Editorial

Dossier : Le boisMagazine N°578 Octobre 2002
Par Jean-Paul LANLY (57)

Littré définit le bois comme ” la sub­stance dure, com­pacte, solide qui con­stitue les racines, la tige et les branch­es des arbres et arbris­seaux “. La majorité des arbres nais­sent par plan­ta­tion, semis ou régénéra­tion naturelle et vivent dans les forêts (les ” écosys­tèmes forestiers ” des sci­en­tifiques), le bois est ain­si l’un des pro­duits qu’elles ont, de tout temps, four­nis à l’homme, en plus de nom­breux ser­vices envi­ron­nemen­taux et soci­aux : pro­tec­tion des sols, main­tien du débit et de la qual­ité de l’eau, réser­voir de bio­di­ver­sité, puits de car­bone, chas­se et récréa­tion, paysages…

Dans une zone et à une péri­ode don­nées, l’homme doit gér­er la forêt pour obtenir la com­bi­nai­son de pro­duits et ser­vices qu’il en attend. Cette ges­tion a un coût, et force est de con­stater que celui-ci est surtout assuré par la pro­duc­tion du bois. La majorité des nom­breux ser­vices ren­dus par la forêt restent en effet pour l’in­stant ” non marchands “.

Les Français — devenus citadins dans leur grande majorité — aiment générale­ment ” leurs ” forêts, sauf lorsqu’elles devi­en­nent trop envahissantes. Ils ont égale­ment un faible pour le bois. Des enquêtes d’opin­ion mon­trent cepen­dant qu’ils ne font pas bien le lien entre la forêt et le bois, et que, sou­vent, ils ne réalisent pas que les forêts qu’ils aiment sont celles-là mêmes d’où a été extrait le bois qu’ils apprécient.

Bien que ce numéro soit con­sacré au bois, et non pas à la forêt, il est donc impor­tant en préam­bule de rap­pel­er la rela­tion qui lie la vie de la sec­onde et la pro­duc­tion du pre­mier, ce que fait plus en détail le pre­mier arti­cle en présen­tant l’ensem­ble de notre secteur foresti­er. La forêt française est en Europe la troisième en sur­face, der­rière celles de la Suède et de la Fin­lande, deux pays où l’é­conomie forestière tient une place émi­nente dans la vie nationale, et loin devant celle de l’Alle­magne. Elle est au pre­mier rang pour ce qui est du vol­ume total de bois sur pied.

La super­fi­cie totale de nos forêts ne cesse de croître du fait prin­ci­pale­ment de la déprise agri­cole (à un rythme équiv­a­lent à la sur­face moyenne d’un départe­ment tous les sept ans), de même que son vol­ume moyen à l’hectare. La crois­sance annuelle du vol­ume total de bois sur pied est ain­si la plus forte d’Eu­rope, et elle est aug­men­tée par la sous-util­i­sa­tion forte et chronique de nos forêts, ce qui entraîne leur vieil­lisse­ment et dépérissement.

En même temps, l’ensem­ble de la fil­ière bois affiche en per­ma­nence un sol­de négatif, de l’or­dre de 3,5 mil­liards d’eu­ros ces dernières années, soit le deux­ième poste défici­taire de notre bal­ance com­mer­ciale (oui, vous avez bien lu, le deux­ième) der­rière celui des pro­duits pétroliers.

Com­ment en est-on arrivé là, alors que le secteur foresti­er représente près d’un demi-mil­lion d’emplois situés sou­vent dans des régions où l’on cherche juste­ment à main­tenir l’ac­tiv­ité économique ? Pourquoi ce secteur indus­triel n’a t‑il pas fait l’ob­jet d’une poli­tique de développe­ment et de restruc­tura­tion sem­blable à celles dont ont béné­fi­cié, dans les années 50 à 70, des pans entiers de l’in­dus­trie nationale, alors même que des efforts impor­tants de boise­ment et de reboise­ment étaient faits pour recon­stituer et accroître la ressource forestière ? Com­ment expli­quer que la plus grande sci­erie française ne soit que la 27e au niveau européen, et qu’il n’y ait pra­tique­ment plus de fab­ri­cants français impor­tants de machines à bois ? Et pourquoi le sou­tien de l’É­tat au secteur foresti­er est-il, rap­porté à l’hectare de forêt, qua­tre fois plus faible qu’en Alle­magne, et dix fois plus faible qu’en Suisse ? Com­ment se fait-il, enfin, que l’on trou­ve si peu d’an­ciens élèves de l’É­cole poly­tech­nique dans ce secteur indus­triel (d’après l’An­nu­aire de l’AX, une quin­zaine seule­ment — hors recherche -, pra­tique­ment tous dans le sous-secteur papetier) ?


De très nom­breuses raisons, bien sûr, expliquent ain­si que notre économie forestière, qui était la mieux organ­isée au temps de Col­bert, ne soit plus aujour­d’hui dans le pelo­ton de tête européen, mal­gré une ressource con­sid­érable, la qual­ité de la ges­tion de celle-ci et celle des recherch­es sur le bois. Au-delà des fac­teurs cir­con­stan­ciels — comme, par exem­ple, ce qui peut n’ap­pa­raître qu’anec­do­tique bien que dra­ma­tique, à savoir la mort en grand nom­bre de char­p­en­tiers chargés d’é­tay­er les tranchées durant la Grande Guerre -, les raisons de fond n’au­raient-elles pas toutes un fac­teur com­mun cul­turel ? Hasar­dons une hypothèse : ne serait-ce pas qu’à l’in­star des peu­ples de la Méditer­ranée et du Moyen-Ori­ent, et, con­traire­ment à ceux de l’Eu­rope cen­trale et septen­tri­onale — ceux-là mêmes qui ont peu­plé l’Amérique du Nord -, nous n’avons pas, pen­dant longtemps, accordé au bois la même con­sid­éra­tion qu’à la pierre pour la con­struc­tion de nos habi­ta­tions ? En France, en effet, quand on achète une mai­son, on ” investit dans la pierre “.

Les frémisse­ments d’un essor du secteur français du bois sont cepen­dant per­cep­ti­bles, et plusieurs arti­cles de ce numéro le mon­trent. Dans le domaine de la con­struc­tion, et plus générale­ment de l’u­til­i­sa­tion du bois d’œu­vre, ain­si que dans l’ameuble­ment et l’amé­nage­ment intérieur, des pro­grès exis­tent avec notam­ment l’ap­pari­tion de nou­veaux pan­neaux et autres pro­duits ; de même, dans l’emballage en bois, où la France fait déjà bonne fig­ure. Dans celui des indus­tries papetières aus­si où, cepen­dant, il faut en per­ma­nence faire val­oir les avan­tages com­para­t­ifs du ” site France ” pour attir­er les grands groupes inter­na­tionaux qui domi­nent le secteur.

Sans doute le plus grand atout du bois réside-t-il dans ce qu’il est un matéri­au par­ti­c­ulière­ment ” écologique ” : renou­ve­lable, économe en énergie pour ses mul­ti­ples trans­for­ma­tions, source d’én­ergie lui-même, fix­ant le car­bone, recy­clable… Encore faut-il que tous les pro­fes­sion­nels du secteur com­mu­niquent effi­cace­ment sur les ver­tus du bois en direc­tion de citoyens et con­som­ma­teurs de plus en plus soucieux de la pro­tec­tion de leur envi­ron­nement. Cette infor­ma­tion com­mence ” à la source “, avec ” l’é­co­cer­ti­fi­ca­tion “, c’est-à-dire la garantie que le bois util­isé provient de forêts soumis­es à une ” ges­tion durable “. Un autre atout majeur du bois est qu’il se prête à toutes sortes de traite­ments (recon­sti­tu­tion, restruc­tura­tion, com­bi­nai­son avec d’autres matières…) pour don­ner des pro­duits tou­jours plus per­for­mants. Ces atouts devraient lui per­me­t­tre, dans les décen­nies à venir, de mieux con­cur­rencer les autres matéri­aux et con­quérir de nou­veaux marchés ; et de faire en sorte que les ressources forestières con­sid­érables de notre pays soient mieux val­orisées pour le plus grand bien de notre économie… et de nos forêts.

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