Bonheurs d’été

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°537 Septembre 1998Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Bach, Perahia : les Suites anglaises

Écou­ter Bach rend intel­li­gent et heu­reux : si Bach avait vécu à l’époque de la socié­té de grande consom­ma­tion, c’est le slo­gan publi­ci­taire qu’auraient pu uti­li­ser son “ agent ” et ses “ spon­sors ”. Dieu mer­ci – c’est le cas de le dire pour Bach – il n’avait pas d’agent et ses spon­sors étaient austères.

Mais il n’en est pas moins vrai que l’écoute de Bach est le bon­heur total et donne l’impression d’accéder, par quelque magique trans­cen­dance, à la connais­sance et à la com­pré­hen­sion du monde. Du moins faut-il que les inter­prètes soient de par­faits inter­ces­seurs, des prêtres à la fois exi­geants et purs.

L’enregistrement de trois des six Suites anglaises par Mur­ray Per­ahia1 est un de ces disques très rares, comme il n’en paraît pas dix par an. Les Suites anglaises sont moins connues et moins jouées que les suites alle­mandes (les Par­ti­tas), mais elles sont du même niveau, cachant sous le pré­texte futile de suites de danses une extrême sub­ti­li­té contra­pun­tique en même temps qu’une flui­di­té mélo­dique qui ravit l’âme.

Per­ahia les joue au pia­no – ce qui est infi­ni­ment plus riche qu’une inter­pré­ta­tion au cla­ve­cin – en conser­vant quelques orne­ments – point trop n’en faut – et avec une intel­li­gence que seul pos­sé­dait Rich­ter. Mais ce qui fait la valeur de cet enre­gis­tre­ment défie l’analyse : c’est ce “ je ne sais quoi ”, cher à Jan­ké­lé­vitch, qui fait que l’on se retrouve, dès les pre­mières mesures, au nir­va­na et que l’on n’en redes­cend plus jusqu’à la fin du disque.

Mozart léger, Vivaldi génial

Les Mis­sae Breves de Mozart sont aux grandes messes clas­siques ce qu’une opé­rette est à un opé­ra de Wag­ner : elles sont légères, joyeuses, peu for­melles, comme l’était appa­rem­ment la reli­gion dans le Salz­bourg des années 1770 ; et juvé­niles comme Mozart lui-même, qui les a écrites entre 12 et 19 ans. Et l’on aime cette légè­re­té-là, telle que Niko­laus Har­non­court l’interprète fidè­le­ment dans un enre­gis­tre­ment des quatre messes brèves à la tête du Concen­tus Musi­cus et du Chœur Arnold Schoen­berg, avec des solistes par­mi les­quels se détache la sopra­no Ange­la Maria Bla­si2.

Vival­di, redé­cou­vert dans les années 50, agace sou­vent par ses répé­ti­tions, ses “ficelles”, son foi­son­ne­ment même, et même les Quatre Sai­sons finissent par exas­pé­rer l’auditeur. Eh bien, avant de “ tirer à la ligne ”, il a été hyper­créa­tif, et Bach ne s’est pas fait faute de le saluer et de le copier, en trans­cri­vant six des douze concer­tos de l’Estro armo­ni­co, que l’Europa Galante vient d’enregistrer3.

L’Estro armo­ni­co, l’opus 3 de Vival­di, est foi­son­nant d’idées révo­lu­tion­naires, et ne fait rien de moins que bri­ser les formes tra­di­tion­nelles et créer celle du Concer­to roman­tique et moderne. Par la suite, en pro­duc­teur avi­sé, Vival­di a sou­vent exploi­té jusqu’à la corde ses trou­vailles anté­rieures ; mais qui, en ces temps où la ren­ta­bi­li­té est le maître mot, y com­pris dans le domaine de la culture et des arts, pour­rait le lui reprocher ?

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1. 1 CD SONY SK 60 276.
2. 1 CD TELDEC 3984 21818 2.
2. 2 CD VIRGIN 5 45315 2.

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