Cocktail de fin de colloque

Deuxième colloque de l’AX : les polytechniciens interpellent les politiques

Dossier : ExpressionsMagazine N°721 Janvier 2017
Par Hubert JACQUET (64)

Le compte-ren­du de ce col­loque, mes­sage fort adressé aux poli­tiques — celui d’aborder les réformes sans par­ti pris idéologique, en s’appuyant sur toutes les forces de la nation et en ten­ant un lan­gage de vérité — qui s’est déroulé le 30 novem­bre 2016 dans le grand amphithéâtre du Con­seil économique social et envi­ron­nemen­tal devant près de 400 personnes. 

Les doc­u­ments du col­loque — brochure et vidéos — sont présen­tés en sept arti­cles dans la rubrique “ Les pub­li­ca­tions internes AX & JR ” acces­si­ble dans la page d’ac­cueil. Le pre­mier arti­cle, présen­ta­tion générale et vidéos résumées com­porte des liens vers les suivants

Ouvrant la séance, Bruno Angles, prési­dent de l’AX, a rap­pelé la volon­té de l’AX de ren­forcer l’expression de la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne dans le débat pub­lic, en s’appuyant sur deux valeurs fortes de notre enseigne­ment : la rigueur sci­en­tifique et le sens de l’intérêt général. Les six mois qui vien­nent sont l’occasion d’exprimer nos points de vue. 

Les débats, sous forme de tables ron­des ani­mées par Cyrille Lachèvre, jour­nal­iste économique à L’Opinion, ont été cen­trés sur qua­tre enjeux : l’énergie, le numérique, l’insertion sociale et l’emploi.

ÉNERGIE : RENOUER LES FILS DU DIALOGUE ENTRE POLITIQUES ET EXPERTS

UNE MANIFESTATION TRÈS SUIVIE

C’est près de 400 personnes – dont un tiers de non X – qui ont suivi ces débats dans le grand amphithéâtre du Conseil économique social et environnemental. Les participants ont été accueillis dès 13 heures. La séance de travail a commencé à 14 heures et s’est terminée à 19 heures par un cocktail qui a permis de poursuivre les échanges jusqu’à 21 heures.

La pre­mière table ronde a réu­ni Didi­er Hol­leaux (79), DGA d’Engie, Hervé Machenaud (68), ex-DG d’EDF, Claude Mandil (61), ancien DGEMP et ancien directeur exé­cu­tif de l’AIE, et Claire Tute­nu­it, déléguée générale d’EpE.

La dis­cus­sion a été axée sur la ques­tion de la tran­si­tion énergé­tique. Elle a mis en évi­dence les dif­fi­cultés à fix­er une ligne poli­tique effi­cace, car celle-ci doit s’inscrire dans la durée alors que les min­istres changent fréquem­ment. Ce sont des sujets dif­fi­ciles à abor­der en rai­son de leur com­plex­ité et du car­ac­tère con­tre-intu­itif des mesures à prendre. 

Les pro­grès tech­niques changent régulière­ment la donne économique : les éner­gies renou­ve­lables devi­en­nent plus com­péti­tives et la baisse des coûts de stock­age de l’électricité est aujourd’hui un enjeu essen­tiel. Les con­som­ma­teurs doivent être impliqués et la com­mu­ni­ca­tion sera impor­tante pour les amen­er à mod­i­fi­er leurs habi­tudes de vie. 

En ce qui con­cerne les modal­ités de cette tran­si­tion, si la décar­bon­a­tion est bien con­sid­érée comme urgente, encore faut-il en pré­cis­er la nature, en choi­sis­sant notam­ment la place du nucléaire dans le mix énergé­tique. Quant aux éner­gies renou­ve­lables, la ques­tion est de moins en moins celle de leur coût de pro­duc­tion – vu les gains con­statés et espérés – et de plus en plus celle du coût de leur stockage. 

“ La baisse des coûts de stockage de l’électricité est un enjeu essentiel ”

Les débats entre les experts réu­nis autour de la table ronde ont bien mon­tré qu’il n’y avait pas encore de con­sen­sus entre les opti­mistes pour qui les solu­tions exis­tent ou seront rapi­de­ment déploy­ables et ceux qui met­tent en avant les dif­fi­cultés à résoudre, en par­ti­c­uli­er celle des capac­ités à installer pour faire face aux pointes de con­som­ma­tion dans un secteur où la part des coûts fix­es est prépondérante. 

La décar­bon­a­tion est aus­si un sujet qui con­cerne tous les pays : la France ne saurait agir isolé­ment. La taxe car­bone est un bon out­il et l’accord de Paris (COP 21) ouvre la voie à de vrais pro­grès au plan mondial. 

Sur ces sujets dif­fi­ciles, le dan­ger pour les poli­tiques est de pren­dre des engage­ments trop pré­cis : le manque de réal­isme des promess­es ou les aléas de la con­jonc­ture leur don­neront vite tort et les décrédi­bilis­eront. Par con­tre, ils gag­neront à plus dia­loguer avec les experts pour mieux ori­en­ter et expli­quer leurs décisions. 

NUMÉRIQUE : MOBILISER LES FINANCEMENTS,
ADAPTER LA FISCALITÉ ET LE CADRE LÉGISLATIF

“ Ne chercher qu’à parer les menaces du numérique, c’est se priver des opportunités ”

Erwan Le Pen­nec (D 2002), pro­fesseur asso­cié à l’X, Axel Dauchez (88), fon­da­teur de Make.org, Gaëlle Olivi­er- Tri­om­phe (90), direc­trice générale AXA P & C, et Jean-Dominique Cham­bore­don (82), prési­dent exé­cu­tif du fonds ISAI & coprési­dent de France Dig­i­tale ont débat­tu des con­di­tions à réu­nir pour que la trans­for­ma­tion numérique soit une chance pour la France, aus­si bien par la créa­tion d’emplois directs que par les con­séquences induites dans la vie des entre­pris­es, des admin­is­tra­tions et des citoyens. 

Dévelop­per des acteurs français et européens pour ne pas subir davan­tage une forme de coloni­sa­tion améri­caine implique que soient mis en place des mécan­ismes pour amen­er l’épargne longue à s’investir mas­sive­ment dans ce secteur. 

OSONS RÉFORMER

Jean-Paul Bailly (65) a dirigé et transformé la RATP puis La Poste. Fort de cette expérience largement décrite dans un livre qu’il vient de publier, il a invité les politiques à changer leur approche des réformes à entreprendre.
Plutôt que de se focaliser sur le contenu – le quoi –, il leur faudrait se préoccuper de la méthode : le pourquoi, le quand, et surtout le comment. Le calendrier de la réforme, le partage du diagnostic, l’implication et la responsabilisation de tous les acteurs, la décentralisation de la mise en œuvre permettent de réformer par le dialogue et la confiance.

Dans un monde qui change très vite, faire de la numéri­sa­tion une chance pour tous implique de faire évoluer sans délai et en per­ma­nence notre cadre lég­is­latif et régle­men­taire, en se gar­dant d’être tou­jours sur la défen­sive. Car ne chercher qu’à par­er les men­aces – pro­téger des don­nées ou des métiers –, c’est se priv­er des oppor­tu­nités qui se présen­tent, en par­ti­c­uli­er la créa­tion d’acteurs français sur les marchés qui apparaissent. 

De nom­breuses start-ups voient le jour dans le monde numérique, mais il serait bon que l’ensemble de la société adopte une atti­tude pos­i­tive et fasse preuve d’audace, à l’instar de ce que l’on observe dans de nom­breux pays d’Asie.

INSERTION : DÉVELOPPER L’ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES EN DIFFICULTÉ

La 3e table ronde devait réu­nir Claire Hédon, prési­dente d’ATD Quart Monde, Nico­las Tru­elle (80), directeur général des Appren­tis d’Auteuil et Lionel Stoléru (56) qui voulait présen­ter son pro­jet de revenu uni­versel. Mal­heureuse­ment, les travaux ont eu lieu sans ce dernier, vic­time le jour même d’un malaise ayant entraîné son décès. 

“ Ces mesures ont un coût très inférieur aux bénéfices humains, sociaux et économiques attendus ”

Les mes­sages qu’ils ont adressés aux poli­tiques sont nom­breux : chang­er le regard des autres sur les plus dému­nis ; dévelop­per un accom­pa­g­ne­ment basé sur une prise en charge glob­ale (loge­ment, aide à l’éducation des plus petits, for­ma­tion, etc.) ; faciliter l’accès aux droits et aux dis­posi­tifs de sou­tien ; combler le fos­sé entre le sys­tème édu­catif et le monde de l’entreprise ; mesur­er l’efficacité des dis­posi­tifs avant de les généralis­er ou les remplacer 

Quant à la créa­tion d’un revenu uni­versel, elle présen­terait certes l’avantage de sim­pli­fi­er la vie des plus pau­vres, mais il faut être vig­i­lant sur les modal­ités. Le mot de la con­clu­sion fut « ayons de l’audace » : si ces mesures ont un coût, il est très inférieur aux béné­fices humains, soci­aux et économiques attendus. 

CHÔMAGE : ORGANISER UN GRENELLE DE L’EMPLOI

Chris­tel Hey­de­mann (94), Senior Vice Pres­i­dent Cor­po­rate Strat­e­gy, Alliances & Devel­op­ment de Schnei­der Elec­tric, Fran­cis Kra­marz (76), directeur du CREST et Gilles Mirieu de Labarre, prési­dent de Sol­i­dar­ités nou­velles face au chô­mage ont eux aus­si appelé les poli­tiques à une vraie ambi­tion, en rup­ture avec la « préférence française pour le chômage ». 


La séance de tra­vail s’est ter­minée à 19 heures par un cock­tail qui a per­mis de pour­suiv­re les échanges jusqu’à 21 heures.
© ÉCOLE POLYTECHNIQUE — J.BARANDE

Les visions idéologiques sont con­tre-pro­duc­tives : tax­er les salaires de plus d’1 mil­lion d’euros ne rap­porte presque rien mais dis­suade des grands groupes de s’installer ou se dévelop­per en France. 

Organ­isons donc un véri­ta­ble Grenelle de l’emploi ! Nos maux vien­nent d’institutions qui ont atteint leurs lim­ites : il faut les réformer rapi­de­ment pour béné­fici­er des oppor­tu­nités qui se mul­ti­plient. Réformer le marché du tra­vail, c’est aus­si réformer le marché des biens et services. 

Tir­er par­ti des nou­veaux marchés implique de revoir le mode d’action de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle : sur 32 mil­liards d’euros, seule­ment 4 ser­vent aux chômeurs. 

Enfin, il faut revoir notre sys­tème de représen­ta­tion qui ne donne pas la parole à ceux qui devraient parler. 

DIALOGUER AVEC LE MONDE POLITIQUE SANS ESPRIT PARTISAN

En con­clu­sion de cette demi-journée, Claude Bébéar (55), prési­dent du Col­loque, a souligné la qual­ité des mes­sages adressés aux poli­tiques : moins d’idéologie, plus de bon sens et une approche sci­en­tifique en matière d’énergie ; une poli­tique auda­cieuse de sou­tien à la trans­for­ma­tion numérique ; une mobil­i­sa­tion intense sur les ques­tions d’insertion qui con­stituent un enjeu majeur avec les migrants et la trans­for­ma­tion numérique ; et une véri­ta­ble ambi­tion en matière d’emploi.

Le mot de la fin est revenu à Bruno Angles. Répon­dant à Claude Bébéar qui sug­gérait d’autres thèmes de débat – la sécu­rité sociale, les retraites, le com­mu­nau­tarisme, l’emploi à vie, le salari­at –, il a annon­cé que le Con­seil de l’AX se saisir­ait de cette proposition.

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