Pour une nouvelle gouvernance mondiale avec la mise en place d’une institution dédiée

Dossier : Environnement : les relations Nord SudMagazine N°647 Septembre 2009
Par Raymond COINTE (80)
Par Laurent STEFANINI

REPÈRES

REPÈRES
Alors que la réforme de la Gou­ver­nance inter­na­tio­nale de l’environnement (GIE) dans le cadre des Nations unies peine à avan­cer, le pré­sident de la Répu­blique a appe­lé à la créa­tion d’une Orga­ni­sa­tion mon­diale de l’environnement (OME) lors de son dis­cours à l’Organisation inter­na­tio­nale du tra­vail, le 15 juin 2009 : « Lorsque nous serons par­ve­nus, à Copen­hague, à un accord ambi­tieux sur le cli­mat, il fau­dra que soit créée alors une véri­table Orga­ni­sa­tion mon­diale de l’environnement en mesure de faire appli­quer les enga­ge­ments qui auront été pris, je l’espère, par tous. » 

En 1972, l’As­sem­blée géné­rale des Nations unies (AGNU) a voté une réso­lu­tion créant le Pro­gramme des Nations unies pour l’en­vi­ron­ne­ment (PNUE) char­gé de coor­don­ner l’ac­tion des orga­nismes des Nations unies en matière d’en­vi­ron­ne­ment et de pro­mou­voir la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale en matière environnementale.

Mais ce sys­tème de gou­ver­nance souf­frait de deux lacunes. Tout d’a­bord, le pou­voir déli­bé­ra­tif s’est dès l’o­ri­gine frag­men­té, puisque les COP (Confé­rences des Par­ties) des AME (Accords mul­ti­la­té­raux en matière d’en­vi­ron­ne­ment) se sont vu recon­naître éga­le­ment un rôle déci­sion­nel ; de cette situa­tion résulte l’ab­sence de pilo­tage du sys­tème de la Gou­ver­nance inter­na­tio­nale de l’en­vi­ron­ne­ment (GIE).

L’énorme enjeu que repré­sente la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique jus­ti­fie une approche réno­vée du débat

Ensuite, les moyens de finan­ce­ment des AME échappent au PNUE ; le Fonds pour l’en­vi­ron­ne­ment mon­dial (FEM), créé en 1990, qui est admi­nis­tra­ti­ve­ment géré par la Banque mon­diale, juri­di­que­ment indé­pen­dant du PNUE et des AME, consti­tue aujourd’­hui la prin­ci­pale source de finan­ce­ment (enve­loppe de 3,1 mil­liards de dol­lars pour la période juin 2006-juin 2010) de pro­jets envi­ron­ne­men­taux au niveau mon­dial ; il convient tou­te­fois de rap­pe­ler que les demandes de finan­ce­ment ne peuvent être adres­sées direc­te­ment au FEM, mais doivent lui être trans­mises via le PNUE, le PNUD ou la Banque mondiale.

À ces limites ini­tiales se sont ensuite ajou­tées des contraintes qui ont empê­ché le PNUE de rem­plir sa mis­sion de coor­di­na­tion. En ver­tu d’une déci­sion prise en 2002 à Car­tha­gène, qui consa­crait une situa­tion de fait, le PNUE n’est pas habi­li­té à coor­don­ner ni à admi­nis­trer les AME, à moins d’en être expres­sé­ment char­gé par les COP (Confé­rences des Par­ties). Il en résulte actuel­le­ment que le PNUE se borne à gérer admi­nis­tra­ti­ve­ment 7 AME sur les 200 exis­tants (dont une cin­quan­taine d’ac­cords majeurs comme la conven­tion-cadre des Nations unies sur les chan­ge­ments climatiques).

Des tentatives de réforme infructueuses

Dix ans de réformes
En 1999, le Groupe de ges­tion de l’en­vi­ron­ne­ment, dont le secré­ta­riat était confié au PNUE, visait à don­ner plus de cohé­rence à l’ac­tion envi­ron­ne­men­tale des agences d’exé­cu­tion (PNUE et PNUD) et des orga­nismes bailleurs de fonds. En 2000, la réunion du Forum mon­dial des ministres de l’En­vi­ron­ne­ment, qui s’a­dres­sait à tous les États, et non plus seule­ment aux 58 États du Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion du PNUE, cher­chait à ren­for­cer la légi­ti­mi­té poli­tique du PNUE, en créant une enceinte de dia­logue poli­tique élar­gie. En 2002, les déci­sions prises à Car­tha­gène par le Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion du PNUE avaient pour objec­tif à la fois de ren­for­cer le rôle du PNUE et de jeter les bases d’une évo­lu­tion vers le sta­tut d’ins­ti­tu­tion spé­cia­li­sée. En 2005, le pro­jet de trans­for­ma­tion du PNUE en une ins­ti­tu­tion spé­cia­li­sée des Nations unies, une Orga­ni­sa­tion des Nations unies pour l’en­vi­ron­ne­ment (ONUE), fut lan­cé par la France puis repris par l’U­nion euro­péenne en 2005, avec pour but d’o­pé­rer un » saut qua­li­ta­tif » en chan­geant le sta­tut du PNUE.

Depuis la fin des années 1990, des réformes plus ou moins ambi­tieuses ont été lan­cées, toutes ayant le PNUE pour pivot, mais sans grand suc­cès. Elles ont ou bien échoué ou bien obte­nu de maigres résul­tats pour deux rai­sons essentielles.

La pre­mière était l’ab­sence de volon­té poli­tique de la part d’une majo­ri­té d’É­tats. Le bilan des consul­ta­tions infor­melles sur la GIE menées dans le cadre de l’A­GNU en 2006–2008 est à cet égard éclai­rant ; il montre qu’à l’ex­cep­tion de l’U­nion euro­péenne et pour des rai­sons diverses, la plu­part des autres pays s’ar­rangent de la situa­tion actuelle de la GIE : les pays en déve­lop­pe­ment veulent aller au-delà de la GIE et parlent de Gou­ver­nance du déve­lop­pe­ment durable (GDD), parce qu’ils voient depuis tou­jours dans le ren­for­ce­ment du seul pilier envi­ron­ne­men­tal du déve­lop­pe­ment durable une entrave à leur déve­lop­pe­ment éco­no­mique ; les grands pays indus­tria­li­sés non euro­péens s’ar­rangent de l’or­ga­ni­sa­tion actuelle de la GIE : le prag­ma­tisme anglo-saxon s’ac­com­mode faci­le­ment d’un sys­tème de GIE mul­ti­cen­trique tan­dis que la Rus­sie consi­dère qu’une GIE faible est le meilleur garant de sa liber­té de manoeuvre natio­nale ; on pour­rait être ten­té de conclure que le pro­blème de gou­ver­nance a une forte conno­ta­tion cultu­relle, l’U­nion euro­péenne cher­chant à » expor­ter » des sché­mas d’or­ga­ni­sa­tion, qui lui sont familiers.

Un système à trois composantes

La seconde rai­son est l’i­gno­rance de la double dimen­sion sys­té­mique de la GIE : en interne, toutes les ten­ta­tives de réforme se sont foca­li­sées sur le PNUE, alors que la GIE est un sys­tème à trois com­po­santes juri­di­que­ment indé­pen­dantes : le PNUE, les AME et le FEM ;

Le pro­blème de gou­ver­nance a une forte conno­ta­tion culturelle

en externe, le pôle inter­na­tio­nal envi­ron­ne­men­tal doit s’in­té­grer dans le sys­tème plus large des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales rele­vant des deux autres piliers – social et éco­no­mique – du déve­lop­pe­ment durable. Sans avoir été jus­qu’à ce jour débat­tue au niveau inter­na­tio­nal, cette ques­tion oppose les pays en déve­lop­pe­ment, notam­ment émer­gents, qui, au nom du déve­lop­pe­ment, mettent en avant le prin­cipe de » res­pon­sa­bi­li­tés com­munes mais dif­fé­ren­ciées « , et les pays du Nord qui visent la mise en oeuvre au niveau mon­dial de normes envi­ron­ne­men­tales et sociales équitables.

Au sein de l’As­sem­blée géné­rale, la pro­po­si­tion de l’O­NUE sus­cite peu d’en­thou­siasme. Est-elle pré­ma­tu­rée ou au contraire désuète dans un monde qui se carac­té­rise par l’é­mer­gence de sys­tèmes com­plexes où inter­vient une mul­ti­pli­ci­té d’ac­teurs aux sta­tuts différents ?

Gérer les suites de la négociation climat

Ratio­na­li­ser l’or­ga­ni­sa­tion actuelle ou créer une ins­ti­tu­tion spécialisée ?
Dans l’au­dit de la GIE qu’elle a effec­tué en 2008, l’Ins­pec­tion des Nations unies s’est foca­li­sée sur les rela­tions entre le PNUE et les AME. Elle a for­mu­lé 12 recom­man­da­tions qui ont pour objec­tif cen­tral de mettre en place un pilo­tage d’en­semble de la sphère des AME. Celui-ci serait confié au PNUE, dont l’ac­tion serait elle-même enca­drée par l’O­NU (AGNU et SGNU, selon la matière). Il reste que l’Ins­pec­tion des Nations unies fait elle-même état d’un scep­ti­cisme cer­tain quant aux chances de mise en œuvre de ses préconisations.

Si la négo­cia­tion cli­mat abou­tit, la mise en oeuvre des dif­fé­rentes com­po­santes de l’ac­cord et leur finan­ce­ment relan­ce­ront la ques­tion de la GIE, à la fois de manière pres­sante et dans des termes inédits ; plu­sieurs hypo­thèses sont envi­sa­geables :- la créa­tion d’un pôle cli­mat doté d’une puis­sance finan­cière auto­nome pour­rait-elle exer­cer un effet d’at­trac­tion struc­tu­rant sur le sys­tème actuel de GIE, compte tenu des syner­gies entre le cli­mat et d’autres grandes pro­blé­ma­tiques envi­ron­ne­men­tales (bio­di­ver­si­té, déser­ti­fi­ca­tion…) ?- l’in­tense effort finan­cier des­ti­né au cli­mat serait-il mis en oeuvre par un FEM réno­vé et ren­for­cé, qui serait en mesure d’exer­cer un effet struc­tu­rant sur l’en­semble du sys­tème de GIE ?- la ques­tion cru­ciale de la pré­ser­va­tion de la com­pé­ti­ti­vi­té des éco­no­mies et de leur égale expo­si­tion aux contraintes envi­ron­ne­men­tales (com­pa­ra­bi­li­té des enga­ge­ments), ain­si que la mise en place de méca­nismes de contrôle voire de régu­la­tion (méca­nismes d’in­clu­sion car­bone) pour faire face au dum­ping envi­ron­ne­men­tal, ne devrait-elle pas conduire à élar­gir le champ du débat à la sphère éco­no­mique et sociale ?

Vers une réunion » Rio + 20 »

L’é­norme enjeu que repré­sentent, en termes de régu­la­tion inter­na­tio­nale, la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique ain­si que le rôle char­nière désor­mais joué par les pays émer­gents, qui cor­res­pondent à une évo­lu­tion de fond depuis l’a­dop­tion des prin­cipes de Rio, jus­ti­fie une approche réno­vée du débat. Dans ce contexte nou­veau, l’i­ni­tia­tive bré­si­lienne d’or­ga­ni­ser en 2012 une réunion inter­na­tio­nale » Rio + 20 » prend tout son sens, d’au­tant qu’elle devrait inté­grer une réflexion sur la gou­ver­nance du déve­lop­pe­ment durable.

L’am­bi­tion d’une gou­ver­nance inter­na­tio­nale de l’en­vi­ron­ne­ment cohé­rente, à l’o­ri­gine de l’i­dée de l’O­NUE, est aujourd’­hui plus fon­dée que jamais en par­ti­cu­lier pour faire appli­quer les enga­ge­ments qui devraient être pris à Copenhague.Alors qu’en matière éco­no­mique (Banque mon­diale, FMI) et sociale (BIT), des ins­ti­tu­tions spé­cia­li­sées des Nations unies et de Bret­ton Woods peuvent incar­ner deux des trois piliers d’une gou­ver­nance mon­diale du déve­lop­pe­ment durable, les fai­blesses de la GIE actuelle sont de plus en plus incompréhensibles.

Une démarche en plusieurs temps

La trans­for­ma­tion du sys­tème de GIE en une OME néces­si­te­ra du temps, d’où l’in­té­rêt de deux démarches paral­lèles. La pre­mière s’ins­crit dans le court-moyen terme : sou­te­nir toute ini­tia­tive de nature à amé­lio­rer ponc­tuel­le­ment la GIE ; appuyer les réformes de ratio­na­li­sa­tion prô­nées par l’Ins­pec­tion des Nations unies, tout en ne se fai­sant pas trop d’illu­sions sur leurs chances de suc­cès ; sou­te­nir la créa­tion, au niveau inter­na­tio­nal, d’un dis­po­si­tif d’in­ter­face science-poli­tique en matière de bio­di­ver­si­té (IPBES), car une poli­tique adap­tée aux défis à rele­ver dans le domaine du vivant impose, comme ce fut le cas pour le cli­mat avec le GIEC-IPCC, à la fois un consen­sus sur le diag­nos­tic scien­ti­fique et une liai­son forte entre le monde scien­ti­fique et les déci­deurs poli­tiques ; veiller, lors de la négo­cia­tion du futur accord inter­na­tio­nal sur le mer­cure, à ce que le dis­po­si­tif de ges­tion rete­nu soit effi­cace et cohé­rent avec les » arran­ge­ments » visant à mettre pro­gres­si­ve­ment en place un » pôle AME dans le domaine chimique « .

La trans­for­ma­tion du sys­tème de GIE en une OME néces­si­te­ra du temps

La seconde démarche vise le moyen et long terme et vise à relan­cer la réflexion inter­na­tio­nale sur la mise en place du troi­sième pilier de la GMDD, grâce à la trans­for­ma­tion du sys­tème de GIE actuel en une OME

L’in­té­gra­tion des trois com­po­santes actuelles (PNUE, AME, pôle finan­cier) de la GIE dans une ins­ti­tu­tion spé­cia­li­sée (une OME) devrait être l’é­tape ultime d’un processus.

Grâce aux rela­tions qu’elle devrait natu­rel­le­ment éta­blir avec les autres ins­ti­tu­tions spé­cia­li­sées des Nations unies (FAO, OMS, OMM, Unes­co…) comme avec les grandes orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales dont les actions ont des inci­dences sur l’en­vi­ron­ne­ment (OMC ou Banque mon­diale), l’im­pact de la mise en place d’une OME dans le sys­tème onu­sien ne peut qu’être posi­tif, car source d’une plus grande cohé­rence dans la gou­ver­nance mon­diale en matière d’environnement.

De l’O­NUE à l’OME
L’ex­pé­rience tirée de l’in­tense tra­vail diplo­ma­tique qui a été effec­tué dans le cadre du pro­jet de l’O­NUE doit être plei­ne­ment uti­li­sée pour relan­cer la réflexion inter­na­tio­nale sur la GIE. Elle s’or­ga­nise autour de deux enseignements :
- le posi­tion­ne­ment de l’OME est une condi­tion essen­tielle de l’adhé­sion au pro­jet : la créa­tion d’une OME devrait être pré­sen­tée comme per­met­tant d’a­che­ver la mise en place d’une véri­table gou­ver­nance mon­diale du déve­lop­pe­ment durable au niveau ins­ti­tu­tion­nel et non de la lancer ;
- l’OME exi­ge­ra une approche ins­ti­tu­tion­nelle inno­vante : pour créer une OME à par­tir d’un sys­tème aus­si com­plexe que la GIE, il fau­dra cer­tai­ne­ment faire appel à des mon­tages inédits, ce qui sup­po­se­ra ouver­ture et imagination.

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