Court traité de l’âme

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°636 Juin/Juillet 2008Par : Philippe LAZAR (56)Rédacteur : Bernard FERNANDEZ (56)

Couverture du livre : Court traité de l'âmeQu’adviendra-t-il de moi lorsque je mour­rai ? Les reli­gions nous dis­ent que quelque chose de moi sur­vivra, un être d’une autre nature. Les grandes reli­gions monothéistes enseignent que cet être, « l’âme », aura une vie éter­nelle. Dans son essai court et per­cu­tant, Philippe Lazar pro­pose une autre idée, qui ne fait appel à aucune tran­scen­dance ni à aucune reli­gion. L’une des car­ac­téris­tiques les plus fon­da­men­tales de la vie, dit-il, c’est qu’un être vivant est un sys­tème ouvert. Je ne vis que par mes échanges avec le monde qui m’entoure, et chaque échange avec un autre être laisse une trace dans mon esprit, un sou­venir, une émo­tion. Par­tant de ce con­stat, Philippe Lazar pro­pose d’appeler « âme » l’ensemble du réseau com­plexe des traces que j’ai lais­sées chez toutes les per­son­nes avec qui j’ai pu avoir une rela­tion. Réseau com­plexe en effet, et en con­stante évo­lu­tion, deux per­son­nes qui me con­nais­sent pou­vant très bien dis­cuter entre elles et mod­i­fi­er l’idée, le sou­venir, qu’elles ont de moi, trans­for­mant ain­si mon image, mon « âme ».
Cette déf­i­ni­tion posée, Philippe Lazar note (p. 21) qua­tre pro­priétés de cette « âme » : « Elle m’accompagne depuis ma con­cep­tion, elle con­stitue l’essence de ce qui m’identifie auprès de mes sem­blables en tant qu’être humain, elle se sépare de mon corps quand la vie le quitte, et elle a la capac­ité de lui sur­vivre. » Sim­ples con­stata­tions, direz-vous, mais c’est là que les choses com­men­cent à se corser.

Si cette « âme » dépend de moi, elle con­serve cepen­dant son autonomie. Je ne peux pas la chang­er facile­ment, ni rapi­de­ment, car les traces que j’ai lais­sées chez mes sem­blables ne s’effaceront pas d’un coup de baguette mag­ique, et c’est d’ailleurs la rai­son pour laque­lle elle me sur­vivra pen­dant un temps plus ou moins long.

Mes par­ents, mes amis dis­parus ont lais­sé chez moi, et chez d’autres, une trace indélé­bile, mais qui fini­ra par dis­paraître. Et l’âme de Mozart est encore bien vivante, sans par­ler de celles de Mon­taigne ou de Socrate. L’âme est un être col­lec­tif, ce qui lui assure con­ti­nu­ité et longévité.
Philippe Lazar nous entraîne alors sur des chemins sur­prenants, tou­jours sous-ten­dus par une logique implacable.

Prenons l’exemple d’un de ces chemins. Cha­cun d’entre nous a une âme, dit-il, donc je peux con­sid­ér­er, en regard de l’espace habituel des corps, un espace des âmes. Mieux, je peux, sur cet espace, définir une topolo­gie par­ti­c­ulière, une prox­im­ité, une « dis­tance » entre deux âmes, qui dépen­dra des critères retenus pour décider que deux âmes sont proches ou non.

Philippe Lazar mon­tre que cer­taines topolo­gies définis­sent ain­si (p. 82) des « entités abstraites, des con­cepts nour­ris de références his­toriques, géo­graphiques, soci­ologiques, eth­niques, lin­guis­tiques, et, pour les plus évoluées d’entre elles, artis­tiques ou lit­téraires » ; en un mot des cul­tures. Par sa nature même, une cul­ture s’inscrit dans l’espace des âmes. Point cru­cial : une cul­ture est un ensem­ble flou, il n’y a pas de fron­tière nette entre deux cul­tures. Pré­cisons que chaque « âme » peut naturelle­ment faire par­tie de plusieurs cul­tures. Philippe Lazar démonte ain­si le piège du com­mu­nau­tarisme, qui veut enfer­mer les corps dans des « cul­tures » uniques, néga­tion de ce qu’est pré­cisé­ment une culture.

C’est un livre court, comme son titre l’indique (130 pages), mais dense, et riche de pen­sée. Un style dépouil­lé, vif et alerte en rend la lec­ture très agréable et facile, mais ne vous y trompez pas ! il vous fau­dra le relire, et sans doute y revenir. Philippe Lazar nous four­nit là des clés inédites pour renou­vel­er notre réflex­ion sur les sujets essen­tiels : la vie, la mort, l’amour, la cul­ture, l’art.

Poster un commentaire