Les participants au colloque de l'École polytechnique sur le développement durable

Chercher, former et agir pour le développement durable : Un colloque scientifique international organisé par l’X

Dossier : 225e anniversaire de l'École polytechniqueMagazine N°749 Novembre 2019
Par Hubert JACQUET (64)

Le 7 juin dernier s’est déroulé sur le plateau un col­loque qui a con­sti­tué l’acte fon­da­teur de l’engagement de l’École poly­tech­nique pour inscrire le développe­ment durable comme pili­er stratégique de son évolution.

Ce fut une journée qui fera date dans l’histoire de l’École à Palaiseau. Deux prix Nobel liés à l’X – Jean Tirole a été élève de la pro­mo­tion 1973 et Gérard Mourou y est pro­fesseur et mem­bre du Haut-col­lège –, un secré­taire d’État polon­ais ancien prési­dent de la Cop24, Michał Kur­ty­ka (94), Mar­i­on Guil­lou (73), mem­bre du Haut con­seil pour le cli­mat, Valérie Mas­son-Del­motte, direc­trice de recherche au CEA, Éric Labaye (84), prési­dent de l’École poly­tech­nique, Benoît Leguet (97), prési­dent d’X‑Environnement, Jean-Marc Jan­covi­ci (81), cofon­da­teur de Carbone4, Philippe Drobin­s­ki, pro­fesseur asso­cié à l’X et directeur du LMD, et bien d’autres per­son­nal­ités du monde de l’enseignement, de la recherche et de l’industrie, nous ont dess­iné les con­tours d’un futur durable dans lequel la sci­ence et la tech­nolo­gie joueront un rôle essen­tiel pour la déf­i­ni­tion et la mise en œuvre des poli­tiques comme pour les straté­gies industrielles.

Éric Labaye, présentant le colloque de l'X sur le développement durable
Éric Labaye (84), prési­dent de l’École polytechnique.

Un engagement qui se décline en cinq mesures

En ouvrant la séance, Éric Labaye a annon­cé cinq mesures qui per­me­t­tront à l’X de faire du développe­ment durable le pili­er de son évo­lu­tion. Tous les élèves, sans excep­tion, recevront une for­ma­tion au développe­ment durable. Un cer­ti­fi­cat « développe­ment durable » sera créé pour tous les étu­di­ants du cam­pus. Un cen­tre pluridis­ci­plinaire de recherche bap­tisé Energy4Climate sera mis sur pied. Le cam­pus sera amé­nagé avec l’objectif d’atteindre la neu­tral­ité en matière d’émission de car­bone. Enfin, un chal­lenge inter­na­tion­al sur le développe­ment durable sera lancé.

Une orientation essentielle pour les étudiants

Cette ori­en­ta­tion en faveur du développe­ment durable est par­ti­c­ulière­ment indis­pens­able aux yeux des jeunes étu­di­ants, ce qu’ont rap­pelé lors de leur prise de parole Mar­got Bes­se­iche (2017) et Benoît Hal­gand (2017) qui par­ticipèrent active­ment au lance­ment, en sep­tem­bre 2018, du Man­i­feste pour un réveil écologique porté par les élèves de cinq grandes écoles et à la mise sur pied de la journée de mobil­i­sa­tion du 15 mars 2019. Ces deux séquences d’ouverture ont été suiv­ies de tables ron­des qui ont per­mis d’aborder les mul­ti­ples aspects des fan­tas­tiques chal­lenges à relever pour con­tenir le réchauf­fe­ment cli­ma­tique et « répar­er » la planète.

Des élèves polytechniciens présentent le Manifeste pour un réveil écologique
Mar­got Bes­se­iche (2017) et Benoît Hal­gand (2017) qui ont par­ticipé au lance­ment du Man­i­feste pour un réveil écologique par les élèves de cinq grandes écoles.

Science et géopolitique

Face à ces défis, le rôle de la sci­ence est d’informer les poli­tiques sur la nature et l’ampleur des risques, de pro­pos­er des solu­tions et de trac­er des chemins en s’appuyant sur une démarche mul­ti­dis­ci­plinaire. Évo­quant le dernier rap­port de l’IPCC (Inter­na­tion­al Pan­el on Cli­mate Change, créé par l’ONU), Valérie Mas­son-Del­motte a insisté sur l’urgence qu’il y a à agir : chaque demi-degré en plus compte, chaque année per­due aus­si et chaque choix est impor­tant car il ne faut sac­ri­fi­er per­son­ne. Michał Kur­ty­ka a renchéri sur ce dernier point en soulig­nant que la sobriété était une option, mais pas la pau­vreté. Il a surtout insisté sur la néces­sité de créer un cadre pour ren­dre effec­tif l’accord de Paris en dépit des ten­ta­tions de repli et de pro­tec­tion­nisme qui tra­versent beau­coup de pays. Point de vue que partage Scott Bar­rett, pro­fesseur à l’Université Colum­bia, qui a insisté sur le fait que les défis à relever deman­dent une déter­mi­na­tion sans précédent.

Vers une économie décarbonée

Modifier les comportements

Le pas­sage à une économie décar­bonée implique d’amener l’ensemble des acteurs con­cernés – par­ti­c­uliers, entre­pris­es, admin­is­tra­tions, pays… – à mod­i­fi­er leur com­porte­ment. Pour Jean Tirole, la per­sua­sion et les incan­ta­tions ne suff­isent plus face à l’urgence des change­ments et il faut s’appuyer sur deux out­ils effi­caces : la taxe car­bone et les droits d’émission par pays. Ces inci­ta­tions sont effi­caces, comme on a pu le con­stater chez cer­tains de nos voisins européens. Encore faut-il qu’elles soient accep­tées par les citoyens, ce qui néces­site une péd­a­gogie très active et la mise en place de com­pen­sa­tions pour ceux qui seront les plus pénalisés.

Le coût de la transition

Jean Tirole pense aus­si qu’il faut se garder de leur­rer l’opinion publique : nous n’aurons pas le beurre et l’argent du beurre, c’est-à-dire plus d’emplois, plus de pou­voir d’achat et une planète sauvée, même si notre capac­ité à innover per­met de faciliter la tran­si­tion énergé­tique. Une tran­si­tion qui néces­sit­era d’énormes investisse­ments, l’enjeu étant d’amener les investis­seurs à met­tre leurs fonds dans les pro­jets qui ser­vent cette cause. Benoît Leguet souligne que c’est le cou­ple ren­de­ment-risque de ces pro­jets qui pose sou­vent problème.

Quelques pistes

Il faut donc trou­ver des voies pour lever cette dif­fi­cultés, par exem­ple par des sub­ven­tions ou par la créa­tion de fonds d’amorçage. Jean-Marc Jan­covi­ci pro­pose des mesures plus rad­i­cales qu’il décine dans 9 séries d’actions qui visent, par exem­ple, à ne plus utilis­er de char­bon dans 30 ans ou ramen­er la con­som­ma­tion des voitures à 2 litres/100 km. Et il en a prof­ité pour dire qu’à ses yeux il serait stu­pide de vouloir faire baiss­er la pro­duc­tion d’électricité d’origine nucléaire en France.

Camille Duprat lors du colloque de l'École polytechnique sur le développement durable
Camille Duprat du Lab­o­ra­toire d’hydrodynamique.

La recherche au service du développement durable

Com­ment la recherche peut-elle con­tribuer au développe­ment durable ? La réponse a été don­née à tra­vers qua­tre exem­ples. Tout d’abord, Gérard Mourou a exposé les travaux qui lui ont valu le prix Nobel 2018 (voir encadré). Puis Philippe Dobrin­s­ki a présen­té le pro­jet Trend’X (voir J & R n° 740, décem­bre 2018), ini­tia­tive lancée en 2014 qui con­naît un nou­v­el essor dans le cadre de l’Institut Poly­tech­nique de Paris. Ensuite Bérengère Leben­tal (2003) a décrit les nanocap­teurs dévelop­pés par le LPICM. Peu encom­brants et très peu coû­teux, ils sont indis­pens­ables pour garan­tir à long terme la qual­ité de l’eau, de l’air et de notre cadre de vie. Enfin, Camille Duprat du Lab­o­ra­toire d’hydrodynamique a expliqué com­ment la recherche a per­mis de rad­i­cale­ment amélior­er l’efficacité des filets recueil­lant l’eau potable à par­tir des brouil­lards qui sont fréquents en mon­tagne dans les zones arides.

Gérard Mourou lors du colloque scientifique sur le développement durable organisé à l'École polytechnique
Gérard Mourou, pro­fesseur, mem­bre du Haut-col­lège de l’X, prix Nobel de physique 2018.

Vivre durablement sur la planète

Nourrir la planète

Il reve­nait à Shenggen Fan, directeur général de l’Institut inter­na­tion­al de recherche sur les poli­tiques ali­men­taires, d’ouvrir les débats sur deux sujets vitaux : nour­rir 10 mil­liards d’habitants en 2050 et leur per­me­t­tre de respir­er un air sain. Le défi est de pro­duire à la fois plus et mieux, en dimin­u­ant les besoins en intrants, en énergie, sur un espace non exten­si­ble. Les pro­grès tech­nologiques en cours ou atten­dus ne suf­firont pas si des poli­tiques ali­men­taires ne sont pas déployées.

Réduire les gaspillages

En par­ti­c­uli­er il est impor­tant de réduire les gaspillages et d’amener les hommes à adapter leurs régimes ali­men­taires en réduisant leur con­som­ma­tion de pro­téines. Mar­i­on Guil­lou, qui fut PDG de l’INRA de 2004 à 2012, pense que ces change­ments sont indis­pens­ables et con­state que les jeunes généra­tions y sont prêtes. Elle pense aus­si néces­saire de soutenir les efforts de recherche, de dévelop­per les échanges mon­di­aux pour pou­voir répon­dre aux deman­des de tous et de faciliter l’accès aux den­rées les plus saines.

Respirer un air sain

Markus Amann, spé­cial­iste autrichien des pol­lu­tions de l’air, a rap­pelé que celles-ci sont à l’origine d’importants prob­lèmes de san­té – on évoque le chiffre de 8 mil­lions de décès pré­maturés. Même si les pays dévelop­pés ont réal­isé d’importants pro­grès en la matière, ces pro­grès restent insuff­isants et il faut aus­si tenir compte de l’urbanisation crois­sante et de la démo­gra­phie des pays émer­gents. Les solu­tions ne man­quent pas, mais il faut des poli­tiques pour les appli­quer en con­juguant les préoc­cu­pa­tions de san­té, de cli­mat et d’énergie. Ce fut l’occasion pour Matthieu Coutière (91), directeur général d’Air Seren­i­ty, de présen­ter la solu­tion dévelop­pée par sa société pour puri­fi­er l’air des apparte­ments, en par­ti­c­uli­er en élim­i­nant les molécules chim­iques les plus nocives 1.


Une solution radicale pour les déchets nucléaires

Gérard Mourou, prix Nobel de physique 2018, récom­pense qu’il partage avec la cana­di­enne Don­na Strick­land, a inven­té une tech­nique laser per­me­t­tant d’obtenir des puis­sances con­sid­érables, ce qui ouvre la voie à de nom­breuses appli­ca­tions, dont la trans­mu­ta­tion des élé­ments radioac­t­ifs. Réduire la durée de vie des déchets radioac­t­ifs de 1 mil­lion d’années à 30 min­utes est désor­mais envis­age­able, et ce à des coûts très inférieurs à ce qu’on savait faire auparavant.


Le big data au service du développement durable

Disposer de grandes plateformes de données

Pour ren­dre effi­caces et cohérentes, voire sim­ple­ment pos­si­bles, toutes les mesures ou amélio­ra­tions qui per­me­t­tront de relever les immenses défis de demain, il est indis­pens­able de dis­pos­er de grandes plate­formes de don­nées. Pour illus­tr­er ce besoin, Gré­go­ry Labrousse, prési­dent et fon­da­teur de nam.R, société spé­cial­isée dans ce domaine et spon­sor du Col­loque, évoque le cas de l’automobile : elle sert 4 % du temps, alors qu’elle représente 10 % du PIB ! Il y a là un immense marché à con­di­tion d’avoir les out­ils pour exploiter en par­ti­c­uli­er de grandes bases de don­nées. Ce n’est qu’un cas par­mi bien d’autres : on peut évo­quer les cir­cuits d’approvisionnement courts pour l’alimentation, l’optimisation des pro­grammes de réno­va­tion des logements…

Eviter une surconsommation de ressources techniques

Pour Emmanuel Bacry, pro­fesseur et respon­s­able de l’Ini­tia­tive Data Sci­ence à l’École poly­tech­nique, il faut aus­si se souci­er de bien opti­miser ces plate­formes pour éviter une sur­con­som­ma­tion de ressources tech­niques – stock­age dans le cloud et traite­ments – qui sont gour­man­des en matière pre­mière et en énergie et surtout s’assurer de la qual­ité des don­nées col­lec­tées. Et Bet­ti­na Lav­ille, fon­da­trice et prési­dente du Comité 21, a insisté sur le fait que des change­ments aus­si impor­tants et urgents que ceux qui nous atten­dent ne pour­ront se faire sans dis­pos­er de plate­formes de don­nées qui joueront un rôle clé dans le pilotage et la mise en œuvre des solutions.

Pragmatisme et volontarisme

Ces débats furent ani­més par Benoît Deveaud (71), directeur adjoint Enseigne­ment et Recherche de l’École poly­tech­nique, qui con­clut la journée en soulig­nant que les change­ments indis­pens­ables, sou­vent rad­i­caux sont por­teurs d’inquiétudes mais aus­si d’espoir, et surtout qu’ils exigeront une très grande déter­mi­na­tion alliée à beau­coup de prag­ma­tisme. Et il a rap­pelé qu’il est dans l’ADN de l’X de trou­ver des solu­tions inno­vantes à des prob­lèmes complexes.

1. Voir l’interview de Matthieu Coutière pub­liée dans La J & R N° 730 de décem­bre 2017.

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