemble des actions et des ini­tia­tives en cours.

Au-delà de la réus­site de cette mis­sion nou­velle de pro­gram­ma­tion, il s’agit aus­si de conso­li­der le rôle de nos uni­tés de recherche dans l’écosystème de la recherche française.

L’Inserm est aus­si for­te­ment impli­quée au ser­vice de l’amélioration des condi­tions de tra­vail des cher­cheurs et de tous les col­la­bo­ra­teurs de notre recherche aus­si bien sur le plan orga­ni­sa­tion­nel qu’au tra­vers de la mise en place d’outils et de dis­po­si­tifs visant à sim­pli­fier leur quotidien.

Enfin, notre rôle est aus­si de contri­buer à ren­for­cer l’intérêt et la confiance du grand public dans la science pro­duite par l’Inserm, mais aus­si de les sen­si­bi­li­ser au rôle stra­té­gique de la recherche médi­cale et en san­té afin d’améliorer la san­té de nos conci­toyens.

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